François-Xavier Bellamy est-il aussi décalé du centre de gravité idéologique des Français que le pensent les commentateurs ?<!-- --> | Atlantico.fr
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François-Xavier Bellamy a été désigné tête de liste LR pour les élections européennes de juin.
François-Xavier Bellamy a été désigné tête de liste LR pour les élections européennes de juin.
©Ludovic MARIN / AFP

Trop conservateur ?

Qu’en disent les entrailles des sondages et des enquêtes d’opinion ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Alors qu’il a été désigné comme tête de liste LR pour les européennes, François-Xavier Bellamy est décrit à l’envi par les commentateurs, voire par certains politiques, comme trop conservateur et ne représentant qu’une frange très étroite de la société française. Est-ce aussi vrai que la caricature qu’ils en font ?

Christophe Boutin : La question que vous posez soulève en fait tout le problème que pose le terme « conservateur » et ce que l’on entend ou sous-entend lorsqu’on l’emploie. Le conservatisme n’a jamais été un élément important de la politique française, du moins en se présentant sous cette bannière, car il est souvent mal compris : on a fait du conservateur un nanti crispé sur ses privilèges, ce qu’il n’est pas. 

Le conservatisme est une vision du monde qui repose sur la réalité de l’homme, avec ses forces et ses faiblesses, et entend partir de là pour bâtir une cité. Première conséquence, les conservateurs pensent que c’est la société qui est façonnée par l’homme, et que, comme ce dernier évolue lentement, la société ne peut qu’évoluer de même. Seconde conséquence, ils voient certes les défauts, mais aussi les qualités de notre cité actuelle, et, par exemple, la protection qu’elle offre aux individus. Dès lors, cette société, imparfaite mais indispensable, ne saurait évoluer en reniant les principes nés de la réalité sur lesquels elle s’est bâtie.

En face, le progressiste considère que ce n'est pas l'homme qui façonne son environnement, mais que c’est l’environnement qui façonne l’homme. Dès lors, les défauts qu’il voit dans la nature humaine relèvent de cet environnement, ce qui implique, pour avoir un homme parfait, de faire table rase de ce qui existe et de bâtir une cité idéale dont il importe finalement peu qu’elle tienne compte ou non des réalités humaines. 

À bien y regarder, c’est l’approche conservatrice réaliste, celle de la maîtrise d’un destin en tenant compte des réalités, qui, par les principes mis en œuvre depuis des siècles, que ce soit au sein des familles, des communes, des provinces, des nations ou dans les alliances entre États, nous a permis d’arriver où nous en sommes. Et si l’aiguillon de thèses nouvelles est utile, s’il faut savoir remettre en question certaines vérités dépassées, les expériences de table rase ont débouché, en France comme partout dans le monde, sur les plus sinistres erreurs.

D’où vient alors que le conservatisme soit si mal compris dans la France de 2024 ? D’une confusion trop fréquente entre le conservateur et le réactionnaire, entre celui qui se veut prudent dans une évolution qu’il considère comme indispensable, parce que l’environnement change et que la cité doit s’y adapter, et celui qui veut revenir à un état antérieur supposé idéal. Contrairement au progressiste, qui voit sa cité idéale dans le futur, et au réactionnaire, qui la voit dans le passé, et qui, tous deux, oublient la réalité humaine, le conservateur cherche simplement à répondre le mieux possible aux besoins des hommes de son temps.

En ce sens, il y a en France bien des conservateurs qui s’ignorent, persuadés qu’ils sont par les médias – eux, très largement progressistes – que le conservatisme est uniquement destiné à protéger la rente de privilégiés. Car ils sont nombreux les Français qui veulent « conserver » quelque chose, comme le déplorait d’ailleurs un temps Emmanuel Macron, sans doute celui qui a le mieux compris que le débat actuel n’opposait pas la droite à la gauche, mais les conservateurs aux progressistes.

Conservateurs donc, c’est vrai, ces Français qui estiment que le patrimoine qu’ils ont réussi à bâtir doit être transmis en héritage à leurs enfants. Mais conservateurs aussi ceux qui pensent que les services publics et les aides sociales qui ont été bâtis par l’impôt des générations précédentes, et qui ont vocation à traduire l’existence d’une solidarité nationale, ne doivent ni être dépecés par le libéralisme privé, ni être étendus au-delà de la communauté pour laquelle ils ont été créés. Conservateurs, ces agriculteurs, ces pêcheurs, ces exploitants forestiers, qui constatent combien les grands groupes industriels poussent à ravager la nature et finissent par se l’approprier. Conservateurs ces Français soucieux de vraie écologie et de limiter une croissance qui part en roue libre. Conservateurs toujours ceux qui croient encore qu’il y a une culture française, un roman national français, et donc une nation, cette nation dont Emmanuel Macron parle beaucoup ces derniers temps, mais en refusant de tenir compte des réalités qui ont permis son établissement. Conservateurs enfin ces Français nostalgiques de la philia qui, il y a peu encore, unissait assez largement notre peuple, du temps où l’on vivait ensemble et non pas face à face.

En ce sens, on le voit, la critique qui est faite à François-Xavier Bellamy d’être conservateur, et comme tel décalé de la réalité, repose en fait uniquement sur l’image du conservatisme donnée par des médias progressistes, eux, autrement plus décalés de la réalité que l’auteur de Demeure

Si on regarde ses positions sur les sujets sociétaux stricto sensu - IVG, euthanasie, mariage homosexuel - ou ses positions plus larges, est-il aussi éloigné des Français ?

Nous venons de dire que le propre du conservatisme est la prudence. Il est donc logique de voir François-Xavier Bellamy faire preuve de prudence sur les sujets sociétaux que vous évoquez. Comme d’autres, il considère qu’il faut conserver certains repères, aussi indispensables à la formation de l’homme qu’à celle de la société, et savoir aussi poser des limites lorsque c’est l’humain qui est menacé.

Méfions-nous, en comparant ces choix et les positions des Français, de tout miser sur des sondages qui, s’ils ne sont pas nécessairement biaisés, n’ouvrent pas nécessairement toute la palette des réponses. Pour nous expliquer, prenons un exemple, celui de l’euthanasie. Dans un sondage récent (Ifop 2023), 70% des Français se déclaraient favorables au « suicide assisté », et certains y voyaient même une « priorité gouvernementale » (54% des 35-49 ans, 51% des 50-64 ans). La messe semble dite. Mais les sondeurs, de manière fort intelligente, posaient aussi une seconde question, sur ce que souhaitaient les sondés si on leur découvrait une maladie douloureuse et incurable. Or 36% seulement demandaient alors pour eux-mêmes l’euthanasie, 38% préférant des médicaments pour supporter la douleur et 11% un accompagnement psychologique.

Sur ces questions sociétales, il faut donc, lorsque l’on examine les résultats des sondages, ne pas oublier les réponses dues à des questions biaisées ou à une propagande mensongère. La Cour suprême des États-Unis n’a, par exemple, jamais « interdit » le droit à l’avortement, elle a simplement dit que la question relevait du niveau des États fédérés (ce que même une juge aussi farouchement progressiste que Ruth Bader Ginsburg admettait très bien), mais l’épouvantail a été agité partout. Par ailleurs, il faut ensuite, et surtout, ne pas croire que les réponses qui montrent la volonté de maintenir ouverte une possibilité font de cette dernière, pour les Français, la panacée à tous les maux.

Ainsi, quand 83% des Français jugent positif que l’on puisse recourir à l’IVG (Ifop 2022), et que 81 % souhaitent la constitutionnalisation de ce droit, il faut d’une part tenir compte d’un contexte médiatique qui a fait croire que ce droit était menacé en France, ce qui n’a jamais été le cas – à moins qu’Emmanuel Macron, soucieux maintenant de repeupler le pays, n’en vienne à l’interdire. Mais il faut aussi comprendre que pour les Français l’ouverture de cette possibilité n’est pas sa banalisation, et n’en fait pas un moyen de contraception comme un autre. 51 % des Français jugent ainsi « préoccupant » le nombre d’avortements pratiqués chaque année en France, 92% pensent qu’avorter « laisse des traces psychologiques difficiles à vivre pour les femmes » et 73% que « la société devrait davantage aider les femmes à éviter le recours à l'Interruption volontaire de grossesse » (Ifop 2020). François-Xavier Bellamy, comme avant lui Simone Veil, ne dit pas autre chose.

Le mariage homosexuel enfin, lorsque François-Xavier Bellamy s’y est opposé, cachait volontairement certaines conséquences juridiques, comme l’adoption d’enfants par des couples homosexuels, puis la possibilité des PMA et GPA. Notons ici que les Français (Ifop 2022) sont moins favorables à ces dernières pour les couples homosexuels que pour les couples hétérosexuels (16 points de moins). Inquiets sur la marchandisation des corps, ils pensent aussi majoritairement que la mère porteuse ne peut être qu’indemnisée, mais pas rémunérée. Qui nie en effet l’existence de ce risque de marchandisation du corps de certaines femmes au profit d’autres, bien loin des films sirupeux ou une amie accepte gentiment de donner la vie pour rendre service ? Enfin, avec le développement des techniques et la possibilité de choisir le génome, quand aura-t-on basculé dans un transhumanisme sans contrôle ? N’est-ce pas la mise en garde de Bellamy sur ce point ?

Pourquoi, dès lors, de telles critiques fusent sur François-Xavier Bellamy ?

En posant ces questions de manière claire, sans jamais polémiquer, avec beaucoup d’intelligence et d’humilité, en ne pouvant pas être réduit à la caricature qu’on voudrait en faire, François-Xavier Bellamy gêne un monde progressiste parfois présent dans la formation politique qui est la sienne - et entre ceux qui l’attaquent parce qu’ils sont ses opposants politiques et ceux qui lui savonnent la planche à l’intérieur, le moins que l’on puisse dire est qu’il n’a pas la tâche facile. Mais si les critiques sont à ce point importantes contre lui, c’est peut-être simplement parce qu’il dit quelque chose de vrai, de juste, et que cette voix lucide et modérée peut effectivement, non pas convaincre de revenir en arrière sur un certain nombre d’avancées sociétales, car il ne s’agit absolument pas de cela, mais plus simplement convaincre d’avancer avec plus de prudence, demander d’envisager des solutions alternatives, faire réfléchir au monde que l’on veut, et non se le voir imposer uniquement parce que telle ou telle technique existe et que la mettre en œuvre rapporte beaucoup d’argent.

Ce qui crée le fossé n’est-t-il pas plutôt l’étiquette conservatrice qu’on lui colle plus que le fond de son positionnement politique lui-même ?

Mais ce n’est pas François-Xavier Bellamy qui s’est collé lui-même l’étiquette de « conservateur », au contraire, il a même parfois tenté d’expliquer qu’il ne l’était pas. S’il fait indéniablement partie du courant de pensée conservateur tel que nous l’avons évoqué, sans doute a-t-il voulu dire ici qu'il ne tenait pas à ressembler à la caricature du bourgeois catholique versaillais dont se repaît la gauche progressiste. 

Faut-il ou pas écarter le terme conservateur dans la vie politique française, et ce alors même que le débat est plus que jamais entre conservateurs et progressistes ? Cela ne conduira pas à empêcher des médias très largement acquis à la cause progressiste de coller l’étiquette jugée infamante à qui ils le veulent si bon leur semble. Mais si le conservatisme n’a jamais réussi à prendre toute sa dimension en France, ce n’est pas seulement par peur d’une stigmatisation venue de la gauche C’est aussi parce que la « droite » a toujours mêlé des éléments conservateurs et des éléments libéraux dont une partie, sur leurs principes mêmes (individualisme, culte de l’économie…) relèvent du progressisme. La vraie question est là aujourd’hui, au-delà des termes utilisés ou non : clarifier une doctrine – le « en même temps » de la « droite de gouvernement » semble de moins en moins tenable, et on voit effectivement les positions se trancher en son sein – et ne plus céder aux diktats idéologiques du progressisme.

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