Entre la France et le Maghreb, un choc des cultures souvent difficile à appréhender<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Entre la France et le Maghreb, un choc des cultures souvent difficile à appréhender
©Reuters

Bonnes feuilles

"Il y a vingt ans, j’émigrais à Paris pour finir ma spécialité médicale. Je voyais mon exode d’un oeil averti, pourtant j’imaginais trouver une terre de grande liberté et d’ouverture. J’idéalisais la France au point de croire que Paris était la ville de l’amour et de l’humour...". Dans ce livre, inspiré de son parcours personnel, Fatma Bouvet de la Maisonneuve laisse entendre la voix de celles et de ceux qui ont une histoire multiple et qui doivent surmonter toutes sortes de préjugés. Extrait de "Une Arabe en France . Une vie au-delà des préjugés", aux Editions Odile Jacob (2/2).

Fatma Bouvet de la Maisonneuve

Fatma Bouvet de la Maisonneuve

Le Dr Fatma Bouvet de la Maisonneuve est psychiatre addictologue à l'hôpital Sainte-Anne, présidente de Addict’elles (www.addictelles.com), auteure de "Les femmes face à l’alcool. Résister et s’en sortir" aux Ed Odile Jacob .

 

 

Voir la bio »

Mon arrivée à Paris

Il y a vingt ans, j’arrivais de Tunis pour terminer ma spécialité de psychiatrie et me former à l’addictologie. Je connaissais bien Paris pour y avoir fait du tourisme à plusieurs reprises, cependant je n’y avais jamais vécu. Comme lorsque je vivais à Tunis, je m’évertuais depuis mon arrivée, à porter les tenues les plus moulantes et les plus courtes possible. C’était à la mode là-bas lorsque j’en suis partie, je n’imaginais pas qu’il eut pu en être autrement à Paris. Alors, il n’y avait de plus profond que mon décolleté et de plus vif que le carmin de mon rouge à lèvres ou de mon vernis à ongles. Inutile de vous dire que mon look a été jugé outrancier par certains et n’a pas manqué de susciter quelques remarques.

Les moins originales étaient celles de mes collègues psy, toujours à la recherche d’un vague diagnostic de personnalité assené avec certitude : « Ça, c’est l’hystérie maghrébine. » Plusieurs années plus tard, j’appris par une Iranienne que cela s’appelait : « s’habiller à l’arabe ». Pour les Iraniennes s’habiller « comme une Arabe » relève du mauvais goût extrême, car inélégant et clinquant. Il n’y avait pas besoin d’explication à cela entre mon Iranienne et moi puisque malgré nous, resurgit alors un antique contentieux, pourtant bien enfoui et très rarement mentionné dans notre histoire maghrébine. Il consiste à rappeler que les Arabes n’auraient eu accès à la civilisation que grâce aux Iraniens et en contrepartie de l’Islam. Les clichés ont la vie dure et éclaboussent ceux qui n’en ont cure. C’est là que j’ai compris qu’on est toujours le « plouc » de quelqu’un y compris de ceux dont nous pensions être proches.

À peine quelques jours après mon arrivée à Paris, je fais une deuxième rencontre déterminante. C’était en consultation spécialisée d’alcoologie. Une femme d’une cinquantaine d’années vient me voir pour une première fois. Motif : maladie alcoolique. Au début, l’entretien se déroule normalement : je note scrupuleusement son histoire et ses antécédents comme avec tous les nouveaux patients. C’est au moment où elle me parle du début de sa maladie que je me sens comme brusquement projetée ailleurs. Cela se passe dans un hôpital de grande banlieue parisienne que j’avais eu beaucoup de mal à trouver en voiture.

C’était mon premier jour de consultation, au tout début de mon séjour et je me suis égarée sur le trajet : non seulement je n’avais pas encore de GPS, mais je suis dotée d’un épouvantable sens de l’orientation. Peu familière des autoroutes françaises et prise de panique, je me suis arrêtée sur la bande d’arrêt d’urgence pour demander mon chemin. Oui, je sais, j’étais totalement inconsciente du danger que cela représentait. Je tremblais d’angoisse et de rage parce que je n’allais pas être à l’heure pour ma prise de fonctions. Le patron dira que l’on ne pouvait pas compter sur moi puisque j’étais en retard et cela dès le premier jour. J’étais encore en train de me défaire de ce détestable souvenir auto routier… Et puis d’abord, pourquoi ne peut-on pas faire de demi-tours sur une autoroute en France ?

Lorsque ma patiente me rappelle brutalement à la réalité : « Alors j’ai commencé à boire lorsque ma fille m’a annoncé qu’elle allait vivre avec un Arabe. Je ne l’ai pas supporté, Docteur, cela m’a plongée dans une profonde dépression. Je me suis dit que j’avais sûrement commis une énorme faute à un moment donné de mon éducation : un Arabe, un musulman. Vous imaginez ! Alors pour dormir et oublier ce malheur, j’ai commencé à boire. Puis, plus tard, je n’avais pas le choix c’est quand même ma fille, j’ai fini par accepter de le rencontrer. J’ai même été invitée chez les parents de mon gendre. Vous savez docteur, ces gens-là, les musulmans, eh bien, je me suis rendu compte qu’ils étaient comme nous. Ils m’ont très bien accueillie, comme une reine, même. On a discuté, ils étaient très gentils. En fait, ils sont comme nous, Docteur, vous savez. (Oui, merci, je sais !) De les avoir rencontrés et d’avoir vu avec qui ma fille vivait m’a rassurée. C’est pour cela que je veux sortir de l’alcool maintenant. »

Extrait de Une Arabe en France de Fatma Bouvet de la Maisonneuve, aux Editions Odile Jacob 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !