Grèves dans l'industrie : le modèle allemand vacille-t-il ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le modèle économique allemand est axé sur une compression et une faible augmentation des salaires afin de maintenir un certain niveau de compétitivité.
Le modèle économique allemand est axé sur une compression et une faible augmentation des salaires afin de maintenir un certain niveau de compétitivité.
©Reuters

Change ? Ya, we can !

Le dernier week-end d'avril, les salariés du secteur métallurgique se sont mis en Grève à l’appel du syndicat IG Metall afin d’obtenir une augmentation de salaire de 6,5%. Les travailleurs allemands se sont serrés la ceinture depuis le début de l’ère Schröder. Ils veulent maintenant en retirer des bénéfices. Le modèle allemand peut-il y survivre ?

Marc Ivaldi

Marc Ivaldi

Marc IVALDI est Directeur d’Etudes à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et enseigne à Toulouse School of Economics (TSE) et Président du Comité Permanent sur la Recherche de l’European Economic Association. Sa spécialité académique est l’économie industrielle qui analyse les stratégies des acteurs sur les marchés et les industries, notamment les industries de réseaux.
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Atlantico : Les week-end dernier, les salariés du secteur métallurgique se sont mis en Grève à l’appel du syndicat IG Metall afin d’obtenir une augmentation de salaire de 6,5 %. Ces mouvements de protestations sont-ils nouveaux en Allemagne ? Comment se règle ce genre de situation outre-Rhin (syndicats, entreprises...) ?

Marc Ivaldi : Non ce n’est pas nouveau. Les relations sociales s’appuient sur deux piliers : la négociation collective et la cogestion qui sont des systèmes très codifiés et complexes. Et généralement la grève n’intervient que comme arme ultime. On se rappelle les grèves dures d’IG Mettal en 1984 pour demander – sans succès – les 35 heures dans l’industrie métallurgique. Finalement cette revendication a été mise en place par la négociation en 1995. Mais le système de résolution des conflits peut se gripper. Ainsi récemment le gestionnaire de l'aéroport et Lufthansa ont porté devant les tribunaux leur conflit avec les contrôleurs au sol pour empêcher qu’il s’étende. Ce regain de tension sociale en Allemagne s’explique par l’amélioration de la situation économique depuis deux ans. Et malgré un recul global de l’activité prévu pour 2012, l’heure n’est pas à la désespérance. Même si les investissements doivent baisser, 60 000 emplois industriels devraient être créés l’an prochain. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant de voir s’exprimer des revendications salariales fortes. Les travailleurs allemands se sont serrés la ceinture et se sont résolus aux réformes sociales de l’ère Schröder. Ils veulent maintenant en retirer des bénéfices. C’est légitime et normal. Et il est probable qu’ils ne sont pas prêts à partager - sans contrepartie - ces bénéfices avec les autres travailleurs européens.

Le modèle économique allemand est axé sur une compression et une faible augmentation des salaires afin de maintenir un certain niveau de compétitivité. N’est-il pas en train de démontrer ses limites ? Est-il compatible avec les revendications des travailleurs ?

Le modèle allemand est dual : d’un côté des secteurs où les relations sociales ont une forte tradition et où le travailleur est hautement respecté et où le salaire est relativement élevé ; d’un autre côté des secteurs où les salaires sont très faibles.  Un exemple souvent cité est celui des abattoirs allemands, qui recourent à une main d’œuvre issue des pays de l’Est, rémunérée aux environs de 7,5 euros de l’heure en raison de l’absence de salaire minimum. Cette situation n’est pas politiquement tenable et la Chancelière Angela Merkel – enlevant ainsi au SPD une de leurs mesures phares - est maintenant favorable à l’instauration d’un système de salaire minimum généralisé, sachant que certaines industries ou régions ont déjà un tel dispositif. Il s’agirait d’avoir un seuil minimal pour toute l’Allemagne, certains disent de l’ordre de 8,5 euros de l’heure. De fait il y a donc un consensus politique autour de cette question de la revalorisation des très faibles salaires. Et c’est pourquoi ce ne sera pas le gouvernement lui-même qui décidera du système de salaire minimum et de son niveau, mais une commission indépendante comprenant des experts qui ont pour mission d’évaluer le coût économique de l’instauration de ce salaire minimum. La phobie des allemands, c’est l’inflation et ils sont prêts à beaucoup de compromis pour éviter les pressions inflationnistes. Cela se traduit par un coût de la vie moins élevé en Allemagne qu’en France. Autrement dit, même si les revendications salariales sont fortes en ce moment pour les raisons que je viens d’indiquer, les allemands s’accommodent de salaires plus modérés car ils savent que leur pouvoir d’achat est plus élevé en raison de prix plus faibles.

Si les salaires augmentent, quelles seront les conséquences sur la compétitivité allemande ? Le pays pourra t-il maintenir ses parts de marché en Europe ? Pourra t-il maintenir un taux de chômage plus faible et une croissance plus forte que dans les autres pays européens ?

La réponse à cette question est complexe. Certes des salaires plus élevés peuvent compromettre la compétitivité des entreprises allemandes. Cela signifie aussi des revenus plus élevés des ménages qui vont acheter des produits importés d’Italie et d’Espagne, ce qui pourrait améliorer la situation économique dans ces pays qui en ont bien besoin. Si ces pays se portent mieux, ils importeront des produits allemands. Or l’Allemagne vit de ses exportations. Et même si certaines branches particulièrement exportatrices restent d’ailleurs optimistes, qu’il s’agisse de la machine-outil ou de l’automobile et espèrent même faire de meilleures affaires en 2012 qu’en 2011, l’économie allemande va souffrir du recul de la croissance. L’Allemagne a besoin de l’Europe et, en favorisant l’augmentation des salaires de ses travailleurs donc en pratiquant quelque peu un politique de la demande, elle soutient l’activité dans la zone euro notamment. Elle a probablement quelques marges de manœuvre de compétitivité pour aller dans cette direction, notamment parce qu’elle a fait les réformes Schröder qui ont justement restauré et favorisé cette compétitivité, qui lui ont permis d’investir dans les techniques nouvelles comme la robotisation et l’automatisation, ce qui a encore renforcé sa compétitivité par la baisse des coûts de production que permettent ces technologies.

Propos recueillis par Olivier Harmant

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