Giorgia Meloni plombe l’été des banquiers mais est-ce une si bonne idée ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Giorgia Meloni, présidente du Conseil des ministres italien.
Giorgia Meloni, présidente du Conseil des ministres italien.
©Alberto PIZZOLI/AFP

Contre-productif ?

La volonté de taxer les surprofits des banques, au-delà de son aspect populiste, pourrait fragiliser le système.

Eric Dor

Eric Dor

Eric Dor est directeur des études économiques à l'IESEG.

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Atlantico : Giorgia Meloni, présidente du Conseil des ministres italien a annoncé vouloir taxer les banques sur leurs surprofits à hauteur de 40%. Quel est l'objectif visé ?

Eric Dor : Soyons réalistes, il y a une composante électoraliste à prendre en compte de la part d'un gouvernement qui cherche à adopter une approche plutôt populiste. Il est important de comprendre que cela s'inscrit dans un contexte italien, voire européen, où les gens expriment une certaine frustration en raison du fait que les banques tardent à augmenter les taux d'intérêt proposés sur les dépôts d'épargne. Cela contraste avec la vitesse à laquelle elles augmentent les taux d'intérêt appliqués aux nouveaux prêts accordés aux ménages et aux entreprises. En effet, ceci est observable partout et même en France, même si c’est limité grâce notamment au Livret A et au LDDS. Ces dispositifs obligent les banques à offrir jusqu'à 3% de plus que ce qu'elles auraient spontanément proposé.

Dans ce contexte, le gouvernement italien a plusieurs fois exhorté les banques à revoir à la hausse les taux offerts sur les dépôts d'épargne. Cependant, les banques sont restées assez réticentes à suivre ces directives, ce qui a incité le gouvernement à réagir. C'est ainsi qu'est né le projet de loi, présenté quelque peu surprenamment par le gouvernement italien, en réponse à cette situation. Ce projet de loi affirme que si les banques persistent dans leur réticence à augmenter significativement les taux d'intérêt sur les dépôts, tout en continuant d'augmenter leurs profits, elles seront soumises à une taxe. Cette taxe serait calculée en fonction de la différence entre les intérêts perçus et les intérêts facturés sur les crédits, ce qui constituerait une source de revenus supplémentaire pour l'État.

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Pour certains acteurs politiques tels que ceux de la Liga avec Salvini et Fratelli di Italia, cette mesure pourrait être perçue comme une opportunité économique pour se rapprocher d'une partie de leur électorat, adoptant ainsi une démarche un peu populiste. Cependant, l'objectif principal reste de résoudre la problématique évoquée précédemment. De plus, le produit généré par cette taxe serait destiné à deux fins. D'une part, il servirait à subventionner les prêts accordés pour l'acquisition d'une première résidence familiale, en excluant les achats destinés à la location via des plateformes comme Airbnb. D'autre part, il permettrait de financer des réductions d'impôts pour les ménages. Ainsi, l'objectif serait de susciter un regain d'intérêt et de soutien auprès d'une grande partie de l'électorat.

Comment fonctionne le mécanisme ?

Eric Dor : Le but est de taxer les profits supplémentaires des banques dus à la hausse des taux d'intérêts induite par la BCE. L'Italie a décidé une taxe de 40% sur la partie des revenus nets d'intérêt des banques qui excède en 2022 ceux de 2021 bonifiés de 5%, et en 2023 ceux de 2022 bonifiés de 10%. Cette différence entre intérêts reçus et payés a fortement augmenté avec les hausses de taux par la BCE.

Les revenus nets d'intérêt des banques italiennes, intérêts reçus moins payés, dont le gouvernement a décidé de taxer une grande partie de la hausse en 2022 et 2023, ont fortement augmenté depuis que la BCE a commencé à normaliser la politique monétaire.

En Italie et en Espagne, la hausse des revenus nets d'intérêt des banques en 2022 et 2023 est supérieure à ce qui est constaté pour la France et l'Allemagne. L'année passée l'Espagne avait déjà décidé d'une taxe sur les banques avant que l'Italie décide maintenant de taxer.

Il est toutefois à noter qu'en 2020 et 2021 la réduction du revenu net d'intérêts des banques de l'Italie et de l'Espagne avait largement excédé la diminution constatée en Allemagne. Et en France ce revenu net avait encore augmenté. La hausse de 2022 et 2023 est un rattrapage. Cela relativise les raisons, pour l'Italie et l'Espagne, de taxer spécifiquement les banques par rapport à d'autres secteurs. Le gouvernement veut utiliser le produit pour subventionner les prêts au logement et pour des baisses d'impôt

Est-ce économiquement et socialement une bonne idée ?

Eric Dor : Lorsque l'on évoque les banques, du point de vue de l'intérêt collectif, une certaine ambiguïté persiste. D'un côté, on peut argumenter qu'il existe un sens économique à prélever ou taxer les revenus excédentaires générés par les banques grâce à l'augmentation des taux d'intérêt décidée par la BCE. Ce surplus pourrait être redistribué à la collectivité. Cette perspective favoriserait ainsi l'intérêt général en rassemblant les diverses parties de la société.

D'un autre côté, l'intérêt collectif peut également signifier qu'il est crucial de ne pas répéter la situation de la crise de 2008-2009, où les banques ont dû être sauvées par les contribuables. Dans toute l'Europe, une forte demande sociale s'est fait entendre pour éviter que les banques ne soient à nouveau secourues par les contribuables. Pour atteindre cet objectif, les banques doivent démontrer leur solidité en disposant d'un capital suffisant pour affronter les crises qui se présentent régulièrement. Les exemples récents, tels que la crise de la banque californienne et de Crédit Suisse, illustrent que les banques restent vulnérables aux secousses. Dans cette optique, la rentabilité des banques est cruciale pour qu'elles puissent accumuler leurs fonds propres en interne, réduisant ainsi la nécessité d'un renflouement extérieur. Il n’y a donc pas intérêt à réduire la rentabilité des banques.  Le gouvernement italien essaie de mitiger ce risque en plafonnant la taxe à 25% des actifs nets, ou fonds propres, de chaque banque. Mais cette réduction potentielle de fonds propres est déjà très forte.

Il est important de maintenir un équilibre subtil en ce qui concerne l'intérêt collectif. D'une part, il peut être positif pour la population que les bénéfices bancaires soient en partie consacrés à subventionner des projets profitant à la collectivité. Cependant, d'autre part, si ces mesures accroissent le risque que les banques nécessitent des sauvetages financiers, cela pourrait finir par se retourner contre la population à long terme. C’est pour cela que la BCE va sans doute se prononcer contre cette mesure.

On peut penser que le gouvernement italien est allé un peu vite en besogne en annonçant cette mesure. Les annonces initiales ont eu un impact négatif sur les cours boursiers des banques. En réaction, le gouvernement a été contraint d'atténuer ces mesures en fixant des limites et en ajustant les critères de taxation : la taxe ne pourra excéder 0,5% de ses actifs totaux, 25% des actifs nets et ils réduisent aussi l’assiette de taxation. Cette situation témoigne d'une certaine inexpérience dans la gestion de ces questions.

Sur ces questions, on pourrait préférer l'approche française, qui consiste à limiter l'augmentation du revenu net d'intérêts des banques en fixant des planchers de taux d'intérêt, comme c'est le cas avec le Livret A et le LDDS.

Quelles sont les recettes possibles de cette taxe ?

Eric Dor : D'abord il est nécessaire d'estimer la base à taxer. Pour l'ensemble des banques en Italie, les revenus nets d'intérêt de 2022 ont excédé ceux de 2021 augmentés de 5%, de 7,333 milliards d'euros. Sous l'hypothèse que pour toutes les banques, 40% de ces revenus nets d'intérêt excédentaires reste inférieur à 25% de leurs actifs nets et 0,1% de leurs actifs totaux, le produit de la taxe rétroactive pour 2022 serait de 2,933 milliards d'euros C'est le maximum possible Pour 2023, il est nécessaire de formuler des scénarios sur les revenus nets d'intérêt des banques pour l'ensemble de l'année. Au 1er trimestre 2023, les revenus nets d'intérêt ont excédé ceux du même trimestre de 2022 de 42,1%. en fonction des scénarios retenus sur la poursuite des augmentations de taux par la BCE, les revenus nets d'intérêt de 2023 pourraient excéder ceux de 2022 bonifiés de 10% d'un total entre 8,749 et 27,267 milliards d'euros. Pour 2023, sous l'hypothèse que pour toutes les banques, 40% de ces revenus nets d'intérêt excédentaires reste inférieur à 25% de leurs actifs nets et 0,1% de leurs actifs totaux, le produit de la taxe serait alors entre 3,499 et 10,9 milliards d'euros. Ce sont bien sûr des estimations de recettes maximum.

Que penser de cette annonce au cœur du mois d’août ?

Eric Dor : Habituellement, le gouvernement italien prend ses vacances en août. Il y a quelques jours, avant le début des congés ministériels, le tout dernier conseil des ministres a eu lieu. À cette occasion, le gouvernement a utilisé ce que l'on appelle un "décret omnibus" dans leur terminologie italienne. En d'autres termes, un décret qui regroupe diverses mesures que l'on souhaite faire passer rapidement avant de partir en vacances. Ce genre de décret est souvent utilisé pour mettre en avant des initiatives en fin de période propice, lorsque l'attention des acteurs impliqués pourrait être réduite, tels que les banquiers qui sont probablement eux aussi en congé estival. Cela permet ainsi de faire passer des mesures discrètement et sans trop de résistance.

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