GIEC : quel futur pour l’expertise climatique ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Kari de Pryck publie « GIEC : la voix du climat » aux éditions Les Presses de Sciences Po.
Kari de Pryck publie « GIEC : la voix du climat » aux éditions Les Presses de Sciences Po.
©Patricia De Melo MOREIRA / AFP

Bonnes feuilles

Kari de Pryck publie « GIEC : la voix du climat » aux éditions Les Presses de Sciences Po. Sur un ton de plus en plus insistant, la voix du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) se fait entendre partout. Nul ne peut ignorer que les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère ne cessent d’augmenter, que les impacts du dérèglement climatique se font sentir sur tous les continents et qu’il existe des solutions pour l’affronter. Extrait 2/2.

Kari De Pryck

Kari De Pryck

Kari De Pryck est postdoctorante, boursière du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS), et chercheuse associée au laboratoire PACTE de l’Université Grenoble Alpes.

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Le prix du succès du GIEC tient donc en une institutionnalisation qui, selon de nombreux observateurs et participants, a fini par rendre son organisation trop bureaucratique, trop lente et trop politique. Selon Thomas Stocker et Gian-Kasper Plattner, chargés du cinquième rapport du Groupe I, « la charge de travail pour les scientifiques est devenue plus lourde après chaque cycle, ce qui amène certains à se demander s’ils peuvent se permettre de s’engager dans les prochaines évaluations ». En amont de la préparation du sixième rapport, de nombreuses voix se sont alors élevées pour demander une réforme. Les recommandations portaient sur la fréquence des rapports (annuelle ou pluriannuelle), leur portée (complète ou thématique), la diversité des participants aux évaluations (étatiques et non étatiques) et le type d’informations évaluées (globales ou régionales).

Thomas Stocker et Gian-Kasper Plattner, mentionnant les difficultés liées à la « digestion des montagnes d’informations », proposent d’étendre le cycle d’évaluation à huit ou dix ans pour améliorer la coordination entre les groupes de travail et permettre la publication de rapports thématiques transversaux. À l’inverse, Arthur Petersen, chercheur et délégué pour les Pays-Bas, appelle le GIEC à augmenter la fréquence de ses publications afin de répondre au besoin continu d’informations pour les décideurs et à faciliter la mise à jour régulière de ses évaluations, en adoptant par exemple un mécanisme de mise à jour en ligne.

En faveur d’une réforme plus radicale, Mike Hulme propose de dissoudre le GIEC et de créer trois institutions : un Global Science Panel, qui produirait des évaluations des sciences physiques sur des thématiques émergentes d’importance scientifique et politique ; des Regional Evaluation Panels, qui conduiraient des évaluations des connaissances expertes et non expertes sur les dimensions socio-économiques du changement climatique pour chaque région ; et enfin, un Policy Analysis Panel qui effectuerait des évaluations des options politiques pour lutter contre le réchauffement climatique. L’originalité de cette proposition consiste à plaider également pour la participation d’un plus grand nombre d’acteurs, notamment les académies nationales des sciences, les représentants des ONG, de la société civile et du secteur des affaires. Pour Mike Hulme « il n’est pas possible, pour un seul groupe sous le contrôle exclusif des gouvernements du monde, [...] de fournir une évaluation exhaustive qui intègre toutes les connaissances sur le changement climatique ». Ce constat rejoint la critique de nombreux auteurs qui dénoncent l’ingérence des États dans le processus d’évaluation et plaident pour la création d’une organisation indépendante, ou plus équilibrée et ouverte à une plus grande diversité d’acteurs non étatiques. Selon David Victor, l’un des rares politologues ayant participé à la rédaction du cinquième rapport, le GIEC devrait s’entendre sur une liste de thèmes jugés trop controversés pour être examinés en son sein, qui seraient évalués par un mécanisme parallèle – tels que le design de la coopération internationale, la gouvernance de la géoingénierie ou encore la catégorisation des pays.

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De nombreux chercheurs en sciences sociales critiquent également l’approche globalisante et sans arêtes des évaluations du GIEC, soutenant que « cette homogénéisation des savoirs, détachée des valeurs locales, privilégie les disciplines positivistes au détriment des approches interprétatives, et détourne l’attention de la manière dont le changement climatique est vécu, compris et pris en compte dans des lieux spécifiques et par différentes cultures, créant une compréhension “plate” et “fragile” [du changement climatique], ouverte à la critique ». David Victor souligne par exemple l’importance d’accroître la participation des chercheurs en sciences sociales (politologues, sociologues et anthropologues) pour comprendre comment nos sociétés font face au changement climatique. James Ford et ses collègues plaident pour une meilleure prise en compte des perspectives et visions du monde des peuples indigènes dans les évaluations du GIEC10. Enfin, David Viner et Candice Howarth mentionnent l’importance d’intégrer l’expérience des praticiens afin de rendre les évaluations plus accessibles aux acteurs chargés de la mise en œuvre des politiques climatiques.

Ces débats ont également eu lieu au sein du GIEC. Le futur de l’organisation a été évoqué entre 2013 et 2015 par l’Assemblée plénière, dans un groupe de travail dédié à cette question. Sur la base des propositions faites par les représentants des États membres et des organisations observatrices, plusieurs options ont été envisagées. Certains ont proposé des changements substantiels de la structure de l’organisation – par exemple la réduction de la durée des cycles d’évaluation ou la fusion de certains groupes de travail – et du format de ses rapports – notamment accorder une importance accrue au rapport de synthèse et à l’évaluation des informations régionales. D’autres, au contraire, ont exprimé un certain conservatisme : « pourquoi changer une équipe qui gagne ? » Dans l’incapacité de choisir parmi ces multiples propositions de réforme, les représentants des États membres ont décidé de garder la structure du GIEC intacte, tout en accordant une certaine flexibilité dans la conduite du sixième rapport, en soulignant par exemple l’importance des thématiques transversales.

Le débat sur l’avenir de l’organisation s’est également invité dans le cadre de l’élection des membres du Bureau pour le sixième rapport, les candidats faisant part de leur vision pour le futur des évaluations. Plusieurs enjeux ont suscité des discussions particulièrement animées :

– la qualité et la pertinence politique des rapports, le GIEC devant tirer avantage de sa proximité avec les décideurs, tout en préservant son intégrité ;

– la coordination entre les groupes de travail, pour accroître la cohérence entre les évaluations et l’intégration des connaissances ;

– la communication des conclusions, afin d’améliorer leur lisibilité et de répondre aux besoins d’informations régionales des décideurs et du public ;

– l’émergence de nouvelles questions, en particulier liées aux enjeux socio-économiques du changement climatique (adaptation, réduction de la pauvreté, développement durable, solutions, etc.) ;

– l’importance d’accroître la participation des experts des pays en développement.

Le dynamisme et la personnalité de la nouvelle équipe du Bureau semblent marquer un tournant dans la gouvernance du GIEC. Alors que les cycles précédents avaient été critiqués pour leur « fonctionnement en silo », le sixième cycle a vu se déployer un effort sans précédent de coopération entre et au sein des groupes de travail, fortement encouragée par les coprésidents des groupes. Ainsi, les rapports spéciaux sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 o C (SR15) et sur le changement climatique et les terres émergées (SRCCL) ont été produits conjointement par les trois groupes tandis que le Rapport spécial sur les océans et la cryosphère dans un monde dont le climat change (SROCC) est le fruit d’une collaboration entre les Groupes I et II.

Le débat sur la réforme du GIEC, qui va bientôt s’inviter dans les discussions sur le septième cycle d’évaluation, montre à quel point les opinions divergent sur la manière d’organiser les évaluations futures de l’organisation, une situation qui finit par privilégier, en l’absence de consensus, une approche relativement semblable aux configurations précédentes. Il met également en évidence les limites de ce que l’on peut attendre d’une évaluation intergouvernementale. En atteste la multiplication, ces dernières années, de publications nationales, chargées de produire des évaluations plus adaptées aux contextes régionaux et nationaux. Ce développement reflète une volonté de se réapproprier l’expertise climatique à différentes échelles. L’Inde a par exemple créé en 2009 un « GIEC indien », le Indian Network for Climate Change Assessment, pour encourager une meilleure représentation des enjeux régionaux des changements climatiques et éviter des erreurs telles que l’Himalayagate. En France, le ministère de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie a commissionné en 2010 un rapport sur l’évolution climatique en France au XXIe siècle, sous la direction de l’éminent climatologue et membre du GIEC, Jean Jouzel.

À l’échelle locale, des « mini GIEC » ont également vu le jour, à l’instar du New York City Panel on Climate Change fondé en 2009. La Métropole Rouen Normandie a lancé en 2019 un « GIEC normand », chargé de faire le diagnostic des impacts du changement climatique dans la région. Cette initiative fait suite à un effort similaire conduit en Aquitaine en 2013 par une autre personnalité du GIEC, Hervé Le Treut. Si ces évaluations n’entendent pas faire de l’ombre aux travaux du GIEC, elles sont souvent plus adaptées aux questionnements des États et des acteurs territoriaux chargés de la mise en œuvre des politiques climatiques.

Extrait du livre de Kari de Pryck, « GIEC : la voix du climat », publié aux éditions Les Presses de Sciences Po

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