Frédéric Beigbeder : « Nous vivons sous le joug d'un puritanisme qui ne dit pas son nom »<!-- --> | Atlantico.fr
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L'écrivain Frederic Beigbeder pose lors d'une séance photo à Paris, en janvier 2022.
L'écrivain Frederic Beigbeder pose lors d'une séance photo à Paris, en janvier 2022.
©JOEL SAGET / AFP

Atlantico Litterati

« Mais se confesser dans un livre ne garantit aucune absolution : passez votre chemin si vous cherchez ici autre chose qu’un homme qui tente de se comprendre » dit Frédéric Beigbeder. Son sujet ? Les vilenies de l’époque. Frédéric Beigbeder publie "Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé" aux éditions Albin Michel.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est écrivain, critique littéraire et journaliste. Auteure de onze romans, dont "Un amour de Sagan" -publié jusqu’en Chine- autofiction qui relate  sa vie entre Françoise Sagan et  Bernard Frank, elle publia un essai sur  les métamorphoses des hommes après  le féminisme : « Le Nouvel Homme » (Lattès). Sélectionnée Goncourt et distinguée par le prix du Premier Roman pour « Portrait d’un amour coupable » (Grasset), elle obtint ensuite le "Prix Alfred Née" de l'Académie française pour « Une femme amoureuse » (Grasset/Le Livre de Poche).

Elle fonda et dirigea  vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels le mensuel Playboy-France, l’hebdomadaire Pariscope  et «  F Magazine, »- mensuel féministe racheté au groupe Servan-Schreiber, qu’Annick Geille reformula et dirigea cinq ans, aux côtés  de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, elle dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », qui devint  Le Salon Littéraire en ligne-, tout en rédigeant chaque mois une critique littéraire pour le mensuel -papier "Service Littéraire".

Annick Geille  remet  depuis quelques années à Atlantico -premier quotidien en ligne de France-une chronique vouée à  la littérature et à ceux qui la font : «  Litterati ».

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En ce printemps 2023, quelque chose chez Frédéric Beigbeder me fait penser à Françoise Sagan. Le succès, probablement, qui futaccordé à l’auteure de « Bonjour tristesse » dès son premier livre ;succès qui s’intensifie lors de chaque parution pour Frédéric Beigbeder. Travailleurs acharnés tous les deux, - lui, écrivant mine de rien le matin, elle, qui œuvrait en douce, chez sa secrétaire- la nuit . Ou- mais seulement à Cajarc- dans la journée. Tous deux font preuve d’une même pudeur –cet autre nom de la délicatesse, celle quis‘apprend dans les beaux endroits, qu’ils soient parisiens ou « provinciaux ». Hier encore Le Flore pour le jeunot. Sagan brodait « Cité des Fleurs ». De fil en aiguille, elle devint son meilleur personnage, comme Beigbeder se fit légendaire sans le vouloir. Le malheur surgissait cependant, ici ou là. Pour Sagan des accidents, des cures de désintoxication,le deuil ; pour Beigbeder- entre autres- un traumatisme à l’origine de cet essai  libérateur :« Ma maison et ma voiture sont couvertes d’insultes roses. Le mur blanc de mon domicile basque est tagué de graffitis me traitant de violeur et de salaud ».(« Désormais tout hétérosexuel n’est plus un violeur en puissance mais un violeur tout court. Chaque fois que j’ai couché avec une femme, j’ai violé. On avance dans la bonne direction puritaine vers l’interdiction de la prostitution (sur ma maisonétait inscrit : « prostitution= viol ») et du cinéma pornographique (puisque tout rapport sexuel rémunéré est assimilé à un viol). La prochaine étape sera de pénaliser le rapport sexuel en 2065 »… Et encore ceci : « C’est quand la revanche d’Ernaux(Nobel 2022 NDLR)aboutit à l’agression de mon domicile privé qu’elle devient fasciste. »

Beigbeder précise d’ailleurs : « dans la guerre entre féministes, je me situe plutôt dans le campd‘Élisabeth Badinter et de Sylviane Agacinski que dans celui de Sandrine Rousseau ou d’Alice Coffin ».Alors qu’il était le parfait plumitif parisien avec ses amours, ses flagrants-délits ( coke), ses gueules-de-bois, ce côté sacré de l’écriture, Frédéric Beigbeder, « égoïste romantique » (quin’eutjamais le goût dumensonge romantique, lui préférant la vérité romanesque), nous dit, en cet avril saturé d’ illusions brûlées : « vous lecteurs, chers lecteurs, vous pouvez le faire, vous pouvez devenir meilleurs, plus vrais, plus vous, plus tout :j’y suis arrivé, pardon pour hier, je l’ai fait, j’ai exagéré, mais j’ai changé. « Antoine Blondin avait raison de dire qu’on ne trinque pas avec des seringues : encore moins avec des pailles. Les nouvelles générations se moquent des boomers cocaïnés, comme ceux-ci des anciens combattants de 1940 défoncés au Ricard ». (…) Si ce livre peut sauver des jeunes, je n’aurai pas été ridicule en vain ». Pour vivre autrement, Beigbeder s’est refugié avec femme et enfants au pays basque(lire -ou relire- son « Barrage contre l’Atlantique »/ Grasset/Le Livre de Poche) : «  A la suite d’ "Un roman français", l’histoire se reconstitue: l’enfance entre deux parents divorcés, la permissivité des années 70, l’adolescence, la fête et les flirts, la rencontre avec Laura Smet, en 2004… Temps révolu. La fête est finie. Pour faire échec à la solitude, reste l’amour. Celui des siens (…) Et Beigbeder, ex dandy parisien est devenu l’ermite de Guétary ).

Pour revenirà ces ressemblances de caractère ou de « vécu » entre la regrettée Sagan et le -Dieu merci- en pleine forme Frédéric Beigbeder, on perçoit à la lecture que ces deux écrivains sontanoblispar une semblable bonté :l’absence totale de coups tordus dansleurs vies le prouve assez ; ceux queFrançois Nourissier -, longtemps président de l’académieGoncourt- appelait« Les chiens à fouetter »dans sonlibelle pas du tout démodé  (Le Dilettante) sont leur contraire. Des chiens, en effet : « Dans la jungleparisienne, on n’échange pas du manioc et du riz,mais de l’immatériel qui assure réputations et carrières… Tout s’échange :une voix dans un jury ou dans une noble assemblée contre une signature ailleurs, un à-valoir « sauveur »,des compliments contre des lauriers,du mépris contre de la haine, de la haine contre le silence . »Nouvelle édition d’un libelle qui fut publié en 1956 par Julliard- après avoir figuré au sommaire de «  la Parisienne »-dont Nourissier futrédacteur en chef-, ce formidable pamphletmoque avec délectation l’économie du Paysage Littéraire Français, toujours dans l’actualité, à condition de changer les noms, les adresses.

Beigbeder, comme Sagan est le contraire des « chiens» de François Nourissier. Il est bienveillant et inspiré. Ses écritsle trahissent : le meilleurde ces « Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé «  ( bon titre) c’est la retraite du narrateur à Lagrasse. Magnifique. Beigbeder c’est l’Homme desfêtes de Pâques 2023. Le sacré lui va comme un gant.J’ouvre mon ordinateur avec- comme repère- le titre de son livre. La « Confession » fait couler beaucoup d’encre. Mes confrères semblentaussi enchantés que je le suis. Je découvre dans l’article de « La Voix du Nord » que Beigbeder « n’a pas rompu ses liens avec Grasset, maison qui a publié  tous ses romans » ; je me surprends à m’en réjouir. Il me sembletout à coup que la casaque beurre frais de Grasset sied parfaitement à cet hétérosexuel pas du tout dépassé. Bravo. Annick GEILLE

Repères

Frédéric Beigbeder, né à Neuilly-sur-Seine est écrivain,critique littéraire et scénariste et réalisateur. Fondateur du Prix de Flore qu’il préside, il a été distingué par de nombreux prix littéraires, dont le prix Interallié pour « Windows of the world » (Grasset/ Le Livre de Poche /2003), le prix Renaudot pour « Un roman français » ( Grasset/Le livre de Poche 2009) ; le prix Rive Gauche pour « Une vie sans fin » (Grasset/Le Livre e Poche/ 2018)

Extraits

« Dans la guerre entre féministes, je me situe plutôt dans le campd‘Élisabeth Badinter et de Sylviane Agacinski que dans celui de Sandrine Rousseau ou d’Alice Coffin ». 

« Si l’amour s’évapore, remariez-vous encore ! » 

« Rencontrer quelqu’un qui nous plaît est pénible. Ne pas lui plaire est atroce. » 

« J’ai peut-être encore une dizaine d’années à vivre et je décide de passer chaque journée qui me reste à être fier de ce que je suis. Je lance la Beig Pride ! »

« Avoir un demi-siècle est une gueule de bois qui ne s’arrête plus ». 

« La coke est devenue has been. Il sans doute temps d’en dresser une sorte de bilan. » 

« Je refuse qu’un prêtre puisse me dégoûterdu Christ. »

« Il existe probablement un lien indissoluble entre l’écriture et les Écritures. Écrire, c’est croire en quelque chose de supérieur. C’est se prendre pour quelqu’un de meilleur. Tout écrivain est habité. »

« Au téléphone, mon frère Charlesm’envie de partir en retraite à Lagrasse. Il m’annonce que je vais remonter mille ans en arrière. »

« Mon office favori est complies, la prière du soir. Même religieusement, je reste un noctambule ». 

« A présent que je suis de nouveau noyédans le tumulte, au fond de mon maelstrom contemporain, de nouveau étourdi et cerné,je me souviens que, quelque part en Languedoc, des hommes enrobe blanche continuent e chanter sous une nef gothique les mêmes hymnes immatériels pour les siècles des siècles. Penser à ces hommes agenouillés m’aide à tenir debout. » 

« La grandeur déchue est plusgrande que la grandeur. Le vernis craque » 

« A Fréjus, j’aurai connu des êtres solidaires et généreux dont la vie avait un sens. Si je devais condenser en un mot ce qu’est l’armée pour moi, je dirais ceci : c’est un chaos structuré. Or, c’est une définition possible du bonheur. » 

« C’est que la gloire ne rassure pas les imposteurs : ils doutent de leur valeur. Un fond de lucidité les taraude, ce sentiment d’usurpation qui gâche tous les triomphes., quand ils sont immérités (cf. à propos d’Annie Ernaux et de «  sa façon de dénigrer Houellebecq quand elle a reçu son Nobel »  

Le rapport hétérosexuel, ce qu’autrefois on appelait « faire l’amour » est à présentassimilé à un geste de haine, brutal, violent, barbare, politiquement dominateur »

CopyrightFréderic Beigbeder/ « Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé » (Albin-Michel) 19,50 euros / Toutes librairies et « La Boutique ».

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