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G7 sous tension : mais quand l’Europe comprendra-t-elle que l’Occident tel qu’on l’a connu depuis 1945, c’est fini ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Nouveau monde

Les échanges au sein du G7 sont plus tendus que jamais, alors que Donald Trump a engagé un bras de fer avec ses alliés sur plusieurs sujets, notamment les échanges commerciaux.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : La confrontation actuelle entre Donald Trump et les six autres gouvernements du G7 montre à quel point l'Europe semble désorientée face à son adversaire et partenaire. Assiste-t-on à une redéfinition de ce qu'est l'Occident ? L'héritage des "Alliés" datant de 1945 est-il bel et bien enterré ?

Edouard Husson : 70 ans, c’est la durée de vie de l’URSS. Et c’est la durée de vie de l’Alliance Atlantique - y compris l’Union Européenne - telle qu’elle est sortie de la reconstruction du monde après la Seconde Guerre mondiale. Il se produit effectivement, après deux générations, un “changement de paradigme” . Mais ce n’est pas seulement l’Europe qui est en jeu. C’est plus large. Partout est en train d’émerger la recherche d’un nouvel équilibre entre le local et le global. C’est un des résultats inattendus de la révolution de l’information: l’individu est capable de recevoir et d’utiliser une telle masse d’informations grâce au développement de la technologie numérique qu’il souhaite reprendre la maîtrise de son destin et décider plus par lui-même. Les nations, aussi, renaissent, car la révolution numérique réhabilite, donne un avantage, même, aux tailles petites ou intermédiaires.  La révolution de l’information souffle dans les voiles d’un retour au conservatisme, réponse assez naturelle aux excès du libéralisme, qui n’avait plus de contrepoids depuis la chute de l’URSS. En fait, la révolution numérique rend impossible la fermeture sur soi des sociétés et il y a beaucoup à espérer d’un conservatisme qui redécouvre le meilleur de l’héritage européen et occidental tout en faisant sa place à la circulation des informations, des idées, des projets, des savoir-faire que facilite la révolution du digital. Mais les dirigeants européens semblent comprendre inégalement la mutation en cours. La France et l’Allemagne s’accrochent au “libéralisme”, au risque de créer un antagonisme apparemment insurmontable avec les conservateurs que l’on trouve aussi bien aux USA que dans la périphérie européenne. 

Cependant, le logiciel fédéraliste choisi par les leaders occidentaux pour se défendre dans la guerre commerciale engagée par Donald Trump semble être inadapté et périmé. Pourquoi ce déni européen ?

J’ai toujours eu du mal à comprendre l’obsession antiprotectionniste de nos dirigeants. Je pense qu’il s’agit largement d’une espèce d’adhésion religieuse au monde sans frontières, sans freins éthiques, sans régulation des flux financiers. Pourtant, quand on regarde bien, il y a une grande hypocrisie dans l’actuelle organisation l’économie mondiale. On a largement aboli les tarifs douaniers et, ce faisant, on a privé les Etats d’un mécanisme important de régulation pour compenser les égoïsmes respectifs. L’Allemagne s’est faite la championne du libre-échange mais elle a créé, avec la zone euro, une très forte protection de son économie aux dépens du reste du monde.....et de ses partenaires européens. L’OMC n’a pas empêché le Japon d’inventer des tas de manières de fermer son marché au monde extérieur. Les Etats-Unis ont utilisé leur puissance monétaire pour renforcer leur puissance, quelquefois dans un mépris total de la communauté internationale. Les dirigeants européens feraient donc mieux de reconnaître la vertu du débat déclenché par Trump. Ce n’est pas pour rien qu’il parle de “commerce juste”. La question des tarifs commerciaux ne devrait pas être une pomme de discorde mais l’occasion d’objectiver les relations économiques au sein du G7. 

L'expression de "G6 + 1" choisie par Bruno Le Maire vous semble-t-elle bien choisie ? L'Italie de Giuseppe Conte, le Royaume-Uni ou le Japon sont-ils des alliés aussi solides que le prétendent les trois opposants principaux à Donald Trump, l'Allemagne, la France et le Canada ?

Il y a quelques années, on a exclu la Russie du G8. Aujourd’hui, on veut affirmer un G6 face aux Etats-Unis. La vieille Europe est en train de perdre le sens des réalités. Dans le cas précis de la France, comment peut-on ne pas voir que le débat sur le commerce lancé par Trump est un formidable levier pour rééquilibrer le rapport de force entre la France et l’Allemagne? Depuis la fin des années 1970, les dirigeants français ont choisi d’adopter, à la remorque de l’Allemagne, une politique de changes fixes dans un monde caractérisé, globalement, par les changes flottants. Dans les années 1990, nous avons même choisi de rigidifier encore le système, en faisant la monnaie unique. Des millions de décrocheurs du système scolaire, de chômeurs et de sans-abri plus tard, nous nous apercevons quelle catastrophe cela a été, dans un pays qui, depuis la grande révolution individualiste de 1789, procure peu de protections naturelles aux personnes. La flexibilité monétaire aurait dû subsister, pour permettre au pays l’absorption de chocs que l’Allemagne absorbait elle grâce à la solidité de ses communautés naturelles (familles, associations, syndicats etc....). Perdant l’outil  de la dévaluation (ou de la réévaluation) compétitive - à la différence de la Grande-Bretagne, par exemple - nous avons permis à l’Allemagne de déployer sans contrepoids un système où elle accumule les excédents commerciaux quand ses partenaires, à commencer par la France, accumulent les déficits. Comment les dirigeants français ne voient-ils pas qu’au fond Etats-Unis, Grande-Bretagne et France ont - entre autres - un intérêt commun: rééquilibrer leur commerce avec l’Allemagne?  

L'Europe semble affaiblie par le Brexit, la tentation américaine des Polonais, le tournant populiste de l'Italie et s'appuie essentiellement sur le couple franco-allemand. Cette alchimie de contraires vient-elle nécessairement briser toute ambition d'une Europe forte face à ses partenaires ? Ou est-il possible d'imposer une Europe puissante avec les éléments en place ?

Les dirigeants français font de questions économiques un débat de principes. Alors que la défense des intérêts économiques d’un pays devrait relever du domaine de la raison. Et cela occulte complètement le fait que France, Grande-Bretagne et Etats-Unis partagent une histoire de la liberté politique qui est un bien éminemment précieux dans le monde actuel.  On peut bien dire qu’il y a des libéraux et des conservateurs - et des sociaux-démocrates en Europe et en Amérique du Nord. Mais ce qui les réunit, c’est leur adhésion à la liberté de l’individu, des associations et des nations. Nous avons là une communauté originelle de valeurs, que l’Allemagne n’a rejoint qu’en 1945, après la chute du nazisme; et la Russie en 1990, après la chute du communisme. Et que la Chine ne partage toujours pas. Il y a de quoi se révolter lorsque l’on voit certains de nos médias se féliciter de voir que l’Allemagne se met d’accord avec la Chine pour préserver le libre-échangisme. La Chine néo-maoïste et persécutrice des religions de Xi Jiping! Ce qui constitue l’Europe, d’abord, ce n’est pas la puissance: ce sont des valeurs. L’Europe et “sa fille l’Amérique”, comme disait de Gaulle. Mais nos dirigeants ont oublié les valeurs qui nous unissent profondément avec les Etats-Unis car ils sont embarqués dans une sorte de guerre sociale des privilégiés, dont l’euro et le libre-échange garantissent le pouvoir, aux dépens des classes myennes et populaires. C’est ce que David Goodhart appelle l’affrontement entre les “anywheres” et les “somewheres”, entre les “nomades” et les “sédentaires”. Alors que la Grande-Bretagne tâtonne pour établir un compromis entre les nomades et les sédentaires; alors que Trump, à coup de provocations tonitruantes et de ruse poilitique oblige le parti républicain américain à redécouvrir les classes moyennes et populaires, nos dirigeants s’accrochent à un modèle profondément inégalitaire et socialement déstructurant. L’Europe n’a pas à se préoccuper de puissance mais de justice. La puissance viendra naturellement de la reconstruction d’une Europe fondée sur des nations prospères et dotées d’une nouvelle cohésion sociale. Le retour à une régulation des relations commerciales  y contribuera. 

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