G20 anti-évasion fiscale : à quels impôts les sociétés arrivent-elles à échapper en faisant de l’optimisation ou de l’évasion fiscale ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'optimisation fiscale concerne tout particulièrement les entreprise qui ont des filiales dans plusieurs pays.
L'optimisation fiscale concerne tout particulièrement les entreprise qui ont des filiales dans plusieurs pays.
©Reuters

Trop d'impôts

Le G20 s'ouvre ce dimanche 15 novembre à Antalya en Turquie. Un des thèmes qui sera abordé : la lutte contre l'optimisation et la fraude fiscale. Le manque à gagner pour les Etats de ces pratiques peut être élevé, même s'il parait difficile de les éradiquer.

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Deslol est avocat fiscaliste et président de l’Institut de Recherches Economiques et Fiscale, IREF, essayiste dont le dernier ouvrage est Civilisation et libre arbitre paru en 2022 cher Desclée de Brouwer.

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Atlantico : Quels sont les impôts auxquels les entreprises peuvent échapper en faisant de l’évasion et de l’optimisation fiscale ?

Jean-Philippe Delsol : Il faut distinguer l’évasion de l’optimisation fiscale. L'évasion fiscale est illégale, tandis que l’optimisation fiscale est le moyen d’échapper à l’impôt par des moyens légaux. Ce sont deux choses très différentes.

Plus les lois fiscales sont complexes, plus la fraude devient facile. Pour deux raisons : on se cache mieux dans le maquis que dans le désert, par ailleurs la complexité entraîne généralement une hausse des taux d’imposition et plus les taux sont élevés, plus les contribuables quels qu’ils soient essayent d’y échapper.

La fraude est cachée et l’optimisation plus facile à évaluer.

Dans tous les cas, ces méthodes pour échapper à l’impôt concernent avant tout l’impôt sur les bénéfices, l’impôt sur les sociétés, les retenus à la source et un peu la TVA.

L’impôt sur les profits peut-être diminué lorsque l’entreprise, si elle a des filiales à l’étranger, transfert ses profits dans des pays à la fiscalité plus favorable. La limite à cela c’est que les pays qui essayent d’être attractifs pour les entreprises en fixant des taux d’imposition proches de zéro sont souvent des pays dans lesquels il n’y a rien à produire et où les grands groupes n’ont pas envie d’aller produire car il n’y a pas de personnel qui puisse assurer la production. Ces pays sont généralement loin de tous équipements ou services, et des pays de consommation. C’est donc très onéreux d’aller là-bas.

Quels sont ceux au contraire auquel il est impossible d’échapper ?

En France, à partir du moment où une société développe une activité industrielle et commerciale – ou de service – elle doit s’acquitter d’un certain nombre d’impôts auxquels elle ne peut pas échapper. Elle paye l’impôt sur les sociétés, mais également les impôts locaux, la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA), ou encore la taxe sur ses immeubles. Elle ne peut quasiment pas éviter de payer ces impôts-là, elle peut seulement les réduire légèrement, par exemple en sortant de son bilan tous les ans les matériels et produits obsolètes, en étant attentif à la gestion de ses comptes. Mais cela reste marginal. Les impôts locaux payés par les entreprises, qui sont parfois considérables lorsqu’elles ont des équipements coûteux et lourds, elle peut très difficilement y échapper.

L'entreprise paye aussi un petit impôt sur le chiffre d'affaire qui s'appelle l'ORGANIC auquel il est quasiment impossible d'échapper. Elle paye des droits d'enregistrement à chaque fois qu'elle achète ou qu'elle vend une société ou un fond de commerce. Ils s'élèvent à 3 à 5% selon les cas. Elle paye également des droits d'enregistrement à chaque fois qu'elle achète un immeuble, de l'ordre d'environ 6%. Quand elle ne paye pas de TVA, elle va parfois payer une taxe sur les salaires, à des taux variables de 5 à 15%. Les banques par exemple qui sont assujetties à cette taxe sur les salaires, ne peuvent pas optimiser là-dessus : il y a des personnels, on les paye donc il faut verser cette taxe.

Quelle est la plus grande part entre les impôts optimisables et ceux que l'entreprise ne peut pas éviter de payer ?

Il n’y a pas de plus grande part, car la partie la plus optimisable est celle qui dépend des résultats de l’entreprise. Néanmoins, les impôts locaux, fixés indépendamment des résultats de l'entreprise, peuvent représenter une part considérable des impôts payés par celle-ci, pouvant aller jusqu'à 100% du montant total (hors TVA) lorsque l'entreprise ne fait pas de profits. En revanche, dès-lors que les profits sont importants, les impôts locaux représentent une part plus marginale de l'ordre de 5, 10 ou 15% - selon les cas - de la masse totale des impôts payés. C'est donc très variable.

Les impôts sur lesquels les sociétés ne peuvent pas jouer représentent donc environ un montant à peu près équivalent à celui de l'impôt sur les (bénéfices des) sociétés, sur lequel les entreprises ont plus de leviers. En effet, celui-ci étant fonction des bénéfices, les entreprises peuvent réaliser un certains nombre d'opérations permettant de faire baisser le montant de leur impôt, tout particulièrement lorsqu'elles ont une activité internationale comme expliqué dans la réponse à la première question (délocalisation de productions très profitables etc.)

Quel est le profil type d’une entreprise qui fait de l’optimisation fiscale ?

L'optimisation fiscale concerne tout particulièrement les entreprise qui ont des filiales dans plusieurs pays. Cette dimension internationale leur donne le choix de localiser leurs activités dans les différents pays dans lesquels elles ont des sociétés, en fonction de leurs intérêts. Elles peuvent ainsi localiser leur centre de recherche, leurs unités de production, brevets etc. dans un pays plutôt que dans un autre. Ce sont aussi des entreprises qui vont faire un choix précis pour localiser leur holding. Sur ce sujet précis, il est globalement admis dans le monde que les holdings ne sont pas ré-imposées sur les bénéfices qui viennent de leurs filiales dans la mesure où ils ont déjà été imposés une première fois. Cependant, selon les pays, les régimes sont plus ou moins préférentiels. La France a par exemple un régime extrêmement variable. Il a varié vingt fois en vingt ans. Il est cependant assez favorable, mais il l'est moins que celui du Luxembourg par exemple, ou des Pays-Bas. Par ailleurs, il est très incertain. C'est ce qui fait que de nombreux groupes vont localiser leurs holdings aux Pays-Bas ou au Luxembourg plutôt qu'en France.

A supposé qu’on arrive totalement à éradiquer l’évasion fiscale, dans quel ordre de grandeur verrait-on les recettes de l’État augmenter ?

La question même de l'éradication de l'optimisation fiscale pose un problème quasiment philosophique. Cela revient à dire que tous les pays sont censés avoir le même régime fiscal. Tant qu'il y a différents régimes fiscaux à travers le monde, il y a un choix pour toute entreprise de se localiser dans le pays qui lui convient pour certaines opérations. Vouloir éradiquer totalement l'optimisation fiscale cela revient à dire que l'on retire cette possibilité de choisir de l'entreprise. Cela revient à instaurer un totalitarisme fiscal à l'échelle mondiale.

Néanmoins, s'il faut donner des estimations sur le manque à gagner fiscal pour l’État français de l'optimisation fiscale des grandes entreprises, une étude de 2013 de Greenwich consulting sur Google, Apple, Facebook et Amazon (les GAFA) estime que ces quatre entreprises auraient pu payer en 2011 828,7 millions d'euros supplémentaire d'impôt sur les bénéfices des sociétés, alors qu'ils n'en ont payé que 37,5 millions d'euros. L'optimisation fiscale a fait réduire de 22 fois le montant de leurs impôts.

Cependant, je tiens à souligner qu'en ce qui les concerne, les grands groupes du CAC40 payent des sommes considérables d'impôts divers. Pendant plusieurs années, notamment au moment de la crise de 2008, les grandes entreprises ont été accusées de tous les maux. Elles paieraient beaucoup moins d’impôts que les PME grâce à l’optimisation fiscale.

Pourtant en ce qui concerne les sociétés du CAC40, il y a tous les ans des études qui montrent combien elles payent d’impôts et ce que ça représente de leurs bénéfices avant impôt mondiaux. On se rend compte qu’elles payent plus d’impôts que le taux moyen qui est de 33,3% pour le taux de base. En 2012, elles ont payé 32,4% d’impôts sur les sociétés sur leur bénéfice mondial (35 milliard d’euros), en 2013 42%, et en 2014 34,5%.

Pourquoi, alors qu’elles payent beaucoup d’impôts, accuse-t-on les entreprises du CAC40 d’en payer moins que les PME ?

Ces grandes entreprises ont parfois des dizaines voire des milliers de filiales dans le monde. Donc elles payent des impôts dans le monde entier. Ce qu’elles font c’est qu’elles localisent leurs entreprises là où elles payent le moins d’impôts. Il ne me semble n’est pas anormal qu’elle cherche à réaliser son bénéficie là où elle paye le moins d’impôt.

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