Génération parcimonie : pourquoi l’économie ne sera bientôt plus la même avec la montée en puissance de la génération Y<!-- --> | Atlantico.fr
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La génération Y ne consomme plus autant que celles qui l'ont précédée.
La génération Y ne consomme plus autant que celles qui l'ont précédée.
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Révolution

La génération Y - les personnes nées entre 1980 et le début des années 2000 - ne consomme plus autant que celles qui l'ont précédée. Que ce soit par choix ou par contrainte, face à ces nouveaux modes de vie, les acteurs économiques ne peuvent que s'adapter ou disparaître.

Olivier Rollot

Olivier Rollot

Olivier Rollot est un journaliste spécialisé dans l'éducation et la jeunesse. Depuis 2012, il est le directeur exécutif du pôle communication et relations presse pour le cabinet Headway Advisory, spécialisé dans le conseil et la formation des acteurs de l'enseigment supérieur et de la formation. 

Il a publié en 2012 Génération Y aux éditions PUF.

 

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Dominique Desjeux

Dominique Desjeux

Dominique Desjeux est professeur émérite à la Sorbonne, université de Paris. Il est le directeur de la Formation doctorale professionnelle en sciences sociales et responsable du Centre de Recherches en SHS appliquée aux innovations, à la consommation et au développement durable. 

Il est aussi notamment co-auteur, avec Fabrice Clochard, de "Le consommateur malin face à la crise. : le consommateur stratège" (juillet 2013) aux éditions de L'Harmattant

Il vient de publier L’empreinte anthropologique du monde. Méthode inductive illustrée, Peter Lang

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Atlantico : Aux Etats-Unis, pour tenter de contrer la faible demande dans le domaine de l’automobile, Ford avait lancé en 2009 une vaste opération com’ autour de son modèle Fiesta, en le confiant à des bloggeurs sous réserve que ceux-ci parlent de leur expérience. L’opération ne fut pas un franc succès. Les jeunes, ceux qu’on appelle la génération Y, sont-ils de "mauvais consommateurs" pour les industries traditionnelles ?

Dominique Desjeux : Il faudrait d’abord diversifier les jeunes en fonction de leurs revenus, qui constituent la contrainte centrale aujourd’hui. Tant qu’ils avaient du pouvoir d’achat, il y avait encore une place pour les valeurs et l’imaginaire dans la consommation, c'est-à-dire depuis les années 60 jusqu’aux années 2000. Depuis 2008 et la crise, pour une partie des jeunes le pouvoir d’achat a diminué, disparu, ou n’augmente pas. La fraction des plus aisés n’a, naturellement, pas de problème majeur. J’entends par là que l’histoire de la consommation des jeunes est pour une grande part liée à la question du pouvoir d’achat.

L’effet génération est très compliqué à analyser : celles qu’on a vraiment pu isoler, ce sont celles de la Résistance et de 1968, car pour qu’il y ait une génération il faut une expérience commune. Aujourd’hui ce sont ceux qui ont la quarantaine qui arrivent aux postes à responsabilité, c’est-à-dire les enfants de la génération 68, mais quel est leur marqueur commun ? Je vous défie de le trouver. Pour la "génération Y", on identifie tout de même un marqueur, qui est la crise de 2008. A cause de la crise et du fort taux de chômage, les modes de consommation ont changé. Pour des raisons de contrainte, donc. C’est là qu’on voit émerger soit des modes de consommation plus économes, comme le covoiturage ou la location, soit des modes de consommation non monétaires, non marchands.

Donc on consomme moins, on achète moins cher, et on sort de la consommation marchande : les jeunes sont plus sensibles à ces trois mécanismes-là, car ils sont les groupes sociaux les plus démunis. Plus que par valeurs, c’est par contrainte qu’ils se tournent vers ces modes de consommation. Cependant vient s’ajouter à cela le phénomène de dissonance cognitive, dont le plus fameux exemple est la fable du Renard et des raisins, de Jean de la Fontaine : un renard voyant de beaux raisins se dit qu’il va les manger. Sauf qu’ils sont trop hauts pour qu’il les attrape. Le renard se détourne alors en se disant qu’ils sont "trop verts pour être mangés". Moralité, lorsque l’on ne peut pas obtenir quelque chose, on change son système de valeurs. C’est ce qui me fait dire que les valeurs attribuées à la génération Y sont adoptées pour résoudre la dissonance cognitive entre les envies de consommer que l’on a et les moyens financiers que l’on n’a pas. Cela n’enlève rien à ces valeurs : simplement, il ne faut pas confondre causes et conséquences.

Les 15 à 35 ans représentent tout de même une très large frange de consommateurs. Dans quelle mesure leur moindre intérêt pour le fait de posséder – que ce soit sous l’effet de la crise ou par choix délibéré – va-t-il redessiner les contours de notre économie ?

Dominique Desjeux : Aujourd’hui on se dirige vers une consommation plus durable, économe, collaborative… bref, des mots qui reviennent au même : la part de consommation marchande va diminuer par rapport à celle dont on se charge soi-même. Comme on va réaliser de plus en plus de choses par soi-même, mécaniquement cela va enlever des parts de marché aux entreprises industrielles classiques. C’est l’ensemble de la grande et de la petite distribution qui va être touché par le fait que la jeune génération va essayer de s’en sortir en sortant justement de ces circuits traditionnels. Les jeunes passent par internet, via Le Bon Coin ou Price Minister, ce qui leur permet d’acheter moins cher, voire de récupérer, sur certains sites, des choses données, tout simplement.

Une économie alternative se développe, on le voit bien. Cela change tous les business models, car on en arrive à court-circuiter toutes les charges fixes des entreprises traditionnelles. Les entreprises de vente par correspondance n’ont pas pris le pli d’internet, car elles avaient des charges fixes trop élevées. Ceci entraîne du chômage, donc moins de consommation, ce qui actionne un cercle vicieux. Celles qui s’en sortent, ce sont celles qui sont positionnées à l’international. Le low cost et le hard discount sont partout. On le voit, Air France n’a pas d’autre choix que de s’adapter ; les grands magasins ont remplacé les petits, puis les grandes surfaces sont apparues, et les hypermarchés, et les hard discounts… Dans ce phénomène général, on se rend compte qu’une partie des salariés ne sert à rien économiquement parlant. Jusqu’ici le politique pouvait compenser par de la redistribution, mais que voulez-vous redistribuer aujourd’hui, vu les niveaux d’endettements ?

Face à la crise, le retour en force de l’économie familiale chez la jeune génération pourrait-il profondément affecter notre économie ? Selon quelles modalités ?

Dominique Desjeux : On se dirige probablement vers un "retour" à une espèce d’économie familiale qui a toujours existé dans les sociétés agraires et les familles les plus démunies. Le plein emploi n’étant plus possible, il va falloir que la famille, quelle que soit sa forme, assure son logement et sa consommation en n’ayant qu’un seul membre qui gagne sa vie. Il est aujourd’hui difficile d’assumer seul le logement, la consommation, les loisirs, la mobilité, etc. Etre deux devient quasiment une nécessité, non pas par amour, mais par contrainte économique. Les deux ne pouvant pas travailler, à cause de l’état du marché de l’emploi, l’un des membres du couple devra produire de façon non payée ce qui est nécessaire à la survie de la famille. Traditionnellement, les femmes ont toujours travaillé : agricultrices, femmes d’artisans, femmes au foyer… Ce qui change aujourd’hui, c’est que ce n’est pas forcément la femme qui reprendra cette fonction, mais l’un des membres du couple, quel que soit la forme de ce dernier. La structure ancienne pourrait donc se remettre en place autour de la forme de consommation nouvelle, qui est collaborative.

Dans une étude menée par le Boston Consulting Group aux Etats-Unis sur les priorités des moins de 35 ans en termes de consommation (voir ici), les fruits et légumes frais, le bio, les produits naturels et respectueux de l'environnement occupent le haut du tableau. Qu'en est-il en France ? Dans quel sens les habitudes de consommation de la génération Y évoluent-elles chez nous ?

Olivier Rollot : Quand on les interroge les étudiants français répondent comme les Américains que leurs priorités vont à une bonne alimentation, un équilibre de vie qui passe par le sport, les nourritures saines, l’exercice. Mais dans les faits, tout le paradoxe de la génération Y (millenial) c'est qu'à la fois elle se projette dans une dimension écolo et responsable et ne l'est pas tellement pendant ses études où les phénomènes d'alcoolémie, d'addiction à la drogue prennent des dimensions parfois inquiétantes. Aujourd’hui tout étudiant (et toute étudiante !) est susceptible de se retrouver dans des états d’alcoolémie avancés qui étaient réservés à une petite minorité il y a vingt ou trente ans. Tout se passe en fait un peu si la génération était "double" : on s'éclate pendant ses études (tout en travaillant sérieusement) avant d'adopter une attitude responsable quand on sera dans la vie active.

En bas du tableau présentant les préoccupations des jeunes américains, on peut voir les sorties au restaurant, les marques de luxe ou encore les applications pour smartphone. On a du mal à croire que l'ensemble des jeunes Français se privent de tout cela. Le virage est-il dans les habitudes de consommation est-il à ce point radical ?

Olivier Rollot : Les jeunes Américains sont-ils en avance sur nous, comme c’est souvent le cas, ou leurs réponses sont-elles très différentes des jeunes français ? On ne décèle en tout cas pas aujourd’hui chez les jeunes consommateurs français des habitudes si nouvelles. Les marques de luxe sont toujours un marqueur fort auquel les jeunes sont très attentifs et qui leur permettent d’exprimer leur (apparent) bien être. Quant aux applications pour smartphones, elles sont leur quotidien. Mais tout peut changer très vite et ce qui est le plus à la mode devenir totalement ringard. A suivre… 

Qu'en est-il des services ? Est-ce cette génération qui est à la base du succès de sites comme ceux consacrés au covoiturage ? En un sens peut-on dire qu'ils ont mieux "pris le pli" de la réalité économique actuelle que leurs aînés?

Olivier Rollot : Ce qui est clair c'est que les jeunes générations sont "partageuses". Posséder c'est se faire voler ! Covoiturage, colocation, mise en commun de tout ce qui peut l'être sont leur lot commun. En cela ils sont très en avance sur des générations qui n'imaginent pas pouvoir ne pas posséder de voiture, pour prendre un bien emblématique des Trente glorieuses, et encore moins de partager un sac Vuitton ou une robe Gucci comme le font de plus en plus de jeunes sur les sites de partage. Grâce à l’Internet ils peuvent adopter de nouveaux modes de consommation et ne s’en privent pas !

Pour autant, la génération Y est-elle aussi raisonnable et saine dans ses modes de consommation que les chiffres du Boston Consulting group le laissent entendre ?

Olivier Rollot : D'un côté ils sont écolo-responsables, de l'autre écono-réalistes ! La force des nouvelles générations a toujours été de s’adapter au monde parce que le monde, le monde tel qu’ils le voient grandir autour d’eux, ce sont eux qui le comprennent le mieux. Ils ont donc compris que s’ils voulaient « dure » il leur fallait à la fois se nourrir mieux que leurs aînés et consommer plus malin.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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