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Grand Prix de Bahreïn : à quel prix ?
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Formule 1

Le Grand Prix de Bahreïn a finalement lieu après quelques interrogations sur la stabilité du royaume. Comment Bahreïn a-t-il traversé les Printemps arabes ?



Hélène de Laguiche

Hélène de Laguiche

Analyste du proche et du Moyent-Orient pour le groupe Geos, spécialisé dans la prévention et la gestion des risques. 

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Bahreïn est une monarchie constitutionnelle qui a acquis son indépendance en 1971 après avoir été sous mandat britannique. En mars 2011, dans la lignée du « printemps arabe », la forte minorité chiite du Royaume (près de 70% de la population selon les estimations les plus courantes) a manifesté pour protester contre un sentiment de discrimination, organisant des manifestations massives place de la Perle, dans le centre-ville de Manama, et campant sur cette même place pendant presque un mois.

Les principales revendications de l'opposition chiite ne visaient pas à une abdication du monarque ou a un changement de régime radical, mais plus à un rééquilibrage entre les deux principales communautés, les chiites ayant de plus en plus le sentiment d'être marginalisés par le pouvoir. 
Cette discrimination est ressentie à travers le biais, notamment, de politiques comme l'interdiction d'intégrer les forces de sécurité, l'impossibilité de faire carrière dans la fonction publique, un « deux poids, deux mesures » dans les politiques d'emploi ou d'accès au logement. Ces politiques mises en place par la famille régnante sunnite (al-Khalifa) viseraient, selon la communauté chiite, à assurer un contrôle des fonctions clés de l'Etat par la minorité sunnite.

Toutefois, le roi a concédé l'année dernière plusieurs points à la communauté chiite, notamment des excuses publiques après les premiers morts de février, une mission de dialogue avec l'opposition confiée au prince héritier; la suspension de l'état d'urgence instauré le 15 mars; la mise en place d'une Commission d'enquête internationale (BICI), pour travailler en toute liberté sur les violations des droits de l'Homme au printemps 2011, la reconstruction annoncée de mosquées et lieux de culte chiites,…etc. Bahreïn est donc à un tournant politique de son histoire. Les différentes réformes annoncées l'année dernière par le roi lui ont acquis la communauté internationale et étaient censées apaiser les tensions sociales en palliant les différences entre les deux communautés. Cependant, elles n'ont pas réglé les questions de fond, s'intéressant uniquement à la dimension confessionnelle du conflit (chiites contre sunnites). En effet, cette contestation a largement dépassé les simples problématiques confessionnelles.

Le chômage, l'un des facteurs déclencheurs de la contestation, touche sans discrimination tous les jeunes arrivant sur le marché du travail. En outre, la forte hausse des prix a également affecté l'ensemble de la population. Il semble donc que l'argument confessionnel ait été « utilisé » plus qu'il ne constitue un réel facteur du « printemps arabe » bahreïni. 
Si le gouvernement a fait appel aux forces armées du CCG le 15 mars 2011 pour réprimer la contestation campée sur la place de la Perle, il a par là-même signé son désaveu vis-à-vis de la population bahreïnie, celle-ci ayant eu l'impression d'avoir été écoutée, puis aurait subi un mouvement de recul concrétisé par une recrudescence des actes de violence des forces de l'ordre à l'encontre des manifestants. C'est devant la multiplication de ces actes de répression que l'opposition aurait aussi accentué la fréquence de ces rassemblements, profitant alors de la médiatisation du Grand Prix comme tribune internationale de son mouvement. 
Bahreïn demeure donc un pays à l'équilibre social fragile, dont la stabilité dépendra en grande partie des prochaines mesures adoptées par le régime qui se devront d'être accompagnées par une réelle volonté de changement et une meilleure prise en charge de la communauté chiite et plus généralement, de l'opposition. Il reste par conséquent sur la liste des pays « à surveiller », dont la situation sociale pourrait se dégrader rapidement si un événement déclencheur survenait. 
Bahreïn passe pour un pays plus ouvert que ses voisins. On pense à la plus grande tolérance vis-à-vis des femmes, de l'alcool, des minorités. Qu'en est-il vraiment ?


Indéniablement, Bahreïn arbore une tolérance plus visible que certains de ses voisins, comme l'Arabie Saoudite. Toutefois, Il n'est pas le seul. Oman, les Emirats Arabes Unis et sur certains points le Koweït, sont eux aussi des Etats qui affichent une certaine ouverture. A ce titre, il est vrai que les minorités chrétienne (9%) et juive (une quarantaine de personnes) à Bahreïn jouissent d'une certaine bienveillance de la part du gouvernement, entre autres car elles sont majoritairement composées d'expatriés. 
Cette tolérance religieuse, mais aussi à l'égard des femmes, est visible dans les faits : en 2010, à la suite des élections législatives, la vice-présidente du Parlement nommé par le roi Hamad était une chrétienne, tandis que la même année était appointée la première femme ambassadeur juive du Royaume, en poste à Washington. Par ailleurs, en 2008, le roi a rendu visite à Rome au Pape Benoît XVI pour établir un « dialogue ». 


Concernant l'alcool, la tolérance ne reste valable que pour les expatriés, par ailleurs nombreux sur le territoire bahreïni. A cet égard, le gouvernement s'affiche effectivement plus ouvert que l'Arabie Saoudite ou l'Iran, même s'il convient de souligner que l'amendement autorisant la consommation et la vente d'alcool aux non-musulmans reste très récent (mai 2010). Cependant, la consommation d'alcool demeure strictement interdite aux musulmans, peu importe leur âge, limitant la portée de cette ouverture. 
L'ouverture de Bahreïn pêche en revanche par une liberté d'expression dans la sphère publique qui reste limitée. En effet, et comme l'ont démontrés les événements du « printemps arabe » dans le Royaume, la population dispose d'une faible marge d'expression qui ne doit pas permettre la critique du roi, du gouvernement ou de sa politique, sous peine de sanctions sévères, comme l'attestent les 230 prisonniers incarcérés pour avoir participé aux manifestations, dont le cas le plus médiatisé est celui de l'activiste dano-bahreïni, actuellement en grève de la faim pour protester contre le motif de son emprisonnement. 

Bahreïn, le moins riche des Emirats, tente d'accroître sa visibilité, grâce notamment à la participation à des évènements internationaux. Quel est l'ambition du pays ? Concurrencer son rival Qatari ?



Bahreïn présente une économie moins dépendante des ressources naturelles (gaz et pétrole beaucoup plus faibles que chez ses voisins) mais de fait plus stable. S'appuyant sur une économie financière et plus diversifiée, elle est ainsi beaucoup moins dépendante des variations de prix des ressources naturelles et ne s'inscrit pas dans un modèle d'économie de rente, ce qui en constitue à la fois son avantage sur une perspective de long terme et un inconvénient à court terme, la privant d'une richesse accessible et rapidement exploitable. 
Depuis 2011 et la baisse notable de l'influence de l'Arabie Saoudite, autrefois unique leader de la péninsule arabique, l'ensemble des pays du Golfe a trouvé l'opportunité de s'émanciper et de créer une diplomatie qui lui est propre. C'est le cas du sultanat d'Oman qui multiplie les accords avec la Grande-Bretagne ou encore du Qatar qui s'est progressivement émancipé de la tutelle saoudienne, dès 1998.

L'ambition internationale de Bahreïn est donc comparable à celle de ses voisins : comme le Koweït ou Oman, c'est avant tout une ambition qui vise à exister sur le plan régional et à assurer sa défense et sa sécurité. 
 A ce sujet, le Qatar fait figure d'exception. Disposant de ressources considérables et plus durables que celles de l'Arabie Saoudite, il a rapidement cherché à s'émanciper de son statut de pays « satellite » saoudien pour créer ses propres alliances. Recherchant par la médiation le statut d'arbitre régional, puis international, il a rapidement acquis une notoriété incontestable, plus particulièrement depuis 2003 et l'installation d'une base américaine (CENTCOM) sur son sol. 
Au vu de la place régionale et internationale acquise par le Qatar, il semble difficile à Bahreïn de vouloir concurrence son voisin. Par ailleurs, il n'est pas certain que l'on puisse réellement attribuer ces velléités au Royaume, celui-ci étant plus axé sur une consolidation de ses alliances régionales et de défense par rapport à l'Iran, qui apparaît comme la principale menace pesant sur le pays.

Propos recueillis par Antoine de Tournemire

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