France Allemagne : le divorce impossible ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Emmanuel Macron se rend à Berlin ce vendredi pour y rencontrer le chancelier allemand Olaf Scholz
Emmanuel Macron se rend à Berlin ce vendredi pour y rencontrer le chancelier allemand Olaf Scholz
©John MacDougall/AFP

Couple franco-allemand

Emmanuel Macron se rend à Berlin ce vendredi pour y rencontrer le chancelier allemand Olaf Scholz. Les deux dirigeants souhaitent envoyer un message d'unité, sur fond de tensions entre Paris et Berlin

Yves Bertoncini

Yves Bertoncini

Yves Bertoncini est consultant en Affaires européennes, enseignant à l’ESCP Business School et au Corps des Mines.

Voir la bio »
Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

Voir la bio »

Atlantico : Emmanuel Macron participera à un sommet consacré à l’Ukraine vendredi à Berlin avec son homologue allemand Olaf Scholz et le Premier ministre polonais Donald Tusk. Quelles sont les principales faiblesses et divergences géopolitiques au sein du couple franco-allemand ?

Cyrille Bret : Depuis plus de dix ans, la France et l’Allemagne constituent l’avant-garde européenne du soutien à l’Ukraine. Depuis l’annexion de la Crimée en 2014 et le début de la guerre du Donbass, la France et l’Allemagne ont défini et porté une ligne claire en Europe auprès de leurs partenaires de l’UE : soutien multiforme à l’Ukraine et résistance à la politique étrangère russe. Elles ont promu la stratégie des sanctions d’usure à long terme contre la Russie. Et elles portent à bout de bras via le budget européen, les finances publiques ukrainiennes. Cela s’est encore une fois illustré début 2024 avec l’adoption d’un plan pluriannuel de plus de 50 Mds € à l’Ukraine et avec l’adoption d’un 13ème paquet de sanction. Les divergences sont beaucoup plus limitées que cette convergence stratégique portée par les présidents Hollande puis Macron ainsi que par les chanceliers Merkel puis Scholz. Les exportations de défense et l’envoi de personnels militaires à l’étranger sont des sujets très sensibles en Allemagne en raison de son pacifisme constitutionnel, du poids de l’histoire allemande en Europe centrale et orientale et des prérogatives du Bundestag en la matière. Une position telle que celle du président Macron depuis quelques semaines est en tension avec la tradition politique et diplomatique allemande.

Yves Bertoncini : A chaque fois qu'il y a du nouveau à l'Est, cela a pour conséquence de tendre les relations franco-allemandes. Cela se vérifie des deux côtés, à Paris et à Berlin. La réalité de ce qu’il se passe à l'Est, la guerre en Ukraine, impacte en premier lieu l'Allemagne car les Allemands sont trop dépendants énergétiquement. 

A moyen terme, cela impacte aussi la France car ce que l'Allemagne doit se transformer et devenir, à marche forcée, beaucoup plus puissante d'un point de vue militaire. 

Cela va mettre à mal l'équilibre de la relation franco-allemande. Jusqu'ici, il y avait une sorte de partage entre le leadership allemand qui était économique et industriel. La France avait un leadership diplomatique et militaire. Telle est la tectonique des plaques dans le cadre de la relation franco-allemande. Au moment de la réunification de l'Allemagne, la France était mal à l'aise. Paris pointe souvent du doigt les faiblesses et les erreurs de l'Allemagne mais insidieusement, la France pressent bien que l'Allemagne va renforcer sa centralité géopolitique en Europe. 

Olaf Scholz et Emmanuel Macron n'ont pas vraiment de lien personnel de qualité. L'un ne parle pas assez, l'autre parle beaucoup trop. Les deux dirigeants sont tous les deux dans une situation de faiblesse politique. Olaf Scholz doit affronter un changement grave et très douloureux pour l'Allemagne. Cela va au-delà de l'Ukraine, cela concerne la relation du pays avec la Chine, les Etats-Unis. Tous les piliers du modèle allemand chancellent en même temps : l'énergie russe pas chère, la relation commerciale fluide avec la Chine et la protection américaine garantie. Pour apporter des solutions à cela, il faut une coalition nouvelle, tripartite.

De l'autre côté, Emmanuel Macron a une majorité relative à l'Assemblée nationale. Le chef de l’Etat ne bénéficie pas d’une popularité très élevée dans le pays. Il s'apprête à affronter des élections européennes qui vont sans doute être assez difficiles pour son parti. Il ne peut pas se représenter. Emmanuel Macron est donc dans une situation de faiblesse politique qui qui est patente. Sa position institutionnelle lui permet de se sauver. Il ne rend aucun compte devant le Parlement. Il peut se laisser aller à la fois à théoriser, à réfléchir et à faire des sorties de route oratoires, comme récemment sur l’envoi de troupes en Ukraine.

La France et l’Allemagne ne sont-elles pas en état de faiblesse géopolitique, même si la France dispose de l'arme nucléaire ? Paris a notamment rencontré d’importantes difficultés en Afrique…

Yves Bertoncini : Sur la Russie, la France et l’Allemagne se sont trompés par rapport aux autres pays européens. Les Allemands, collectivement, se sont trompés en croyant amadouer Vladimir Poutine. Cela remonte à Angela Merkel et cette situation s’est aggravée avec leur dépendance au gaz russe, y compris après l'annexion de la Crimée.

Emmanuel Macron s'est également trompé en invitant Vladimir Poutine à Versailles, puis à Brégançon tout en essayant de maintenir de bonnes relations avec lui et en prétendant pouvoir empêcher l'invasion de l'Ukraine. Une fois qu'elle a eu lieu, le président français a appelé à ne pas humilier la Russie.

Les dirigeants français et allemand ont essayé de corriger leur positionnement stratégique et tactique.

L'Allemagne représente un quart du PIB de l'Union européenne. La part de la France est de 17 %. Ces deux pays ne manquent pas de ressources. La France dispose de l'arme nucléaire, mais elle ne sert pas à grand-chose dans le conflit ukrainien. Elle permet de nous sécuriser vis-à-vis de toute attaque extérieure. Les allemands ont une armée de mauvaise qualité. Ils sont en train de la moderniser.

A moyen et long terme, les Allemands ont de quoi ré-exercer un leadership au niveau européen. Mais compte tenu de la façon dont ils sont entrés dans la guerre en Ukraine par rapport à leurs relations avec la Russie, cela les a mis en difficulté.

Quelles sont les divergences de vues sur le plan de la dépendance énergétique entre l’Allemagne et la France, entre la transition énergétique allemande et le choix du nucléaire français ?

Yves Bertoncini : Comme les Allemands ont choisi de sortir du nucléaire, ils se sont mis dans une situation de fragilité. Berlin pourra répondre en précisant que nous avons fait une erreur similaire car la France a tout misé sur le nucléaire. Mais le nucléaire a marché et c'est un acte de foi. Nous mettons tous nos oeufs dans le même panier du nucléaire. Si des difficultés se présentent en France dans le domaine du nucléaire, comme pour l’EPR de Flamanville, cela pourrait nous fragiliser. 

Sur le plan énergétique, les deux pays ont commis des erreurs. L'Allemagne a trop misé sur le gaz russe. La France pourrait être exposée à une crise majeure en cas de difficultés sur notre filière du nucléaire.

Cyrille Bret : Les mix énergétiques français et allemands sont très différents en raison du poids de l’électricité d’origine nucléaire dans ls système de production français. Pour l’Allemagne et pour la France, le défi n’est pas le même : l’Allemagne avait basé sa croissance industrielle sur la fourniture de gaz naturel russe fourni par gazoduc par le biais de contrats à long terme. L’enjeu allemand est de trouver dans le GNL, plus cher, plus volatile dans les cours, un relais. L’enjeu français est de moderniser son parc de centrales nucléaires.

L’Allemagne et la France ne sont-elles pas dépendantes de la puissance militaire comme technologique américaine ? Quels sont les principaux points de désaccord sur la politique économique, sur la souveraineté en Europe et sur la géopolitique entre la France et l’Allemagne ?

Cyrille Bret : France et Allemagne ont convergé dans la création et le développement de Bases Industrielles et Technologiques de Défense (BITD) autonomes et résilientes. C’était la tradition gaulliste et étatiste française depuis les années 1960. C’est devenu la stratégie allemande depuis que les liens transatlantiques se sont distendus suites aux écoutes sur le téléphone portable de la chancelière Merkel durant la présidence Obama et suite aux tensions de la présidence Trump. Désormais, la convergence est nette : la défense européenne doit reposer sur des technologies, des sociétés et des commandes nationales. Cela a une conséquence : une compétition entre entreprises françaises et entreprises allemandes sur les marchés.

Yves Bertoncini : Les Allemands sont plus dépendants que les Français. La France a fait des choix gaullistes avec l'arme nucléaire et avec certains armements comme le Rafale. Notre pays est le deuxième exportateur d'armement au monde, derrière les Etats-Unis et devant la Russie. Nous ne sommes pas au même niveau de dépendance que les Allemands. Ils sont obligés d'acheter des F-35 américains puisque ce sont ces avions qui portent les ogives nucléaires qui assurent la dissuasion au nom de l'OTAN. Il est vrai que les Allemands se sont beaucoup plus remis à l'OTAN que les Français. Nous avons réintégré le commandement intégré de l'OTAN, mais l'héritage du gaullisme est encore bien présent. La France du général De Gaulle avait quand même expulsé les bases américaines de France, les bases de l'OTAN. La France cultive toujours une sorte de singularité.

Les Allemands ont voulu se renforcer avec un bouclier antimissile contre la Russie. Berlin est allé chercher des systèmes d'armement américains et israéliens. La France et l'Italie auraient préféré leur vendre leur propre système. 

L’Allemagne a procédé ainsi car cela participe à une forme d’allégeance. Les Allemands se mettent ainsi sous la couverture américaine en achetant des armements américains. Berlin pense ainsi acheter la bienveillance et la protection des Américains. Le soutien américain envers les puissances européennes pourrait évoluer avec l’élection de Donald Trump.

Quelles sont les contraintes qui font que ce divorce entre la France et l’Allemagne est impossible ? Est-ce que Paris et Berlin peuvent se permettre le luxe des divisions au regard du poids des données géopolitiques qui pèsent sur les deux pays ?

Cyrille Bret : L’entente n’est pas aisée mais le divorce est impossible. Les économies sont étroitement liées ; le statut de fondateur de l’UE crée aux deux capitales l’obligation de s’entendre. La compétition est rude au sein de l’UE de la part des anciennes démocraties populaires (Pologne, Hongrie, etc.). Seule une certaine solidarité permet à Paris et Berlin de garder un poids au sein des institutions.

Yves Bertoncini : Il est difficile d’échapper à la loi de la pesanteur géopolitique ou énergétique. Les relations entre les deux pays sont plutôt mauvaises mais il va y avoir une thérapie de couple à Berlin avec Donald Tusk, le Premier ministre polonais, qui occupera le rôle du thérapeute. Le retour de Donald Tusk, un dirigeant pro-européen, est un signe encourageant et est synonyme de la réactivation sur le plan de la diplomatie du triangle de Weimar, la France, l’Allemagne, la Pologne.  

Comme les Britanniques sont sortis de l'Union européenne, le couple ne volera jamais en éclats complètement car il y a des thérapies de couple, il y a des rituels lors des sommets franco allemands. Les deux pays sont confrontés à des enjeux et des responsabilités particulières et se doivent d’être à la hauteur des enjeux géopolitiques et diplomatiques. 

Il faudra toujours qu'ils fassent l'un avec l'autre. Je préfère le mot de relation car ils sont toujours en relation. Le mot couple est un peu romantique. Les Allemands parlent de moteur. Le moteur a des ratés en ce moment. Mais le moteur ne va pas s'échapper de la voiture.

Ne sommes-nous pas plutôt dans une phase d’immobilisme pour l’Allemagne et la France plutôt que dans une vraie phase de séparation ?

Cyrille Bret : Le couple franco-allemand est si complexe et si ancien qu’il subit régulièrement des hauts et des bas. Ne perdons pas notre recul : en matière de sécurité européenne, Paris et Berlin sont alignés sur l’essentiel. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !