GPT4 : qui mesure vraiment l’ampleur de ce qui est en train de nous arriver avec l’intelligence artificielle ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les logos de GPT-4 et de la société OpenAI, le 14 mars 2023.
Les logos de GPT-4 et de la société OpenAI, le 14 mars 2023.
©JAKUB PORZYCKI / NURPHOTO / AFP

Révolution technologique

Le débat sur les retraites relève de la discussion sur le sexe des anges dans Byzance assiégée tant la rapidité vertigineuse de l’intelligence artificielle va révolutionner notre monde de fond en comble.

Pierre  Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata, Fondateur de Rinzen, cabinet de conseil en économie, il enseigne également à l'ESC Troyes et intervient régulièrement dans la presse économique.

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Vincent Terrasi

Vincent Terrasi

Vincent Terrasi est entrepreneur et Expert en Innovation, R&D, Data Science et SEO.

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Atlantico : Quelles sont les différences de capacités entre ChatGPT3.5 et ChatGPT4 ?

Vincent Terrasi :La grosse différence, c’est le côté "multimodal". Cela signifie qu’avant, on pouvait utiliser ChatGPT que sur du texte , alors qu’il est désormais possible de le tester sur des images et sûrement des vidéos. La seconde différence, c’est le nombre de tokens, ou nombre de mots utilisés. Celui-ci a considérablement augmenté, passant de 3125 à 25 000 mots, ce qui est utile pour créer un contenu très précis. Enfin, la version 3 se base sur des données qui proviennent d’Internet, alors que la version 4 se base aussi sur des données privées qui ont fortement enrichi l'intelligence artificielle. Les textes générés sont donc plus précis et contiennent des nuances. 

Est-ce que ça témoigne d’une vraie accélération, d’un vrai emballement ? 

Vincent Terrasi :Les créateurs de OpenAIn’ont pas encore déclaré comment ils avaient fait pour passer de ChatGPT3.5 à ChatGPT4, mais les changements sont colossaux. ChatGPT3 était entraîné avec la totalité du Web, et sa mise au point avait coûté 5 millions de dollars. De son côté, ChatGPT4 a coûtébeaucoup plus cheret sera disponible aux développeurs pourseulement 12 centimes pour 800 mots.

Est-on à l’aube d’une vraie révolution avec l’IA et ChatGPT  ?

Vincent Terrasi :Tout à fait, car cela aura un impact sur tous les métiers qui ne sont pas manuels, qui vont beaucoup évoluer. On a fait passer, aux États-Unis, divers examens à ChatGPT et très peu d’élèves peuvent obtenir des résultats aussi bons. Un expert est donc disponible 7 jours sur 7, 24h/24h, quasiment gratuitement. L’impact sera donc considérable sur la société, et il s’agit désormais de trouver quelque chose que l’IA ne sait pas faire. 

En somme, je pense qu’on ne mesure pas l'ampleur des changements générés par ChatGPT à travers les start-ups qui se spécialisent dans la création de contenu, par exemple. Microsoft a d’ailleurs communiqué qu’ils allaient intégrer ChatGPT dans tous leurs logiciels, on ne peut donc pas y échapper. À l’heure actuelle, il n’y a aucune conscience globale sur l’impact que cela aura sur les sociétés. C’est dramatique de se comparer à cette technologie, dans une certaine mesure, puisque ChatGPT met quelques secondes pour créer un texte, ou même corriger des copies et donner des notes, là où un humain peut y passer des heures.

Dans quelle mesure l’intelligence artificielle, incarnée par GPT4, va révolutionner notre monde de fond en comble ?

Pierre Bentata : Nous atteignons actuellement le paroxysme d’un phénomène que l’on observe depuis plusieurs décennies. Toutes les solutions softwares et autres conçues depuis des décennies sont des choses qui mettent en danger l’emploi et l’utilité de certains métiers très spécifiques. En particulier ceux qui correspondent à trois critères identifiés par la banque mondiale : des activités routinières, fortement hiérarchisées et de back office. ChatGPT4 est parfaitement dans cette lignée. La promesse de GPT4, c’est une super-assistant qui va remplacer tous les métiers de cols blancs intermédiaires. Il va permettre à quelqu’un de créatif mais sans connaissance technique, de coder une application, il va permettre de synthétiser de l’information, rédiger des notes – quand on sait ce que l’on veut dire -. Pour des gens qui ont déjà des compétences et savent de quoi ils parlent, c’est un outil parfait. Ceux qui sont au contact des clients ou manuels vont être relativement préservés. Il est difficile d’envisager toutes les possibilités mais il y a plein de promesses. Et c’est très ironique que le jour de la sortie de ChatGPT4, il y ait en France une manifestation sur la lutte contre le report de l’âge de la retraite et pour le droit à la paresse. Cela semble illustrer une incapacité à prendre en compte des annonces pourtant disruptives puisqu’elles vont changer plein de choses. Des métiers vont devenir parfaitement inutiles. Les entreprises souhaitant faire des économies pourront sauter sur l’occasion. Certaines maisons de presse s’en saisissent déjà pour gérer le batonnage de dépêches. Le problème c’est que le fait de minorer l’importance de ce sujet fait que nous ne préparons pas la population à ce qu’est et sera ce type d’outil. Cela va se traduire soit par une mésutilisation, soit par une confiance aveugle et problématique. Si vous posez une question vague à l’IA, elle va raconter n’importe quoi avec un aplomb important. Cela a des implications sociales, politiques, d’enseignement, etc. dont on n’a pas conscience.

Le débat lui-même sur la réforme des retraites semble bien restreint par rapport aux bouleversements que pourrait engendrer ChatGPT 4 sur le marché du travail…

Pierre Bentata :Tout à fait et c’est un biais franco-français. Cette réforme des retraites n’a pas vraiment de sens face à des bouleversements similaires. Ne serait-ce que parce que ChatGPT va favoriser le travail indépendant, la possibilité de travailler en dehors des grandes villes, etc. Tout cela est passé sous silence car nous nous sommes focalisés sur une demi réforme qui nous fait perdre de vue l’essentiel. C’est un mal très français que de ne pas s’intéresser à la tech en se disant qu’on régulera plus tard.

Faut-il comparer ça à la révolution industrielle ou numérique dans les impacts économiques, politiques et sociaux de l’IA?

Pierre Bentata :Difficile de savoir exactement ce qu’il en sera. Mais on observe avec certitude une percée. Nous avons un outil qui accomplit des prouesses qu’on pensait jusqu’alors réservées aux humains. La révolution industrielle a bouleversé le travail manuel via l’émergence des machines. L’IA vient créer des bouleversements sur le plan intellectuel. Elle n’est pas capable de réfléchir mais elle fait des choses stupéfiantes. GPT4 est capable d’écrire de superbes discours politiques ou de proposer une solution détaillée sur comment terraformer le Sahara pour y recréer des oasis.

L’enseignement va être bouleversé car on ne pourra plus évaluer comme avant, puisque tout DM pourrait être fait avec ChatGPT. Donc comment va-t-on évaluer ? Et dans le même temps, comment va-t-on développer l’éducation autour de cela, pour avoir une expertise et un regard critique sur ce que fait la machine. GPT4 est capable d’aider les scientifiques sur des corrélations ou sur de la génomique. Est-ce que c’est une révolution ou la continuité d’un mouvement commencé avec l’informatique et internet ? Difficile à dire. Mais c’est un produit capable de nous concurrencer sur de nombreux domaines.

Vincent Terrasi :J’aime bien parler de 3ème vague. La création d’Internet, des smartphones, et enfin de l’IA. L’impact de cette technologie se fera sentir sur toute la planète, mais bizarrement les politiques ne s’y intéressent pas du tout. Les seules limites de ChatGPT sont les métiers manuels, mais peut-être qu’avec la robotique, cela va bientôt changer. C’est selon moi une question de mois ou d’années. 

Est-il normal que nous n’ayons pas saisi l’ampleur de ce que représente ChatGPT ?

Pierre Bentata :Il y a un temps d’adaptation et c’est normal. et les effets négatifs apparaissent toujours avant les effets positifs. La tentation serait de vouloir encadrer et anticiper son développement, mais la loi de marché fait que les choses se développent via des usages inattendus. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut attendre les bras ballants. La révolte des Canuts, à Lyon, quand ces derniers se sont vus remplacés par des machines Jacquard, c’est quelque chose qui pourrait tout à fait se produire demain. Donc il faut se préparer à ce qui peut se passer. Il faut un vrai courage politique pour établir qui sont les secteurs menacés et comment les aider. Et le problème c’est que c’est les CSP intermédiaires, la classe moyenne, qui est visée. Et ce n’est pas celle qui est aidée habituellement.  

Les travaux manuels sont-ils épargnés ?

Pierre Bentata :Beaucoup d’études nous montrent que le remplacement par des robots va être bien plus compliqué dans ces secteurs pour plusieurs raisons. D’abord car, les jobs manuels portent un aspect relationnel qui fait que nous ne sommes pas prêts à n’avoir que des machines pour interlocuteurs. Et certains métiers sont bien plus difficiles à automatiser qu’on ne le croit. typiquement, un carreleur est impossible à remplacer car la machine a besoin de cadres trop géométriques. Les notaires, les comptables ou les juristes semblent, de ce point de vue, plus faciles à remplacer.

Quels vont être les impacts sociaux ?

Pierre Bentata :Il va d’abord falloir une réflexion sur la formation. Que faut-il cibler en priorité ? Mais surtout, il va y avoir la réaction des entreprises. Et notamment des licenciements ou des tentatives d’hybridation entre le travail de l’homme et celui de la machine. Face à cela, il nous faut des capacités pour réagir par des enquêtes, des retours d’expérience, etc. Et aujourd’hui on ne le fait pas.

Comment cela se fait-il ?

Pierre Bentata :Certainement qu’on ne voit pas l’ampleur du phénomène. On a eu beaucoup de ricanement sur ChatGPT de la part du personnel politique, on ne devrait pas. Il y a en France un côté anti-tech. Nous faisons des efforts énormes pour des réglementations, type Digital market act, qui donne le sentiment d’une abdication dans la bataille de la tech. Sauf qu’une société qui lutte contre ce genre d’innovation finit par se les prendre de plein fouet et met plus longtemps à en bénéficier. Il faut s’attendre à ce que Microsoft et Google proposent de plus en plus de nouveaux services, etc. Mais ce n’est pas en France que cela va se produire en premier. Les Américains vont prendre une nouvelle longueur d’avance sur nous.

Peut-on estimer le rythme des bouleversements qui s’annoncent ?

Pierre Bentata :Je ne vais pas me risquer à donner un calendrier, mais ce que l’on constate, c’est l’arrivée à une nouvelle grappe d’innovation. Nous avons en cascade, à intervalles réguliers de plus en plus courts, des prouesses ou des percées techniques. Nous sommes au cœur d’un mouvement d’innovation qui amorce un phénomène de destruction créatrice. La vitesse du processus va dépendre de notre capacité à nous en saisir. Mais les gens se sont, par exemple, beaucoup plus rapidement saisis de ChatGPT que des réseaux sociaux en leur temps. Il y a donc bien une accélération, mue par une sorte d’euphorie quant aux nouvelles innovations.

Vincent Terrasi :Les GAFAM ont mis toutes leurs ressources sur ces technologies. Après s’être plantée sur le Metaverse, Meta investitfortementdans l’IA. Ainsi, toutes les deux semaines, une nouvelle technologie sort et remplace la précédente. Je pense donc qu’il faut surtout se demander ce qui manque à l’IA, à l’heure actuelle. ChatGPT est pour l’instant un assistant personnel, qui imite seulement l’humain. Peut-être qu’il sera bientôt capable de résonner et de faire d’énormes découvertes … Les prochaines étapes seront donc vraiment bouleversantes pour la société.

Pierre Bentata vient de publier "Tous notés !" aux éditions de L'Observatoire : cliquez ICI et ICI

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