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Le masque mitterrandien de Hollande, suffisant pour contrer le caractère d'Aubry ?
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Ex-fraise des bois

François Hollande est arrivé en tête du 1er tour de la primaire socialiste. Il affrontera dimanche prochain Martine Aubry. Retour sur le parcours de l'ancien Premier secrétaire du PS et sur ses chances de succès pour les échéances électorales à venir.

Arnaud Mercier

Arnaud Mercier

Arnaud Mercier est professeur en sciences de l'information et de la communication à l'Institut Français de Presse, à l'université Paris-Panthéon-Assas. Responsable de la Licence information communication de l'IFP et chercheur au CARISM, il est aussi président du site d'information The Conversation France.

Il est l'auteur de La communication politique (CNRS Editions, 2008) et Le journalisme(CNRS Editions, 2009), Médias et opinion publique (CNRS éditions, 2012).

Le journalisme, Arnaud Mercier

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Atlantico :  Vainqueur du premier tour de la primaire socialiste, quelles sont les chances de François Hollande pour le second ?

Arnaud Mercier : Les résultats de la primaire citoyenne ne sont pas aussi favorables à François Hollande qu’il pouvait l’espérer. L’écart avec sa poursuivante n’est pas assez significatif et le seuil des 50% au premier tour est trop éloigné pour que l’élection de dimanche prochain soit gagnée d’avance. Énormément d’inconnues barrent l’horizon :

  • Vers qui Arnaud Montebourg et Ségolène Royal vont-ils appeler à voter ?

On imagine le dilemme pour cette dernière. Elle doit appeler à voter pour un de ses ennemis personnels : soit celle qui lui a ravi la direction du PS (et dans des conditions de sincérité du scrutin pas exemptes de tous reproches !), soit pour le père de ses quatre enfants avec qui les relations personnelles sont devenues très tendues depuis quelques années. Quant à Arnaud Montebourg, il doit appeler à voter pour deux tenants d’une ligne politique assez antinomique avec ce qu’il a prôné et qui a fait son succès.

  • Les électeurs des quatre battus suivront-ils les indications de vote de leurs favoris ?

Rien n’est moins sûr. Tout le monde sait que les partis sont difficilement propriétaires de leurs voix au-delà du cercle restreint des militants, et encore !

  • Les électeurs mobilisés au premier tour reviendront-ils tous voter au second ?

Personne ne peut le prédire puisque de telles primaires sont inédites en France. Il est plausible que certains se désintéressent du scrutin maintenant que leur favori est éliminé. Mais dans quelle proportion ? 

  • Ce suffrage va-t-il, à l’inverse, convaincre de nouveaux électeurs potentiels de se mobiliser dimanche prochain ?

Jamais l’expression réservoir de voix n’aura été aussi judicieuse en ces circonstances. Si les primaires ont été un succès puisque presque 2,5 millions d’électeurs se sont déplacés, il en reste quand même surtout beaucoup qui votent à gauche et qui ne se sont pas déplacés. Que feront-ils ? Toutes les hypothèses sont plausibles : se mobiliser car le choix est devenu plus simple avec un duel mais sans savoir aujourd’hui pour qui voter ; venir voler au secours d’un des deux candidats ou considérer que les différences entre les deux ne sont assez grandes pour avoir envie de trancher et continuer donc à laisser choisir les autres…

Dans le cas où il sortirait vainqueur de cette primaire, a-t-il suffisamment d'envergure pour faire face à l'actuel Président au cours des débats télévisés ?

S’il y a bien une qualité que ses adversaires lui reconnaissent c’est son éloquence et son art rhétorique, surtout quand il utilise l’arme de l’humour pour désamorcer une critique ou envoyer un missile sans en avoir l’air. Donc en cas de débat, il peut être un contradicteur redoutable à ne surtout pas sous-estimer. Lui ou Martine Aubry auront de toute façon un atout pour eux : ils rencontreront un président sortant qui a un bilan forcément mitigé compte tenu des crises financières rencontrées, qui a forcément créé des frustrations, des déceptions. Ce sera à Nicolas Sarkozy de savoir sortir du piège du bilan pour incarner un nouvel élan.

Souvenons-nous de Valéry Giscard d’Estaing en 1981. Après deux chocs pétroliers, il a eu bien du mal à contrer la vague de mécontentement qui s’en suivit, les aspirations à des changements. Surtout qu’il se contenta un peu trop de vendre aux Français qu’il fallait un président pour la France (c’était son slogan) pour affronter la crise et en sortir un jour, le fameux « bout du tunnel ». Un débat présidentiel ne se joue jamais uniquement sur les qualités des candidats en lice, c’est tout un contexte et les qualités des positionnements stratégiques adoptés en campagne qui déterminent les chances de succès.

A-t-il la carrure nécessaire pour occuper les plus hautes fonctions de l’État ?

Tout comme Lionel Jospin en 2002 qui a fait campagne contre Jacques Chirac, en oubliant de créer le désir de voter pour lui, il est certain que François Hollande devra montrer des qualités propres à se faire désirer par les Français, et ne pas se contenter de vouloir incarner une autre présidence. Le facteur personnel joue énormément dans la présidentielle française.

Il dispose du pedigree qu’ont désormais beaucoup de nos plus hauts dirigeants (études brillantes, grandes écoles, rang de sortie à l’ENA enviable, expérience de direction d’un parti, mandats de député…). Il lui manque toutefois une solide expérience ministérielle. Mais je ne suis pas sûr que les Français lui en tiendront forcément rigueur, s’il sait compenser ce handicap a priori par un discours de rassemblement interne du PS porteur d’un projet alternatif crédible. Chose peu aisée quand on voit les différences entre certains des candidats. Mais il a été rompu à l’art des synthèses internes lors de sa direction du PS.

Parmi les facteurs qui détermineront le jugement des Français sur sa carrure, comme vous dites, sa gestion du rassemblement de son camp sera un élément décisif. De ce point de vue, la logique des primaires peut revenir en boomerang. Conçues pour créer une dynamique en faveur de celui désigné, s’il sort armé d’un score solide (comme Nicolas Sarkozy a été porté par un excellent score des militants UMP en 2007), elles contiennent le risque d’un certain affaiblissement si au contraire l’écart entre les deux candidats est serré, si la désignation se joue dans un mouchoir. Les socialistes le savent et les résultats de ce premier tour contiennent les ingrédients d’un tel risque.

Comment François hollande a-t-il réussi à changer radicalement d'image depuis qu'il a quitté le poste de Premier secrétaire du PS en 2008. Quels sont les secrets de sa résurrection ?

Les témoignages de proches montrent qu’il a toujours été intéressé par les plus hautes fonctions, dont la fonction présidentielle, mais il a été barré dans ses aspirations à deux reprises :

  • En 2002, par fidélité à Lionel Jospin (qui lui avait confié sa succession à la tête du PS en 1997) et qui tenait le leadership du parti. Sans doute nourrissait-il l’espoir, à l’époque, en sa qualité d’homme de confiance de ce dernier, de décrocher un poste ministériel très important voire le poste de Premier ministre si Jospin avait gagné la présidentielle.
  • En 2006, pour la primaire interne du parti, l’équilibre des forces ne lui était pas favorable, car il apparaissait finalement prisonnier de son statut de premier secrétaire du PS et il était paralysé par ce qui se jouait de rupture politique et conjugale avec celle qui était portée par les sondages et une dynamique de soutien populaire, Ségolène Royal.

Il a donc pensé qu’en 2011 son heure sonnait enfin, et il s’est préparé en ce sens, en menant une mue profonde, en préparant sa candidature au long cours, exactement comme avait su le faire Jacques Chirac après son échec en 1988. Chirac avait fait le diagnostic qu’il avait perdu parce qu’il avait été le Premier ministre candidat, donc trop le « nez dans le guidon », sans recul.  Enfin désempêtré d’une usante présidence d’équilibriste au sein du PS, il a commencé un long parcours de terrain, visitant les territoires, construisant pas à pas ce qu’il veut être une stature de candidat crédible, mûr et réfléchi, afin de faire oublier son image d’apparatchik du PS qui avait fini par lui coller à la peau, comme Jospin en son temps, qui resta longtemps aux portes du gouvernement sous les mandats de Mitterrand. Il a souhaité incarner cette mue personnelle, par un régime strict, lui faisant perdre du poids. Comme si les kilos en moins signifiaient une vision en plus.

Cette nouvelle image n'est-elle pas surfaite ?

Il est vrai qu’en début de campagne, notamment lors de son annonce de candidature aux primaires, on l’a vu adopter un masque mitterrandien, marmoréen, très solennel. Une image qui ne collait pas à celle qu’il a longtemps donnée d’homme débonnaire. Même ses adversaires lui reconnaissent de l’esprit et de l’humour, une jovialité toute chiraquienne  assez éloignée de cette gravité qu’il s’est donnée au départ. Mais là aussi, il s’agissait pour lui d’affirmer qu’il avait changé.

Il n’est pas si différent à cet égard du discours qu’a pu tenir en janvier 2007 Nicolas Sarkozy affirmant haut et fort qu’il avait changé. Dans le régime présidentiel initié par le général De Gaulle, il est en effet de bon ton de se positionner pour la présidence comme un homme habité par une certaine idée de la fonction et qui donc doit prouver qu’il a opéré une mue interne pour se hausser à la hauteur du poste.

Ses déboires de 2007 avec sa femme ont-ils nourri un sentiment moteur de revanche politique ?

Il est toujours délicat de vouloir interpréter la psychologie profonde d’un homme politique. Je ne suis pas certain qu’on puisse parler de revanche conjugale dans son cas. Il avait assumé de ne pas se présenter aux primaires internes de 2006. Mais incontestablement, il pense que son heure est venue, que c’est le moment de tenter sa chance et que rien ne le ferait reculer, même pas à l’époque (qui semble déjà si lointaine) où Dominique Strauss-Kahn passait pour le héraut du PS et le sauveur de la gauche.

Le contexte actuel d'un gouvernement jugé "impopulaire" a-t-il aidé à son retour sur le devant de la scène socialiste ?

Le positionnement adopté par François Hollande en fait plus un candidat en réaction aux facteurs d’impopularité de Nicolas Sarkozy que du gouvernement. Il a été brocardé à droite, mais aussi à gauche, pour sa formule de « président normal », qu’on peut en effet rapidement détourner en « président banal ». Mais il y a un sens politique profond derrière cette formule.

Nicolas Sarkozy a souhaité incarner une rupture de style politique y compris à l’Elysée. Là aussi, le physique était une façon de le signifier. On se souvient par exemple dans les premières semaines de son mandat, son arrivée transpirante sur le perron de l’Elysée après un jogging. Chacun se souvient également des premiers moments de son idylle très médiatisée avec Carla Bruni qui donnaient le sentiment d’être plus dignes de la rubrique people show-biz que de la rubrique politique. Chacun peut observer depuis, qu’il a cherché à se « représidentialiser », en interrompant certaines pratiques publiques iconoclastes qui avaient fini par lui nuire, notamment auprès de son électorat âgé et conservateur. 

François Hollande tente de s’engouffrer dans cette brèche, en affirmant qu’il entend incarner une façon plus traditionnelle d’habiter la fonction présidentielle, avec moins de déclarations tapageuses, plus de circonspection, d’où la gravité initiale très mitterrandienne de son début de campagne.

Pour le reste, le climat économique très dégradé est fatalement un des moteurs de la remobilisation politique à gauche, sur le mode : il faut en sortir avec d’autres solutions. De même que l’UMP avance un argument audible du type on ne peut pas changer de capitaine au milieu de la tempête ; de même, l’ensemble des candidats de la primaire surfent sur un mouvement d’insatisfaction face à la conjoncture, pour dire qu’il faut sortir les sortants.

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