Marc Fumaroli : "Les socialistes ont toujours confondu culture et quantité"<!-- --> | Atlantico.fr
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PS : une politique de la culture inspirée de la course au chiffre ?
PS : une politique de la culture inspirée de la course au chiffre ?
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L'Eléphant des éléphants

En visite au festival d'Avignon, Martine Aubry a tendu la main au monde de la Culture en proposant d'augmenter le budget du ministère de 30 à 50% en cinq ans. Une approche démagogique et contre-productive selon l'académicien Marc Fumaroli, pour qui "l'élephant" de la Culture doit au contraire être dégraissé d'urgence.

Marc Fumaroli

Marc Fumaroli

Marc Fumaroli est historien, essayiste et membre de l'Académie Française.

Il est notamment l'auteur de L'État culturel : une religion moderne (Editions de Fallois, 1991).

 

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Atlantico : Comment réagissez-vous à la proposition de Martine Aubry d'augmenter le budget de la culture de 30 à 50% ?

Marc Fumaroli : C'est selon moi une mesure démagogique. Les socialistes ont déjà fait cette augmentation quand les vaches étaient grasses, et maintenant ils veulent recommencer quand les  vaches sont maigres !

Ils ont toujours confondu culture et quantité, en multipliant le nombre de fonctionnaires de la culture - intermittents, permanents, bureaucrates - et de lieux subventionnés ou assistés se réclamant de la culture. Dans ce sens quantitatif et extensif, leur politique de la culture est inspirée par la même course au chiffre qui guide les industriels du tourisme, du loisir et du divertissement mainstream, sauf que c’est l’Etat et le contribuable qui financent cette politique culturelle.

Vous voulez dire que cela ne fait que renforcer le monopole de l'Etat sur la culture, que vous dénoncez depuis déjà longtemps...

Ce qui me gêne, ce n'est pas du tout que la culture soit monopolisée par l’État, lorsque l’on entend par culture la qualité et le talent dans les lettres et des arts. L'État, c’est évident, a un rôle considérable à jouer, celui de  financer et d’offrir aux citoyens ce qu'il y a de meilleur et d’exemplaire dans l’ordre culturel : des théâtres excellents, des troupes de danse excellentes, des orchestres excellents, des opéras de qualité et des écoles où l'on forme les meilleurs artistes. Il lui revient aussi de financer la publication de livres difficiles, et la sauvegarde d’un patrimoine muséal et monumental qui, aux mains de commerçants, tomberait dans Disneyland ou Las Vegas.

Mais l’Etat compromet son propre rôle et égare ses propres ressources, toujours limitées, dès lors qu’il veut tout faire, jouer lui-même au producteur des divertissements les plus commerciaux et créer des emplois culturels beaucoup trop nombreux pour ce qui devrait rester une administration de la qualité. On dirait que les socialistes ont renoncé à percevoir ce qui différencie le divertissement industriel et commercial et la culture, la création tous azimuts et les arts. Je n’ai rien contre un concert rock, mais quel besoin a l’Etat de le subventionner sous couleur de la culture ?

Cette approche dite "de gauche" de la Culture a-t-elle évolué avec la droite au pouvoir ?

La droite s’est toujours bien gardée de remettre en cause le système Jack Lang. Elle s’est peut-être dit qu’il y avait de bonnes affaires à mettre au point dans les domaines commerciaux du loisir en se mariant avec l’Etat culturel et en épousant sa propension à subventionner large et dans les mêmes eaux. A quoi bon jouer les Don Quichotte et avoir sur les bras les syndicats du personnel culturel ? Son propre système quantitatif étant intact, la gauche en est aujourd'hui réduite à faire de la surenchère !

Le système est obèse. Sa gloire, il la doit au Vilar des années 1950-1960. Le baromètre du festival d'Avignon atteste que l’élitisme pour tous de Vilar a tourné à la quantité pour les gogos et les bobos. En doublant de taille financière un tel système [comme le propose Martine Aubry, ndlr], on passera de l’obésité à l’éléphantiasis.

Ce système est-il spécifiquement français ?

Oui. Il a eu du bon, en soutenant par exemple la carrière éclatante d’un William Christie, d’un Bob Wilson, mais il a aussi la faiblesse d’attirer et de retenir sans discernement nombre d’étrangers qui ne trouvent pas chez eux un système aussi confortable. C'est très bien d'être généreux, mais à bon escient. Il n’est pas sain de laisser croire que tout le monde est « créateur » et que tout ce qui touche à la « création », depuis le shampoing jusqu’au soin des ongles, fait partie de la culture.

Que feriez-vous si vous étiez ministre de la Culture ?

Il serait difficile de faire autre chose que les successeurs de Jack Lang. Ce système reproduit ses défauts, tout simplement parce qu'aucun ministre de la Culture n'a pas vraiment de pouvoir. On ne met jamais là un grand baron politique ayant assez d’autorité et d’appuis pour revenir sur des faits accomplis et les réformer. Au fond, chaque ministre est chargé de faire tourner la machine le moins mal possible, sans trop de drame, d'accrocs, de grèves et d'occupations de locaux.

Le problème de la cure d’amaigrissement et de musculation qu’exige ce ministère, la question de son recentrement souhaitable sur ses tâches et sur sa vocation essentielles, nul, ni ses ministres, ni la droite, ni à plus forte raison la gauche, n’est à même de les regarder en face, de les poser franchement et d’essayer d’y  répondre.. La France culturelle, qui pourtant est riche en talents, est poussive, du fait de la conception inflationniste qu’elle s’est faite de la culture. Je ne vois pas pour demain un courage, un éveil, un élan qui changent la donne...

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