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GAFA : va-t-on vers un démantèlement des géants technologiques ?
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Antitrust

Le département de la justice américaine vient d'annoncer qu'il mettait en place une enquête antitrust contre Google. C'est un projet de longue date qui se conclut.

Bernard Benhamou

Bernard Benhamou

Bernard Benhamou est secrétaire général de l’Institut de la Souveraineté Numérique (ISN). Il est aussi enseignant sur la gouvernance de l’Internet à l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne. Il a exercé les fonctions de délégué interministériel aux usages de l’Internet auprès du ministère de la Recherche et du ministère de l’Économie numérique (2007-2013). Il y a fondé le portail Proxima Mobile, premier portail européen de services mobiles pour les citoyens. Il a coordonné la première conférence ministérielle européenne sur l’Internet des objets lors de la Présidence Française de l’Union européenne de 2008. Il a été le conseiller de la Délégation Française au Sommet des Nations unies sur la Société de l’Information (2003-2006). Il a aussi créé les premières conférences sur l’impact des technologies sur les administrations à l’Ena en 1998. Enfin, il a été le concepteur de « Passeport pour le Cybermonde », la première exposition entièrement en réseau créée à la Cité des Sciences et de l’Industrie en 1997.

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Atlantico : Pourquoi maintenant ? D'où vient ce désir de limiter l'emprise de Google dans le monde du numérique qu'on aurait pu penser impossible avec l'omniprésence des lobbys aux États-Unis ?

Bernard Benhamou : La question est effectivement de savoir "pourquoi maintenant". En partie c’est lié au fait qu’un mouvement global des États est en train de se mettre en place autour de la régulation des GAFA alors que l’on a connu une décennie marquée par un laisser-faire bienveillant (en anglais on parle de "hands off approach"). Et effectivement, on a pu voir ces entreprises se développer sans régulation excessive, ou du moins sans une approche lourde des États en particulier dans le domaine du commerce électronique. Or, on se rend compte maintenant des spécificités des géants de l’Internet, d'un point de vue antitrust traditionnel (dans leurs relations avec les autres acteurs économiques) et mais aussi maintenant sur le plan des risques politiques (comme les manipulations des opinions publiques qu’ils permettent ou des ingérences qu’ils ont facilitées). La nouveauté étant aussi que ces groupes ont un impact sur toutes les filières industrielles et de services et plus seulement sur l’informatique ou les télécoms (comme c’était le cas pour IBM ou AT&T). Les problèmes qui se posent désormais aux États autour ces monopoles ne relèvent désormais plus simplement du domaine de la régulation de la concurrence ou de l’optimisation fiscale. Une autre nouveauté du secteur de l’Internet réside dans le fait que jusqu'à une période récente, l'action antitrust était basée sur le facteur prix, c’est-à-dire "est-ce que la concentration dans un secteur risque de léser le consommateur par l’augmentation des prix ?" Or, pour la plupart, les services grand public de Google ou de Facebook sont des services gratuits. Mais on doit désormais réfléchir au fait qu'il n'y a pas que le prix qui est déterminant dans le cadre d’une action antitrust. La domination de ces sociétés risque en effet d'entraîner un déficit d'innovation qui peut aussi léser le consommateur, sans que l’on soit face à une logique d'augmentation des prix…

De surcroît, nous avons assisté en l’espace de quelques semaines à des prises de positions radicales autour de l'antitrust vis-à-vis des GAFA. Depuis Elizabeth Warren, sénatrice américaine, se prononçant pour le démantèlement des GAFA jusqu’à la fameuse tribune de Chris Hughes le co-fondateur de Facebook appelant à démanteler… Facebook. Même les journaux les plus influents de la Silicon Valley comme Wired prennent désormais position pour le démantèlement de Facebook face aux risques d’une crise de confiance systémique qui pourrait entraîner l’ensemble des valeurs technologiques dans sa chute.

L'intérêt des responsables politiques sur ces questions a évolué : le centre de gravité de l’action politique penchait vers le laisser-faire et il est en train de basculer vers la régulation. C'est une vraie nouveauté !

Si on parle d'antitrust, on parle de démanteler. Comment démantèle-t-on des sociétés comme les GAFA dont le secteur d'activité n'est pas unique comme le pétrole pour la Standard Oil en 1914 ?

Pour démanteler dans ces cas précis, il faudrait plutôt parler de "défusionner". C’est en particulier le cas avec Facebook qui a absorbé par le passé des sociétés comme What's app et Instagram. Ceux qui pensaient que les utilisateurs pourraient basculer vers d’autres réseaux sociaux apprennent maintenant que s’ils vont sur Instagram ou sur What ‘s app, ils sont toujours dans la galaxie des services Facebook… De même pour Google qui reste essentiellement perçu comme un moteur de recherche mais possède de nombreux autres services, comme YouTube mais aussi d’autres services commerciaux, qu'ils peuvent mettre en avant grâce à des modifications de leurs algorithmes d’indexation.

À ce titre, dans la perspective traditionnelle de l'antitrust, on analyse comment s'établissent les passerelles entre les différents types d'activité afin de les segmenter. Globalement, le but est de faire en sorte qu'un segment ne puisse pas effectuer un bras de levier par rapport à un autre segment de l'activité économique. C'est l'un des fondements de l'action antitrust : éviter un effet domino. Or aujourd’hui des acteurs comme les GAFA peuvent influencer ou dominer la quasi-totalité des secteurs d’activité économique (de la banque, à la santé en passant par les assurances, les transports ou l’énergie… sans parler de la culture ou des médias…)

L'Europe a même déjà empêché dans le passé la fusion de deux grandes sociétés non-européennes : celle des deux américains General Electric et Honeywell en 2005. Pour revenir sur les conditions d'une loi antitrust spécifiquement conçue pour les GAFA, il faut se souvenir que de nombreuses actions contre les monopoles ont donné lieu à des actions spécifiques « ad hoc » dont celle qui a donné contre la Standard Oil qui était un trust et non une société traditionnelle. Ces lois « sur mesure » sont loin d’être inhabituelles dans le champ de l’antitrust et encore plus nécessaire lorsqu’il est question d’un domaine aussi rapidement évolutif que celui des grandes sociétés de l’Internet.

Le chiffre d’affaires de Google en 2018 était de 136,22 milliards de dollars. Comment gérer le démantèlement d'une société aux revenus si élevés et aux activités si diverses ? Existe-t-il des risques de déstabilisation économiques des pays ?

La nature technologique a elle aussi peur du vide. Par définition, il n'y aura jamais de ruptures de services dans ces domaines. Ce que l'on peut dire, c'est qu'il n'est pas possible à un moment donné de laisser des acteurs devenir hégémonique, en particulier lorsque leurs pouvoirs d’ubérisation en viennent à toucher tous les secteurs voire à remettre en cause les prérogatives des États… C’est la question qui se pose désormais les institutions chargées de veiller à la stabilité des monnaies comme les banques centrales face à des acteurs qui pourraient battre monnaie. Aujourd'hui le problème que posent les GAFA n'est pas simplement économique mais il est d’abord politique.

L'idée selon laquelle ces "monopoles naturels" auraient vocation à perdurer quoiqu’il arrive est fausse. Si ces démantèlements devaient avoir lieu pour les GAFA ils auraient effectivement un impact sur la valeur boursière de ces sociétés. Mais je n'irai pas jusqu’à parler d'un impact massif. Ainsi même le très libéral Financial Times rappelait à propos des Data brokers – ces sociétés qui agrègent des gigantesques bases de données sur les individus pour les revendre - en les appelant les « Étoiles de la mort » de la vie privée ("Privacy Deathstars") que ces sociétés qui sont au cœur des modèles économiques des GAFA devenaient de plus en plus difficiles à réguler. Est-ce qu'on peut faire confiance à Google ou Facebook pour s'autoréguler par rapport aux risques liés à l’accumulation des données personnelles alors que c'est le moteur de leur croissance ? La réponse apparaît claire désormais : non.

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