Gilbert Cette : “Ceux qui s’opposent aux rachats de RTT prétendent savoir mieux que les travailleurs ce qu’ils peuvent souhaiter!”<!-- --> | Atlantico.fr
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"Il faut laisser, au maximum, la possibilité pour les travailleurs d'arbitrer entre loisirs et rémunération"
"Il faut laisser, au maximum, la possibilité pour les travailleurs d'arbitrer entre loisirs et rémunération"
©http://pixabay.com

Flexibilité

L'économiste estime toutefois que le projet de loi actuel oublie de manière très problématique l'aspect de la négociation collective.

Gilbert Cette

Gilbert Cette

Gilbert Cette est professeur d’économie à NEOMA Business School, co-auteur notamment avec Jacques Barthélémy de Travail et changement technologique - De la civilisation de l’usine à celle du numérique (Editions Odile Jacob, 2021). Son dernier livre s'intitule Travailleur (mais) pauvre (Ed. DeBoeck, à paraître en février 2024).

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La majorité présidentielle, avec le soutien de LR, a voté en première lecture la possibilité d’une monétisation des RTT. Que penser de cette mesure ?

Gilbert Cette : Je suis très favorable au principe de cette mesure. Il faut laisser, au maximum, la possibilité pour les travailleurs d'arbitrer entre loisirs et rémunération, en particulier en cette période où le pouvoir d’achat est entamé par une forte inflation importée. Et donc laisser aux travailleurs la possibilité de racheter des réductions du temps de travail. Historiquement, et aussi au moment des 35 heures, les réductions du temps de travail ont été financées par les gains de productivité. Plus précisément, les gains de productivité étaient alors suffisants pour financer une amélioration du niveau de vie qui prenait la forme à la fois d’une augmentation des salaires et du pouvoir d’achat et une augmentation des loisirs via la réduction du temps de travail. Nous n’en sommes plus là : en France comme dans les autres pays européens, les gains de productivité sont très faibles depuis 2005 et même nuls depuis la crise COVID, et le pouvoir d’achat est actuellement entamé par l’inflation importée. De nombreux salariés peuvent alors préférer échanger leur RTT contre du salaire. Il est donc très opportun, dans la période actuelle, de donner aux travailleurs la possibilité de choisir. Cela peut contribuer à la défense du pouvoir d’achat, avec d’autres mécanismes comme les dispositifs déployés par l’Etat et qui ont en France une ampleur nettement plus élevée que ceux déployés dans les autres pays européens.  

La gauche, qui s’oppose au projet, estime que les salariés ne vont pas avoir la liberté de choisir car dans le rapport de force, les employeurs ont la main. Est-ce véritablement le cas ? 

Cet argument me semble inspiré par une approche très datée, qui fait fi de la démocratie sociale. Certains prétendent savoir mieux que les travailleurs ce qu’ils peuvent souhaiter! Mais les seuls à pouvoir s’exprimer au nom des travailleurs sont leurs représentants, dans les branches et les entreprises, légitimés par les élections professionnelles. C’est pourquoi il me semblerait souhaitable que, de la même façon que les 35h devaient être organisées par accord collectif, les possibilités de rachat de RTT soient encadrées par des accords collectifs, négociés par les partenaires sociaux au niveau de l’entreprise. Je regrette vivement que ce projet ne donne pas d’espace à la négociation collective et aux partenaires sociaux, et c’est sur cet aspect que, dans ses termes actuels, ce projet est un pas en arrière dans la démocratie sociale. Il faut laisser aux partenaires sociaux la responsabilité de trouver ici comme sur de nombreux autres domaines leur point d’équilibre entre les besoins des entreprises, surtout en cette période de difficultés de recrutement, et les aspirations des travailleurs, dans le contexte actuel d’un pouvoir d’achat rongé par l’inflation.

Le rapport de force est-il actuellement plus en faveur du salarié que de son employeur ?

Ici comme dans de nombreux domaines, il faut évidemment éviter un simple face-à-face déséquilibré et non encadré du travailleur avec son employeur. C’est tout le sens d’une mutation profonde et permanente de notre droit social, ouverte par une autre gauche via les lois Auroux en 1982. Dans de nombreux articles et ouvrages, Jacques Barthélémy et moi avons, sur les deux dernières décennies, théorisé ce changement et préconisé les modalités de son extension, pour laisser une place croissante aux normes construites par la négociation collective. Cette démarche est particulièrement appropriée dans notre pays où trop de règles sont réglementaires, uniformes et en conséquence à la fois peu efficaces sur le plan économique et peu protectrices des travailleurs, comme en témoigne un taux de chômage élevé. Les Ordonnances Travail de septembre 2017 et la loi Pénicaud de mars 2018 ont très fortement amplifié cette démarche, en élargissant considérablement les domaines où les partenaires sociaux peuvent trouver des points d’équilibre, par des accords collectifs résultant de leurs négociations. A titre d'exemple, les ordonnances Travail donnent même aux partenaires sociaux la possibilité, via des Accords de Performance Collective, de baisser les salaires quand la santé de l’entreprise est menacée. Et le refus d’un salarié des termes d’un tel accord peut même constituer une cause réelle et sérieuse de son licenciement! Ce sont des pouvoirs énormes, mais ils appartiennent au champ de la négociation collective, et donc aux partenaires sociaux. Dans les cas où il n’y a pas de représentants dans l’entreprise, les textes prévoient des solutions : des accords de branche d’application directe par exemple. Ce sont les lois Aubry qui ont inventé cette possibilité. Dans certains cas extrêmes, on peut même envisager des possibilités de référendum. L’ouverture au rachat des RTT est souhaitable, mais elle doit être médiatisée, organisée et encadrée par la négociation collective. C’est aux partenaires sociaux d’en décider. L’approche actuellement suivie passe à côté de cette évolution et cela est dommage. Mais l’opposition frontale et totale à cette flexibilité l’est au moins tout autant, ses arguments sont d’une autre époque...

(1) dernier ouvrage : « Travail et changements technologiques - de la civilisation de l’usine à celle du numérique », éditions Odile Jacob.

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