Gaël Brustier : “L’influence des lambertistes pousse Mélenchon à jouer à contretemps de l’histoire”<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Luc Mélenchon prend la parole lors d'une conférence de presse pour présenter le plan d'urgence pour le pouvoir d'achat de la NUPES. Paris, le 25 mai 2022
Jean-Luc Mélenchon prend la parole lors d'une conférence de presse pour présenter le plan d'urgence pour le pouvoir d'achat de la NUPES. Paris, le 25 mai 2022
©THOMAS COEX / AFP

Dogmatisme poussé à l'extrême

Jean-Luc Mélenchon est passé maître dans l'art du dogmatisme en politique. Avec une orientation politique à contretemps de l’histoire et une remise en cause des principes mêmes de la République, il mène un combat dangereux que la gauche pourrait payer au prix fort

Gaël Brustier

Gaël Brustier

Gaël Brustier est chercheur en sciences humaines (sociologie, science politique, histoire).

Avec son camarade Jean-Philippe Huelin, il s’emploie à saisir et à décrire les transformations politiques actuelles. Tous deux développent depuis plusieurs années des outils conceptuels (gramsciens) qui leur permettent d’analyser le phénomène de droitisation, aujourd’hui majeur en Europe et en France.

Ils sont les auteurs de Recherche le peuple désespérément (Bourrin, 2010) et ont publié Voyage au bout de la droite (Mille et une nuits, 2011).

Gaël Brustier vient de publier Le désordre idéologique, aux Editions du Cerf (2017).

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Atlantico : Sur la question institutionnelle, quelle est la vision de Jean-Luc Mélenchon ? 

Gaël Brustier : Jean Luc Mélenchon est à contretemps. Et la temporalité en politique est un élément primordial. Le dogmatisme politique, dans la période actuelle, peut se payer chèrement pour la gauche. Jean-Luc Mélenchon a découvert la question institutionnelle avec la Gauche Socialiste (GS), mais c’est en Amérique latine au moment des « révolutions citoyennes que l’idée d’une sixième République est devenu un moteur de son projet politique. En revanche, la désobéissance aux traités européens, le changement de constitution, quitter l’OTAN, dans un contexte où la Russie a quasiment basculé du côté asiatique et mène une guerre à outrance sur des régions qu’elle devrait préserver, tout cela apparait à contretemps.  Il peut apparaitre dangereux de remettre en cause un certain nombre de règles dans le contexte actuel. Avec la Russie, la Turquie, la Chine et la déloyauté avérée des anglo-saxons, la France est relativement seule. Jean-Luc Mélenchon propose de fait de l’esseuler un peu plus, de déroger à des traités auxquels, de toute façon, nous dérogeons déjà. L’ère de Maastricht est finie.

D’autre part, on peut parler de transition écologique tous les jours, mais personne n’a expliqué ce que c’était. Il n’y a pas d’explication simple de ce qu’est la transition écologique pour la NUPES. Une militante du parti animaliste est capable d’expliquer ses combats de manière beaucoup plus claire que les militants de la NUPES n’expliquent la transition écologique. Personne n’est capable d’expliquer ce qu’est le projet de la NUPES. Et rien n’est véritablement chiffré. C’est la différence avec l’Union de la Gauche et sa dynamique dans les années 70.

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Comment analysez vous la création du parlement de la NUPES ?

Le système LFI est très simple : la multiplication des structures horizontales sert à légitimer le chef qui arbitre en dernier lieu Dans la conception que nous pouvons avoir Chantal Mouffe, ou moi, nous proposons une vision véritablement décentralisée des choses. On ne créait pas une horizontalité factice pour légitimer un chef. La question du leadership se posait à partir d’expériences concrètes. Alors je demande à voir pour le parlement de la NUPES. De ce que je connais de l’Amérique latine qui inspire beaucoup Jean-Luc Mélenchon, l’horizontalité sert souvent à légitimer le chef. En Amérique latine, parfois à raison car l’appareil d’Etat est un appareil croupion, résidu de l’air coloniale. Ce n’est pas du tout la même chose en France et je pense qu’il calque sur les sociétés européennes un modèle qui ne fonctionne pas. Nos appareils d’Etat sont bien plus développés et c’est là où on peut émettre un bémol à l’enthousiasme pour les « révolutions citoyens », au demeurant plus qu’intéressantes en Amérique latine.

Quelle est la ligne idéologique qui dicte la conduite de Mélenchon ?

Il a un problème évident avec les trotskistes lambertistes de la quatrième internationale du POI. nt. Dans le groupe parlementaire LFI, il va y avoir des lambertistes en nombre. Il y a un travail évident entre POI et la direction de LFI. Le POI, par sa structuration, sa rigidité et son goût du secret est l’exact inverse d’un « mouvement gazeux »...

Est-ce que cela veut dire que Jean-Luc Mélenchon et la NUPES sont sortis du champ républicain ? 

Je ne dis pas ça car je pense que le champ républicain s’est effrité au fil des années. Mais je pense que son orientation politique est à contretemps de l’histoire. On ne peut pas renvoyer dos à dos l’Ukraine et la Russie, or ses positions sur l’Ukraine ne sont pas tout à fait claires. Ce que font Jean-Luc Mélenchon et la NUPES peut déranger. En même temps il faut poser un regard et un diagnostic justes : ne pas caricaturer et faire l’analyse et la critique du projet de la NUPES.

Mélenchon est-il révolutionnaire au sens pur du terme ? 

Non. Ce n’est pas l’homme au couteau entre les dents.  S’il arrive au pouvoir il mènera un bras de fer sur je ne sais quel sujet européen, puis il pliera et il se rangera. C’est un pro-Maastricht devenu anti-Maastricht qui cherchera à négocier quelque chose pour sauver la face. Il veut révolutionner l’Europe mais il y a un temps pour tout. Il y a un idéologisme des plus dangereux  qui consiste à tout traduire en rapport de forces idéologiques dans le monde. Si vous voulez comprendre sa façon de raisonner, il faut aller acheter Informations ouvrières, le journal du POI. La vérité est que Jean-Luc Mélenchon perceptible aujourd’hui et la plus intéressante pour l’heure c’est sa méthode, sa capacité réelle à théoriser et raisonner mais aussi agir selon un modèle beaucoup plus proche de sa prime jeunesse que des récentes années insoumises.

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