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France sous tension : la liberté d’expression de plus en plus soumise à la pression des thuriféraires du politiquement correct
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Police de la pensée

Après L'Obs, c'est au tour de Politis de dresser des listes puisque le dernier numéro de cet hebdomadaire met en couverture les "réac de gauche" avec notamment Philippe Val, Elisabeth Badinter ou encore Michel Onfray. La bien-pensance semble défendre parfois une liberté d'expression à géométrie variable.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Paul-François Paoli

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli est l'auteur de nombreux essais, dont Malaise de l'Occident : vers une révolution conservatrice ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Pour en finir avec l'idéologie antiraciste (2012) et Quand la gauche agonise (2016). En 2023, il a publié Une histoire de la Corse française (Tallandier). 

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Atlantico : Quels sont les sujets - et sous quels angles - à ne pas aborder afin de ne pas être victimes de cette bienpensance ?

Paul-François Paoli : La France n’est pas le pays de la liberté d’opinion qu’elle imagine être, c’est le pays des tabous. Presque tous les sujets liés à l’histoire de ce pays, depuis le sacre de Clovis à la guerre d’Algérie en passant par l’esclavage ou la colonisation, sont tabous pour une certaine doxa qui prétend orienter ce pays dans le sens de l’histoire. Je prendrai un exemple récent dont aucune média de gauche n’a parlé et qui aurait dû faire débat en France : les menaces dont a été victime l’historien Jean François Niort en Guadeloupe ces dernières semaines. Auteur d’un petit livre sur le code noir, Le code noir ; entre mythes et réalité aux éditions du Cavalier bleu, où il étudiait l’histoire de cette législation. Il s’est fait qualifier de négationniste et a été menacé par des nationalistes guadeloupéens qui lui ont demandé de quitter l’ile car il démontrait que ce texte important historiquement n’avait même pas été lu par ceux qui le dénonçaient. Et ce alors même qu’il était soutenu par la communauté des historiens pour son travail aussi bien en métropole qu’aux Antilles. Qui a parlé de cette affaire ? Le Figaro, Valeurs actuelles et Le Point. Incroyable silence qui montre bien qu’il y a deux poids deux mesures en France et où il est très difficile d’évoquer toute sorte de sujets, depuis l’Islam à Israël, en passant par l’esclavage, le racisme ou l’antisémitisme car dès qu’il est  question de ces thèmes, le débat n’est plus d’ordre rationnel, il devient passionnel et manichéen.

Guylain Chevrier : Les sujets à éviter sont connus, par exemple, la critique d’une immigration sans retenue et donc le refus d’une régularisation massive des sans-papiers. Dire que la France soit une terre d’accueil mais qu’il y a à cela des limites, c’est déjà trop. Cette défense sans condition des sans-papiers est devenue par défaut d’autre chose le combat essentiel de toute une frange de la gauche de la gauche, qui trouve là une bonne conscience à l’abandon, peu ou prou, d’une alternative tangible au libéralisme. La violence avec laquelle réagissent ceux qui défendent les sans-papiers de façon inconditionnelle est le reflet d’une violence qui hier s’exerçait au nom de la grande cause de l’ouvrier, perdue à l’aune d’un désenchantement. Du coup, on est passé d’une analyse de la société en termes de classes sociales à une lecture identitaire selon origine, la couleur, la religion, pour aller chercher de nouvelles causes à défendre. On a introduit une nouvelle figure du pauvre à travers l’immigré, du damné de la terre, dont on a fait une icône sacré. Le sans-papiers venant souvent d’anciennes colonies françaises, trois fois sur quatre musulmans, on identifie toute critique de l’immigration au soutien du colonialisme et à une critique discriminante de l’islam. On a ainsi aussi intronisé le multiculturalisme comme le modèle de référence, la République égalitaire qui s’oppose à la division communautaire inévitablement mise au ban. Aussi, si vous critiquer la commémoration de l’abolition de l’esclavage sur le modèle de la repentance parce que vous défendez que la République l’a abolie, et qu’elle n’a rien à se reprocher de ce côté, vous risquez le procès d’être contre cette commémoration. Si vous défendez que la France républicaine n’ait en rien à s’excuser de la rafle du Vel d’hiv qui a été menée par la police de Pétain, alors que la démocratie était interdite et la République hors la loi, vous risquez l’accusation d’être vichyste. Si vous entendez ne pas défendre uniquement les plus pauvres pour dire que les classes moyennes sont aujourd’hui touchées de plein fouet par la politique actuelle, et qu’un risque de rupture de la solidarité de ces dernières avec les autres classes existe, vous risquez l’accusation d’être un cynique antihumaniste qui méprise les pauvres et veut les laisser à leur triste sort. Liées intégration et laïcité serait du racisme, car cela stigmatiserait les immigrés comme posant des problèmes, comme si s’intégrer à notre société pour des individus venus de pays qui en général ne connaissent pas l’Etat de droit, la démocratie, les libertés élémentaires qui sont les nôtres, allait de soi ! On voit comment tout cela confine à l’absurde et à l’appauvrissement intellectuel, ce que cela produit de cerveaux plats. Il se décline ainsi toute une série de thèmes, les bons sentiments emportant tout sur leur passage, derrière un « Indignez-vous » instrumentalisé.

Quels sont les exemples de pressions exercées sur ceux qui pensent en dehors du cadre défini par les bien-pensants ?

Paul-François Paoli : Le meilleur exemple d’ostracisme est celui dont a été victime des années durant l’historien des idées Alain de Benoist et ce alors même qu’il a évolué en profondeur depuis l’apparition médiatique de la Nouvelle droite en 1979 dont il a été le théoricien. Autre fois racialiste, Alain de Benoist est communautariste et anti libéral. Il ne peut plus du tout être qualifié d’extrême droite. Mais le péché de la radicalité en France n’existe qu’à droite. Que le philosophe Alain Badiou, à la même époque, en 1979, fasse l’apologie des Khmers rouges dans un grand article du Monde ne lui a pas valu la moindre réprobation. Et aujourd’hui encore nul ne lui demande de s’excuser. Tandis que l’écrivain et romancier Renaud Camus a vu bien des portes se fermer depuis qu’il a rendu public son choix de voter Marine Le Pen.

Guylain Chevrier :
Ceux qui défendent la laïcité sont régulièrement accusés d’être des réactionnaires au service de l'extrême droite par ceux qui militent pour une société juridiquement fondée sur les séparations communautaires, dans le prolongement des Indigènes de la république. Derrière cela, il y a un choix de société, ce que veulent taire ces accusateurs, en usant de tous les moyens. J’en ai fait moi-même l’expérience récemment. J’étais invité, le 27 mai dernier, par l’Observatoire de la laïcité de Saint-Denis (94) à animer une conférence-débat à la mairie de cette ville sur le thème: "Combat laïque, combat social: indissociables ". Un groupe d'individus violents a empêché la tenue de l'initiative publique, se présentant comme opposé à l’extrême droite. Le prétexte, des informations diffamatoires envoyées par un ancien conseiller régional communiste sur un réseau social (1), appelant à cette censure. J’y étais accusé, en raison de mon refus de la logique de la repentance, d’être dans la négation de l’abolition de l’esclavage et du rôle de la police de Vichy dans la rafle du Vel d’hiv...

Des accusations ignobles s’il en est, à la mesure de cette nouvelle inquisition envers les laïques qui gagne trop d’esprits à la gauche de la gauche, sous l’excuse de la défense de nos concitoyens musulmans identifiés à un nouveau prolétariat intouchable, interdisant tout questionnement allant dans un autre sens. J’étais aussi accusé d’être affilié à l’extrême droite en raison d’avoir écrit sur le site Riposte laïque, avec lequel j’ai rompu de notoriété publique pourtant depuis plus de cinq ans, au moment de la dérive extrême droitière de celui-ci, dont je combats régulièrement les idées. Le site Riposte laïque, comme d’autres, détourne à ses fins certaines de mes publications, où les détracteurs de la laïcité trouvent des arguments pour me combattre en jouant malhonnêtement de cette confusion pour m’accuser d’être d’extrême droite. Dans ce prolongement, le site Atlantico lui-même était accusé d’être d’extrême droite, en raison de permettre une liberté totale d’expression et de débat sur des sujets épineux comme l’immigration, les religions, ce dont on doit le saluer, bien au contraire. A accuser n’importe qui pour n’importe quoi d’être d’extrême droite, et que la laïcité en serait, on pousse de façon irresponsable combien de nos concitoyens dans les bras du FN ?

En justifiant la censure de cette conférence débat ainsi, on justifiait aussi l’utilisation par les auteurs de cette censure, des mêmes méthodes que l’extrême droite pour arriver à leurs fins, en interdisant les idées de ceux qui ne pensent pas comme eux. On justifiait une atteinte aux libertés fondamentales que sont la liberté d'expression, déjà si gravement mise à mal avec les événements tragiques de janvier dernier, et la liberté de réunion, cette liberté publique conquise de haute lutte par les Républicains. Tous nos concitoyens, quelles que soient leurs religions ou non, leurs couleurs, leurs origines, ont le droit à la liberté d’information et de débat, comme citoyens majeurs pouvant se faire leur opinion propre sur les sujets soumis au débat public. On voit qu’il en va tout simplement de la démocratie et du refus que certains puissent déclarer la laïcité hors la loi en créant une milice des idées, groupuscules recyclés en groupes de pression qui devraient être interdits. L’air de rien, ils justifient ainsi la constitution de milices d’extrême droite, nourrissant le risque d’affrontement mettant en danger la paix civile.

Dans quelle mesure la liberté d'expression apparaît aujourd'hui à géométrie variable ? Quelle évolution a-t-elle suivie ces dernières années, est-il plus difficile de traiter certains sujets aujourd'hui qu'hier ?

Paul-François Paoli : Le paradoxe est plus l’opinion publique évolue vers la droite en réclamant plus de d’autorité de l’Etat, plus de prohibition dans le domaine migratoire ou plus de vigilance à l’égard de l’islam, plus ces thèmes sont brocardés par une sorte de nomenclature qui préside, par exemple, aux destinées de l’Education nationale mais est aussi médiatique. Je préfère d’ailleurs le terme de nomenclature à celui d’élite. Les grands intellectuels par exemple n’ont pas autant de pouvoir que l’on croit en France tandis que les médias ont un pouvoir d’ordre normatif comme on l’a encore vérifié  lors de la mobilisation autour de Charlie Hebdo. Un journal comme Le Monde par exemple, même s’il n’a plus la puissance d’antan, prétend encore définir la doxa du Bien et du Mal dans le domaine idéologique. Il constitue à la fois une institution et une armature idéologique et tous les apprentis journalistes se croient tenu de le révérer. Même Libération qui n’a plus beaucoup de lecteurs, prétend encore intimider son monde. C’est dire si les journalistes de gauche se croient investit d’une mission en France !
C’est la rencontre de l’institution et  de l’idéologie qui définit à mes yeux la « nomenclature », une espèce de clergé bienpensant.

Guylain Chevrier : La liberté d’expression est entrée dans ses limites en 1989 avec la première affaire du voile à l’école, autrement dit à partir du moment où certains ont fait fracture avec notre laïcité en entendant imposer au nom d’une religion leurs rites à la règle commune, tout en mettant en accusation la France d’être raciste si elle refusait d’y accéder. Et que l’on ne vienne pas dire que l’on stigmatise les musulmans, il est un fait établi qu’une partie d’entre eux depuis, seulement une partie d’entre eux mais bien une partie d’entre eux, ne cesse de réclamer des accommodements dits « raisonnables » qui détricotent nos droits fondamentaux à commencer par le principe d’égalité, la séparation des Eglises et de l’Etat, à quoi ne pourra pas survivre notre République si ce processus n’est pas entravé. A partir de ce moment, tout le débat politique a été emporté et est apparu la difficulté de s’exprimer sur le sujet au risque soi-même d’être mis en procès pour racisme. C’est exactement ce qu’a subi Charlie Hebdo avec le procès qui lui a été fait contre la publication des caricatures de Mahomet, auquel se sont agglomérés le conseil Français du Culte Musulman et le MRAP, cette dernière organisation censée  défendre les droits de l’homme étant soudain du côté de la censure de la liberté d’expression.

Ce qui est clair aujourd’hui, c’est que la manifestation du 11 janvier où il était dit que nous étions tous Charlie a tourné court. Certains entendaient déjà, à la place de la défense de la liberté d’expression et de conscience, défendre qu’il faille protéger les croyants des amalgames en affirmant « la fraternité »… La liberté d’expression est censée ainsi s’arrêter aujourd’hui là où commence la possibilité de questionner le fond des problèmes, on le voit bien à cet endroit. La critique de la religion est pourtant selon Marx lui-même, semble-t-il, le préalable à toute critique, tel qu’il l’exprime dans le manuscrit de 1848 ! On est loin des analyses d’un Gramsci, le théoricien marxiste, et de son idée de conquête du pouvoir par l‘hégémonie idéologique, et donc par la puissance des idées, qui appelait à un effort d’élévation de la pensée les révolutionnaires qui lui étaient contemporains.

Quelles sont les conséquences de ces pressions ? Et en quoi empêche-t-elle de voir le réel ?

Paul-François Paoli : La conséquence de cet état de chose est un climat malsain d’intimidation. La France évolue vers la droite, depuis les classes populaires en passant par les classes moyennes et intellectuelles, mais l’idéologie de gauche reste prédominante dans les institutions depuis l’école à l’université, en passant par les médias. Elle maintient un pouvoir d’intimidation sémantique qui profite paradoxalement à ceux qui les transgressent avec talent depuis Éric Zemmour à Michel Onfray. 

Guylain Chevrier : Tout un mouvement se dessine qui désigne les laïques, qui refusent la logique du multiculturalisme, comme servant l’extrême droite, puisque le FN ne cesse de clamer qu’il défend la laïcité. Le FN fait un holdup sur la laïcité qu’il n’a jamais auparavant défendue, car c’est le biais par lequel il peut justifier son combat contre les immigrés et particulièrement les musulmans, qui sous tend celui en faveur d’une France nationaliste très chrétienne. Les détracteurs des laïques le savent parfaitement mais usent malhonnêtement de cet argument pour éviter d’avoir à les affronter sur le terrain des idées où ils sont sûrs de perdre. Un exemple de la faiblesse de leur pensée : ils défendent de manière inconditionnelle les sans-papiers, ce qui implique qu’il ne devrait plus il y avoir de frontières, usant de l’argument selon lequel, puisque les capitaux circulent librement les hommes devraient être libres de le faire aussi. Ils nient ainsi l’idée de nation et de souveraineté du peuple, une souveraineté qui est au fondement de notre indépendance nationale, de la protection de notre modèle social qui bénéficie à tous y compris aux immigrés, au fondement même de notre Etat de droit. Ceux-là disent être contre l’Europe libérale car elle est contre les peuples et bafoue leur souveraineté, et propose de l’anéantir de l’autre, ce qui dévoile une sacrée contradiction. D’autre part, ils justifient la mondialisation qui veut que les capitaux circulent librement pour justifier la libre entrée des sans-papiers sur notre sol et qu’ils soient tous régularisés, alors qu’ils disent dénoncer le libéralisme mondialisé. Encore une autre contradiction de taille, ceux qui défendent le droit à la différence et le multiculturalisme, la séparation selon les différences, qui se disent de gauche, concourent à la division des forces sociales qu’ils disent par ailleurs rassembler pour s’opposer au libéralisme et à ses excès, pour défendre les acquis sociaux.

N’est-il pas encore une contradiction gravissime que d’encourager à penser que l’on peut accueillir toute la pauvreté du monde comme signe à ceux à qui l’on promet l’eldorado, donnant argument aux passeurs qui font de leur activité un trafic d’être humains proche de la traite ? Sachant en plus que ceux, les trois quarts, qui sont déboutés de leur demande d’asile vont devenir des sans domicile fixe, que les actions coups de poing de leurs défenseurs vont jeter dans l‘actualité à une vindicte populaire de plus en plus aigüe, et les promettre au vote FN ? Les contradictions fond des nœuds ici et des nœuds ! On voit l’ampleur des dangers, ainsi que de l’incohérence qui empêche depuis des années la gauche dite radicale de se construire une crédibilité autour d’un projet politique qui tienne à l’examen. 

L’enfer est pavé de bonnes intentions dit l’adage, et les bons sentiments deviennent obscènes lorsqu’ils servent à interdire, lorsqu’ils justifient de faire taire la pensée, en se présentant comme l’expression de la grande cause qui justifie tous les excès et atteintes à la démocratie. Il en émerge une nouvelle police des idées extrêmement dangereuse pour les libertés, en reflet de ce qu’à pu être l’inquisition en d’autres temps ou le dogmatisme stalinien. C’est le nouveau danger auquel la République a à faire face, dont les groupes de pression qui sont derrière cela manipulés, expriment bien à travers leur violence autojustifiée sous l’idée qu’ils seraient du bon côté et les autres, de celui du mal, une dérive de toute la société vers la violence, sous le signe de la mise en cause des libertés. S’y reflète très bien la monté inquiétante de l’intégrisme religieux et la terrible justification de l’extrême droite.

1-http://www.saintdenismaville.com/index.php?post/2015/06/03/R%C3%A9ponse-de-Guylain-Chevrier-au-communiqu%C3%A9-d-Ensemble

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