Grexit, le grand saut dans l’inconnu ? Cataclysme politique et financier ou simple soubresaut pour l’Europe, comment comprendre la guerre des pronostics<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Alexis Tsipras ne trouve pas d'accord avec le FMI.
Alexis Tsipras ne trouve pas d'accord avec le FMI.
©Reuters

Scénarios

Faute d’accord entre Athènes et ses créanciers, la Grèce pourrait être sanctionnée par un défaut de paiement. Dans le pays, les retraits massifs d'argent des banques augmentent de jour en jour (on estime à 900 millions d'euros la somme totale récupérée par les particuliers mercredi 17 juin). Un processus alimenté par les scénarios catastrophes prédits par les représentants institutionnels.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

Voir la bio »
Michele Chang

Michele Chang

Professeure au sein du département d’études politiques et administratives au Collège d'Europe depuis 2006, elle est également la vice-présidente du European Union Studies Association, une association académique américaine consacrée aux études européennes.

Voir la bio »
Philippe Legrain

Philippe Legrain

Philippe Legrain est chargé de cours à l'institut Européen de la London School of Economics. Entre 2001 et 2014, il a conseillé le Président de la Commission européenne José Manuel Barroso. Son dernier livre : European Spring: Why Our Economies and Politics are in a Mess – and How to Put Them Right.

Voir la bio »
  • Mercredi 17 juin, la Banque centrale de Grèce a affirmé qu’un échec des discussions entre Athènes et ses créanciers c’est-à-dire le Fonds monétaire international, la Banque centrale européenne ainsi que la Commission européenne entrainerait un défaut de paiement et une sortie de la zone euro.
  • Ce que l’on nomme un "Grexit" entrainerait le pays "dans une profonde récession, une chute radicale des revenus, une explosion du chômage et l’anéantissement de tout ce que les Grecs ont construit pendant leurs années d’appartenance à l’Union", selon la Banque centrale de Grèce.
  • D’après le ministre de la protection du citoyen, Yannis Panoussis, "sans accord, il y aura une crise nationale".
  • Le ministre des Finances et des Comptes publics Michel Sapin a déclaré : "Si elle quittait l'euro, ce serait une catastrophe totale pour la Grèce. Elle est en cessation de paiement depuis cinq ans et elle survit uniquement parce que les contribuables européens ont apporté une aide. C'est nous qui avons apporté notre aide pour éviter que la Grèce ne coule définitivement et quitte le dispositif."
  • Quant au FMI il se refuse à tout délai de paiement supplémentaire, évoquant sinon des arriérés de paiement pour le pays. 

Atlantico : Sur les conséquences d'une sortie de la Grèce de la zone euro, les dirigeants européens ont des analyses pour le moins contrastées. Comment expliquer une telle diversité d'avis ?

Nicolas Goetzmann : Depuis le début des négociations entre le parti Syriza et les institutions européennes, le Grexit est la monnaie d’échange ultime. Cette question est le plus important moyen de pression des instances européennes sur la Grèce, en menaçant le pays de la ruine assurée, et, pour les grecs, du moyen de menacer directement l’existence même de la zone euro en créant un précédant de sortie. Les divergences d’interprétations ne sont, pour ainsi dire, que du bluff des deux côtés. Chacun va appuyer sur le risque qui pèse sur l’autre partie pour emporter la décision finale et provoquer la soumission de l’autre. Cette attitude violente, à laquelle nous pouvons assister depuis quelques jours, permet de mettre en évidence l’absurdité des négociations techniques précédentes. La seule question qui reste posée est celle-ci, qui a le plus à perdre d’une sortie de la Grèce de la zone euro ; la zone euro elle-même ou les grecs ? Voilà pourquoi il ne faut pas se leurrer sur la nature de cet affrontement ; la discussion n’est pas économique, elle est purement et simplement politique.

Le maquillage économique qui consiste à parler du niveau de déficit primaire pour les deux ou trois années à venir est une simple question d’autorité. Les européens veulent la soumission totale du parti Syriza, et une application du programme d’austérité, non pas parce qu’il est efficace, mais parce qu’il s’agit de la règle. Or, Syriza pointe l’absurdité économique de la règle, ce qui remet en cause l’autorité des institutions. C’est ce qui est jugé intolérable, notamment par la population allemande qui souhaite à 58% cette sortie de la Grèce de la zone. Il peut être naturel de s’opposer à Syriza par principe, en pointant les "rouges bruns", les communistes ou les populistes, mais la réalité est que le programme d’austérité proposé par les institutions européennes est un échec, et son efficacité économique est une blague. Il suffit de constater ce qui se passe sur les retraites pour s’en rendre compte. Depuis 2011, les retraites grecques ont été abaissées de 4.5 milliards d’euros, soit une chute de 21%. Or, dans la même période, le PIB grec a chuté de 14%. Au final, le poids des retraites n’a baissé que de 1% par rapport au PIB. La logique européenne est donc de demander une nouvelle coupe, qui provoquera une nouvelle fois la chute du PIB, pour un résultat nul. Ce que l’Europe demande aujourd’hui à la Grèce, c’est de creuser sa propre tombe avec une arme sur la tempe.

Philippe Legrain : Avec la situation actuelle sans précédent que connait la zone euro, avec la sortie de l'un de ses membres, les conséquences de la sortie de la Grèce sont particulièrement incertaines. En conséquence, on observe une diversité d'opinions à ce sujet. Et il faut ajouter à cela le fait que les gens jouent à des jeux politiques, essayant de se positionner et même d'influencer le comportement des autres acteurs.

Michele Chang : Cette diversité d'avis s'explique pour plusieurs raisons. D'abord, il y a les motivations politiques, la Grèce et ses créanciers jouent à celui qui cédera le premier: chacun espère que l’autre voudra éviter le désastre. Ensuite, la classe politique dit ce que leurs populations nationales voudraient entendre. Enfin, il est difficile de prédire la réaction des marchés, et les différents conseils font des suppositions variées.

Quand on se limite aux éléments factuels dont on dispose actuellement, à quoi peut-on s'attendre ?

Nicolas Goetzmann : Les marchés ont déjà commencé à réagir. Les taux des pays du sud, comme l’Italie, l’Espagne ou le Portugal sont repartis à la hausse. Mais également ceux de la France, notamment lorsque l’on regarde l’écart de taux entre la France et l’’Allemagne. Cette simple méfiance des marchés vis-à-vis de ces pays va déjà couter plusieurs milliards aux Etats. De la même façon, les marchés actions ont sérieusement baissé au cours du dernier mois. Ce qui signifie que les marchés financiers semblent être beaucoup moins à l’aise avec une sortie de la Grèce de la zone euro que certains dirigeants européens ne semblaient le penser. Dans le cas du Grexit, il faudra aussi envisager le fait que la dette grecque ne sera pas remboursée totalement, or celle-ci est détenue par les autres Etats européens, qui avaient eu la "gentillesse" de récupérer le bébé de la main des banques. Parce que les erreurs manifestes d’appréciation qui ont été faites de la part des banques sont désormais sous responsabilité des contribuables européens. Pour faire simple, si la zone euro sort la Grèce, tout dépendra de l’attitude de la BCE. Soit elle apporte son soutien et elle peut contenir une crise, soit la boite de pandore est ouverte. Un nouveau Lehman Brother semble improbable avec un ferme soutien de la BCE, mais il ne peut pas non plus être écarté. La Présidente de la FED, Janet Yellen, a clairement mis en garde contre un tel évènement, dont les répercussions sont attendues dans le monde entier.  En plus d’être la risée du monde entier en ce qui concerne la croissance, les européens ne font décidemment pas beaucoup mieux dans leur traitement politique du cas grec.

Michele Chang : Le Grexit ne résoudrait rien, ni pour la Grèce ni pour l'UE. Pour la Grèce, son économie empirerait à court terme avec une crise bancaire au delà de ses problèmes actuels. Pour l'UE, ses relations avec la Grèce continuerait, même si la Grèce n'était plus dans la zone euro, et il est clair que les relations s'aggraveraient. L'ampleur de la contagion aux autres économies européennes n’est pas certaine mais il y aurait certainement une forme de contagion.

Quels éléments plaident en faveur du scénario pessimiste pour l'ensemble de la zone euro - le "début de la fin" selon Tsipras ?

Nicolas Goetzmann : Parce qu’il s’agit d’un bouleversement fondamental dans la nature de la zone euro. En partant d’une idée de famille ayant vocation à devenir, à terme, les Etats Unis d’Europe, le projet serait alors totalement modifié. En excluant la Grèce, l’Europe crée un précédent qui la définit comme un système : une entité autoritaire qui peut exclure ses membres. Ce n’est plus une famille, et ce n’est pas non plus une nation "européenne". Ce serait comme imaginer les Etats Unis exclure un  Etat non compétitif de la nation américaine, cela n’aurait pas de sens. Et bien en Europe, cela aurait un sens, l’Europe serait alors devenue une sorte de club économique dirigé par l’Allemagne et dont les faibles sont exclus s’ils ne se mettent pas dans le rang. L’idée d’intérêt général européen serait ensevelie immédiatement.

Mais si une sortie de la Grèce de la zone euro ne produit pas d’effets dévastateurs, en termes économiques, à court terme, le long terme paraît autrement plus délicat. Parce que lors de la prochaine crise, à qui le tour ? Les marchés auront compris qu’au contraire de ce qui est annoncé depuis 20 ans, la zone euro est "réversible", ils pourront s’en donner à cœur joie et provoquer la sortie d’un pays sur l’exemple de la Grèce. Mais clairement, si l’on accepte un tel précédent, le projet n’a plus le sens de sa version originale.

Philippe Legrain : Des preuves de contagion financière existent déjà : les écarts entre les rendements des obligations souveraines d'Europe du Sud et l'Allemagne se sont accrues. 

En présentant l'euro comme une monnaie qui ne serait pas irrévocable, le risque est de créer une forme d'incertitude pour les investissements dans les économies vulnérables et cela renforcerait les mouvements politiques anti-euro dans de nombreux pays, dont la France potentiellement.

Michele Chang : Avec un Grexit, l'union monétaire ne serait plus irrévocable : elle apparaîtrait donc moins crédible et vulnérable face à la future spéculation, même dans le cas d'une gouvernance économique renforcée. De plus, il y a des conséquences potentielles pour d'autres politiques de l'UE comme sa politique étrangère ou migratoire. Un Grexit pourrait pousser la Grèce à se rapprocher de la Russie, par exemple, et on peut envisager que les frontières de la Grèce (et par conséquence de l'UE) seraient davantage menacées.

A contrario, quels éléments plaident pour le scénario pessimiste pour la Grèce mais optimiste pour la zone euro - "L'existence de l'euro ne dépend pas de la Grèce" selon la Bundesbank ?

Nicolas Goetzmann : Cette sortie de la Bundesbank est frappante. Voici un organe qui est censé être indépendant, et neutre politiquement, et qui prend une position totalement politique qui ne veut rien dire d’autre que "sortez les, on s’en fout". Et personne ne réagit comme s’il s’agissait d’un simple avis d’expert. L’avenir de la zone euro ne dépend peut-être pas de la Grèce mais il dépend de ce que l’Allemagne est en train d’en faire. Le résultat est consternant, aussi bien en termes de croissance que de chômage, et cela dure depuis 7 ans. Et François Hollande ne trouve rien à en redire ? Que l’Allemagne occupe le vide de pouvoir est presque normal, mais que François Hollande ne dise rien, jamais rien, à ce sujet, est stupéfiant. Sa démission européenne depuis 2012 est devenue une habitude, et cela a participé à ce changement de cap européen. La crise économique est globalement moins grave aujourd’hui qu’en 2011 ou en 2012, mais c’est aujourd’hui que l’on souhaite faire sortir la Grèce de la zone euro. Cela ne traduit donc rien d’autre qu’une réorientation politique de la zone qui a été notamment provoqué par le vide sidéral proposé par François Hollande.

Philippe Legrain : Les conséquences chaotiques immédiates de Grexit pourrait dissuader d'autres pays de suivre le même chemin. La Grèce pourrait être tellement mal gérée que la reprise ultérieure serait rapidement perdue.La BCE achète actuellement des obligations gouvernementales à travers son programme d'assouplissement quantitatif et pourrait d'ailleurs intensifier ses achats afin de stabiliser les marchés.Les banques étrangères se sont considérablement éloignées de la Grèce.Économiquement, la Grèce ne pèse rien : elle représente seulement 2% de l'économie de la zone euro.

Michele Chang : La gouvernance économique de l'UE est dotée de nouvelles capacités comme le Mécanisme européen de Stabilité et l'union bancaire. Par ailleurs, le cas grec est plutôt unique en ce qui concerne la taille de ses problèmes économiques et politiques.

Sur un sujet aussi éminemment politique, que pèsent les arguments techniques face aux facteurs psychologiques ? Peut-on considérer qu'en ce qui concerne les conséquences d'un possible Grexit, la perception de la réalité comptera autant que la réalité ?

Nicolas Goetzmann : Lors de la crise de 2012, Mario Draghi avait simplement énoncé que la BCE ferait tout pour sauver la zone euro. Cette simple phrase avait été en mesure de rassurer les marchés, notamment parce qu’elle indiquait que la zone euro était un processus irréversible. Pour les marchés financiers, il ne servait plus à rien de lutter face à une institution qui a le pouvoir de créer de la monnaie de façon illimitée. Techniquement, en cas de sortie de la Grèce de la zone euro, cette promesse n’existera plus, c’est donc la parole même de la BCE qui serait mise à mal. Il y a fort à parier que les marchés financiers iront chercher les limites de ce reniement, ce qui devra conduire à une nouvelle réaction de la part de la BCE. Mais le mal sera fait. Les dirigeants de la zone euro auront évidemment un discours rassurant, tout en pointant la faute commise par la Grèce, et la perception qui en découlera sera peut être suffisante pour rassurer tout le monde. Mais la dimension technique devrait prendre du poids, parce que si Draghi n’est plus crédible sur sa simple parole, il devra apporter des preuves techniques de son pouvoir.

Philippe Legrain : Les marchés financiers sont principalement liés à la psychologie. Ainsi, l'impact de Grexit dépend beaucoup de ce que les gens en pensent. Étant donné que les marchés semblent penser qu'un Grexit est peu probable et gérable, il est très possible qu'il soit particulièrement perturbateur.

Michele Chang : Oui, les leaders de la Grèce et des pays créanciers portent des idées différentes en ce qui concerne l'économie.L'austérité est soit incontournable pour une économie saine soit la source des problèmes économiques. Qu’en est-il en réalité ? Ça dépend à qui vous posez la question, mais les attentes des créanciers et du gouvernement grec sont fondées sur ces idées et perceptions différentes qui influent sur leurs stratégies et leurs politiques.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !