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Géolocaliser les élèves pour savoir s’ils sont en cours : la très fausse bonne idée de la rentrée
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

"Flicage" des élèves ?

Les élèves du collège-lycée privé parisien Rocroy-Saint-Vincent de Paul seront munis dès la rentrée d'un porte-clés connecté. Ce dispositif va permettre de traquer les absences des collégiens et lycéens. Est-ce une bonne idée d'imposer ce type de gadgets à des individus qui sont dans un âge où ils se structurent mentalement ? N'est-ce pas là envoyer un message très négatif à ces derniers ?

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico.fr : Les élèves du collège-lycée privé parisien Rocroy-Saint-Vincent de Paul seront munis dès la rentrée d'un porte-clés connecté qui permettra de traquer les absences des élèves. Un flicage en règle qui évidemment suscite la colère des intéressés. Mais concrètement, est-ce une bonne idée, pédagogiquement parlant, d'imposer ce type de gadgets à des individus qui sont dans un âge où ils se structurent mentalement ? N'est-ce pas là envoyer un message très négatif à ces derniers ?

Pascal Neveu :Il ne me semble pas que la connexion d'un élève relève de la moindre pédagogie ! Tout comme la détection dématérialisée d'absentéisme. Au contraire, la pédagogie s'intéresse à l'éducation des enfants, et les méthodes d'enseignement. Pas le "flicage" comme vous l'exprimez fort justement.
Je comprends pleinement la levée de bouclier des parents et des élèves, tout en me questionnant sur cette ancienne élève qui a développée une telle application. Quel est son profit psychique et financier ?
Ce porte-clé (j’espère qu’il est beau… déjà l’idée de « badger » un enfant via un porte-clé… à quand la puce dans la main ?) amène plusieurs questions:
  • Quid de la dimension humaine de l'appel et de la reconnaissance identitaire de l'enfant par son professeur et donc la relation d'enseignement qui doit se créer à travers le regard et le nom?
Nous existons via le regard de l'autre qui nous dit qui nous sommes et qui nous ne sommes pas. Autant dire l'importance de l'enseignant qui nomme son élève, le reconnaît et « l’élève » au sens noble du terme.
  • Quid d’éventuels hackers qui seraient capables de suivre tous ces élèves et donc être capables de connaître toute leur vie ? Et en faire quoi ?
A part des prédateurs fortement dénoncés et condamnés… La liberté est un des tryptiques de notre République.
Mais la protection des enfants et des adolescents l’est tout autant. Ce système apparaît à tout niveau tellement dangereux.
L’introspection de la direction de cet établissement semble davantage prioritaire que l’usage d’un système qui pourrait être apparenté à ce codage nous renvoyant aux pires moments de notre histoire. Je n’ose pas penser de telles choses et suis dans l’idée que toutes et tous ont bien voulu faire les choses.
Les juristes se prononceront quant à l’illégalité de ce qui semble imposé impunément par une école catholique sous contrat qui, nous le souhaitons, n’est pas dans l’inquisition ou sous le serment de la doctrine de la foi.
Il est question d’enfants, de leur éducation, de leur développement… certes à travers des valeurs et règles, mais pas de flicage contre-productif.

Quelles conséquences cela pourrait-il avoir chez les élèves du point de vue de leur développement personnel ? Quel rapport avec l'autorité ce genre de démarche pourrait-elle faire développer ?

Les adolescents vivent une turbulence caractérisée par le désir de s’émanciper du terreau familial, le remettant en cause, tout en y restant fort attaché, dans un désir d’émancipation et de construction personnel.
Plus clairement il s’agit de redéfinir le nom du Père et se l’approprier, même si dans la majorité des cas, l’enfant ne fera que continuer à faire vivre et évoluer le modèle parental.
Or, si l’on confie à un enfant ce qu’il va vivre comme étant une sorte de bracelet électronique, il va soit s’y soumettre, soit s’y opposer
Ce système ne peut que provoquer des ressentis  extrêmes et donc des comportements extrêmes de soumission ou d’opposition/rejet.
L’autorité est au cœur du problème de l’élève.Dans la majorité des cas tout se passe bien. Mais il y a ces extrêmes qui posent souci et, pris à temps, ces jeunes sont bien gérés.
Ajouter un tel carcan ne peut qu’être ressenti que comme un œil super-paternel insupportable pour ces jeunes. « Pas de Père supérieur » pourraient-ils clamer.
Nous aurons alors une absence de demi-mesure : celles et ceux qui adhèrent complètement, et les autres qui vont s’y opposer de manière radicale.
Aucune place à un entre-deux car le « flicage » ne permet aucun entre-deux.
Le jeune va justement « psychoter » cette absence de liberté qu’il réclame. L’élève a besoin de s’expérimenter aux interdits, aux transgressions. Il a pleinement conscience de ses actes, des ses erreurs, des ses bêtises, de ses fautes et des punitions.
Nous avons besoin d’une jeunesse créative, qui réfléchit et donc est en lien avec son vécu… positif… et ses erreurs.
Sinon, des enfants « badgés » risquent de devenir des adultes autonormés incapables d’esprit critique, car structurés et angoissés.
Pire, se révoltant à un moment donné.
Imaginons-nous « badgés ».
Nous le sommes déjà via nos smartphones et autres… notre vie n’a plus de secret… MAIS nous en avons conscience, en tant qu’adultes.
Le mettre en place chez des enfants aurait quelles conséquences quant à l’acceptation d’une future puce implantée ?

Au contraire, ne serait-ce pas la période où il faudrait laisser de plus en plus d'autonomie aux élèves ? Ne serait-ce pas mieux du point de vue de leur développement personnel ?

Comme je le disais, l’adolescence  est la période d’expérimentation de soi… faite de transgressions, de pas de côtés, d’erreurs, mais aussi de vérités.
La personnalité commence à se construire dès l’enfance, notamment le non des 2 ans, l’affirmation des 3 ans, mais surtout l’adolescence.
Aussi, une entrave telle qu’un porte clé  durant cette période serait délétère et n’engendrerait que des « mêmes ».
Nous avons, pour un plus grand nombre, expérimenté ne serait-ce que l’école buissonnière… Nous nous sommes expérimentés aux mensonges. Nous nous sommes confrontés aux punitions et sanctions.
En sommes-nous morts ?
En sommes-nous devenus délinquants ? 
Et si jamais nous avions reçu un tel « gadget »… n’aurions-nous pas eu envie de le transgresser ? de le manipuler ?
Saint Vincent de Paul  n’écrivait-il pas « J’ai peine de votre peine »?
Mais il n’est pas de peine… sauf celle de se retrouver avec un bracelet électronique… qui je l’espère… n’est pas connecté auprès de…
Merci cette invention de cette école privée et surtout merci la levée de bouclier des parents… car pour rappel même s’il s’agit d’éducation nationale (et donc en respect de la loi) l’éducation est du registre des parents, l’enseignement de l’école !
Chacun doit s’en rappeler, il me semble…

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