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Game of Thrones autour de la Commission de Bruxelles : mais qui détiendra vraiment le pouvoir dans l’Europe d’après les élections ?
©FREDERICK FLORIN / AFP

Winter is coming

Selon certains observateurs, le sommet européen informel de Sibiu, en Roumanie, a été l'occasion de commencer certaines négociations concernant le nom du prochain président de la Commission européenne.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Le nom de Michel Barnier a été cité à plusieurs reprises, alors que l'histoire récente semblait réserver ce poste à d'anciens premiers ministres. Dans une situation ou les Etats semblent vouloir reprendre la main, ou le secrétaire général de la Commission, Martin Selmayr, parait tout puissant, ne pourrait on pas voir un affaiblissement politique de la Commission comme "approprié" dans le contexte actuel ?

Edouard Husson : S’agirait-il vraiment d’un affaiblissement politique? On ne peut pas faire pire que le maintien à son poste d’un Jean-Claude Juncker alors que son incapacité à assumer la fonction est devenue de plus en plus évidente. Là nous parlons du président de la Commission. La nomination de Michel Barnier rendrait à la présidence de la Commission  sa réputation. Et cela rendrait en fait la Commission encore plus puissante qu’elle n’est actuellement. Car elle est puissante de par les autres commissaires:  Carlos Moedas, présentée par le Portugal, à la Recherche, Margrethe Vestager, candidate du Danemark, à la Concurrence, sont deux exemples de commissaires qui font rarement la une des médias et qui ont une réelle influence. Sans parler, bien entendu de l’Allemand Günther Oettinger, au Budget, ou du Néerlandais Frans Timmermans, l’un des vice-présidents: ils ont gouverné à la place de Juncker avec le secrétaire général de la Commission, le redouté Martin Selmayr. Je ne crois pas que ce système va changer après les élections européennes. En fait, la chose étonnante qui est en train de se passer, c’est que, si les rumeurs concernant le sommet de Sibiu sont exactes, le Conseil est en train, non pas de reprendre la main, mais d’essayer de confisquer à l’avance le vote des élections européennes. Normalement, ce devrait être le président du groupe ayant le plus d’élus, le Parti Populaire Européen, qui devrait devenir président de la Commission: on parle de puis longtemps de l’Allemand Manfred Weber. Le Conseil cherche à écarter cette solution, si l’on en croit les rumeurs. Pourquoi? Parce qu’un nombre important de députés de droite, populistes, souverainistes mais aussi conservateurs va être élu: il est bien évident que, les frontières avec le PPE n’étant pas étanches, il y a une vraie possibilité de constitution progressive d’une majorité inattendue. Et le Bavarois Manfred Weber, de la CSU, est sans doute considéré comme pas assez fiable pour maintenir le gouvernement du Parlement européen au centre-gauche. 

Quel bilan peut-on faire, historiquement parlant, des périodes ou la Commission pouvait paraître affaiblie, politiquement parlant ? 

Si l’on fait une histoire complète de la Commission, elle a eu des personnalités fortes à sa tête ou en son sein: Walter Hallstein, Etienne Davignon (commissaire à l’énergie de Gaston Thorn), Jacques Delors, Romano Prodi. Barroso puis Juncker témoignent plutôt de l’envie des Etats de reprendre la main, avec des personnalités plus faibles. Mais ce n’est que la surface des choses. Vu de France, nous avons tendance à croire qu’une fois le président et son équipe nommés, tout est fait. Avec cette attitude, qui pouvait convenir tant qu’on était dans la Communauté Européenne et quand on avait un Français à la tête de la Commission, ne marche plus dans l’Union Européenne à 27. Ce que les Français n’ont pas compris, c’est que le contrôle de la Commission est une lutte d’influence de tous les instants. il faut placer des individus aux postes-clé: identifier le portefeuille où l’on veut avoir de l’influence et tout faire pour l’avoir; peser sur la nomination du secrétaire général; placer des gens de confiance aux postes de directeur de cabinet des différents commissaires et aussi dans les direction. A ce jeu, auquel ses hommes politiques et ses hauts fonctionnaires sont mal préparés, les Français sont largement perdants. La nomination de Michel Barnier ne servirait pas les intérêts de la politique française si elle ne s’accompagnait pas d’un certain nombre de nominations à des postes-clé. 

Qu'est ce que l'Europe aurait à gagner d'une reprise en mains par les Etats, et par le Conseil européen ? 

Le jeu me semble beaucoup plus complexe. D’une part quelle est la stratégie de l’Allemagne? Va-t-elle laisser échapper la possibilité de nommer Manfred Weber? Si c’était le cas, ne serait-elle pas en droit de réclamer la présidence de la BCE? Mais l’Allemagne a-t-elle intérêt à mettre un Allemand à la tête de la Banque Centrale? Cela ne risque-t-il pas de retourner un peu plus une partie de l’opinion européenne contre l’euro? On peut se demander aussi dans quelle mesure faire fuiter maintenant le nom de Barnier n’est pas un moyen de court-circuiter sa candidature. En fait, je ne pense pas que grand chose soit maîtrisé car ce qui domine, deux semaines avant les élections européennes, c’est surtout la peur de cette Europe différente qui va, inévitablement, advenir. Le Parlement européen va être plus à droite; or le Traité de Lisbonne lui donne de réelles prérogatives. On assiste donc, j’y reviens, à une tentative un peu grossière des “progressistes” pour tâcher de limiter l’influence d’un parlement qui sera plus à droite que le précédent et où le condominium PPE/socialistes appartient vraisemblablement au passé. On touche là à la question de fond: les progressistes, pour reprendre la terminologie de notre président de la République, acceptent-ils que l’Union Européenne devienne le lieu d’un vrai débat politique, avec des possibilités d’alternances au parlement européen? Ce que beaucoup de souverainistes français ne voient pas c’est qu’il existe, au sein de l’Union, une attitude critique de la politique actuelle de l’UE qui ne souhaite pas se transformer en critique de l’UE en tant que telle. Pourquoi un pays comme l’Autriche, qui est un de ceux qui gagnent le plus, économiquement parlant, à faire partie du Marché Unique, remettrait-elle en cause la construction européenne? Pourquoi est-ce qu’un pays qui n’est pas dans l’euro, comme le Danemark, voudrait se séparer de l’Union, alors qu’il n’a pas les atouts ni la taille de la Grande-Bretagne? On va donc vers un débat entre trois forces: les progressistes et fédéralistes européens; les souverainistes; et les conservateurs, qui reprendront à leur compte une partie des thèmes des souverainistes, mais pour faire évoluer l’UE, non pour la faire exploser. Or, il se peut que les progressistes, par leur obstruction, qui va devenir systématique, à la montée en puissance d’un bloc authentiquement conservateur au Parlement européen, se fassent, objectivement, les meilleurs alliés de ceux qui veulent faire exploser l’UE. 

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