Gifle lors du déplacement présidentiel dans la Drôme : De l’importance des rites<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors de son déplacement à Tain-L'Hermitage, dans la Drôme.
Emmanuel Macron lors de son déplacement à Tain-L'Hermitage, dans la Drôme.
©PHILIPPE DESMAZES / POOL / AFP

Tain-l'Hermitage

La gifle reçue par Emmanuel Macron lors de son déplacement dans la Drôme rappelle un curieux rite mésopotamien, qui consistait à gifler le roi. Un moyen de lui rappeler qu'il n'était que simple mortel...

Raphaëlle Auclert

Raphaëlle Auclert

Raphaëlle Auclert est chargée de cours à l'Institut Catholique de Vendée (ICES) et membre du Centre de Recherches de l'ICES.
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On avait beau savoir que les derniers présidents avaient depuis longtemps désacralisé la fonction (ou ce qu’il en restait) à coups de « pauv’cons », de Disneyland, de scooters, de jetskis et de non moins improbables McFfly et Carlito faisant des galipettes sur la pelouse de l’Elysée… pourtant, la nouvelle de la gifle administrée au président mardi dernier en a laissé nombreux incrédules. Pour rappel, à la suite de la visite d’un lycée hôtelier ce mardi, le chef de l’Etat s’est offert un petit bain de foule où un jeune homme, féru de Moyen Age, en a profité pour lui décocher une mornifle en entonnant un « Montjoie Saint Denis, à bas la macronie ! ».

Bien qu’il n’y ait pas eu mort d’homme, à la différence des attentats frappant nos concitoyens au son d’un autre cri de guerre que tout le monde connaît, on ne peut bien sûr que s’interroger sur les causes d’un tel assaut, aussi inédit qu’insolite. Nous entendons par causes non pas les motifs personnels de ce Godefroy de Montmirail en jean et T-shirt, mais les racines politiques auxquelles son geste le rattache. Ainsi, faut-il y voir, à la suite de syndicats de policiers, l’extension du domaine de l’insécurité, qui frappe maintenant sans distinction les dépositaires de l’autorité de l’Etat, y compris ladite « fonction suprême » en la personne du président ? Ou avons-nous affaire à un nouvel avatar des régicides qui, depuis François Ravaillac jusqu’à Maxime Brunerie, en passant par Lee Harvey Oswald, ont incarné la main vengeresse du peuple contre un dirigeant qui aurait trahi ses attentes ? En effet, bien que symbolique, le coup porté au président n’en est pas moins une atteinte à sa dignité et à l’intégrité de son statut. Ces hypothèses ne sont certes pas à exclure, mais elles ne sont elles-mêmes, nous semble-t-il, que les effets secondaires d’un phénomène archaïque qui touche au lien, aussi puissant qu’intime, liant le gouvernant et ses gouvernés. Pour tenter de le saisir, on ne saurait faire l’économie d’un voyage (éclair) dans l’antiquité, théâtre d’un rituel méconnu qui nous intéresse aujourd’hui particulièrement : la gifle au roi.

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De quoi la gifle donnée à Emmanuel Macron est-elle vraiment le nom ? 

Nous sommes au dix-huitième siècle avant notre ère, en Mésopotamie, berceau de notre civilisation : c’est là que sont apparues les origines de l’agriculture, de la ville, de l’écriture, du commerce, des structures politiques et juridiques des Etats (avec le code de Hammourabi, notamment).[1] Or, à l’occasion du Nouvel an, il existait un curieux rituel qui se déroulait au grand temple de Babylone : après avoir déposé ses attributs royaux, le roi faisait allégeance au dieu Assur. Tout d’abord, il déclamait les engagements qu’il avait tenus envers ses prêtres et son peuple, suivant une longue liste préétablie. Puis le grand prêtre, incarnant Assur, assénait une gifle magistrale au roi, dont la joue devait se couvrir de larmes, signe de présages favorables pour l’année à venir.

Bien que surprenante de prime abord, cette humiliation du roi à l’occasion du Nouvel an visait un double but : le premier, cathartique, permettait d’évacuer de possibles ressentiments envers le souverain par le biais de ce châtiment ; le second, prophylactique, lui rappelait que, pour tout-puissant qu’il fût – lui qui ne dédaignait pas à se faire appeler le maître de l’univers –, une fois déposés son sceptre et sa couronne, il n’en demeurait pas moins un simple mortel. Ce coup porté au visage le ramenait à une certaine humilité, le contraignant à ne pas négliger ses devoirs, à tenir ses promesses et reconnaître ses torts.

En 2021 à Tain-l’Hermitage, il est évidemment peu probable que l’auteur de cette « gifle au roi », qui n’était pourtant pas en reste de références historiques, eût en tête le rituel babylonien au moment d’accomplir son geste. Néanmoins, il existe de manière indéniable des permanences dans les représentations des hommes et leur rapport au pouvoir. Et si, il y a 4000 ans, les lointains pères de notre civilisation prêtaient à une gifle un pouvoir sacré au point d’en faire, paradoxalement, le fondement de la légitimité de leur roi, on peut s’attendre à retrouver dans notre société, dissimulée dans ce geste, une symbolique voisine. En outre, il n’est pas anodin qu’il survienne précisément à l’aune d’une nouvelle année (la veille du déconfinement, qui ouvre une nouvelle ère de possibles) et qu’il ne frappe nul autre qu’un souverain connu pour son arrogance et ses promesses vite oubliées.

La morale de ce détour par Babylone, s’il y en a une, est donc la suivante : en renonçant aux rituels cathartiques et au renouvellement symbolique du pacte scellé entre le souverain et les membres de la société, le président français s’est exposé à un sursaut primitif surgi des tréfonds du peuple et de son inconscient politique.

A y réfléchir, il est inexact de dire qu’Emmanuel Macron et ses prédécesseurs ont désacralisé leur fonction : cela est impossible car le pouvoir est d’essence sacrée et, quoi que le président dise ou fasse, sa personne restera  nimbée de croyances ancrées dans le cœur des Français, pour le meilleur comme pour le pire. En revanche, il est certain que les derniers locataires de l’Elysée ont déritualisé leur présidence en faisant le choix de la communication, bien souvent vide, inerte et à sens unique. Là est tout le problème.

A l’inverse, renouer avec cette geste immémoriale – autres temps, autres mœurs, il faudrait donc trouver de nouvelles formes à ces rites – représenterait tout à la fois un gage d’absolution et de confiance qui ne serait que bénéfique à sa popularité. Au lieu de condamner unanimement un malotru et de verser dans la paranoïa, peut-être la classe dirigeante serait-elle bien inspirée de s’interroger sur la signification profonde de ce comportement, aux niveaux tant politique qu’anthropologique, et sur la rupture du dialogue organique entre le pouvoir et son peuple que cette violence dénonce en creux. Mais le veut-elle seulement ?


[1] Samuel Noah Kramer, L’histoire commence à Sumer, Flammarion, Paris, 2015 (première édition : 1956).

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