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Foxconn, le sous traitant électronique d’Apple, a un plan pour être l’artisan de la prochaine révolution de l’industrie automobile
©Sam YEH / AFP

Voitures électriques

Les constructeurs automobiles historiques sont de plus en plus concurrencés par de nouveaux acteurs. Et l’hybridation entre les industries automobiles et électroniques pourrait totalement changer la donne de la production de voitures.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Atlantico :  La demande vers les voitures électriques est en pleine expansion et aujourd’hui de nouveaux acteurs viennent concurrencer les constructeurs automobiles historiques et l’hybridation entre les industries automobiles et électroniques pourrait totalement changer la donne de la production de voitures. Comment la société Foxconn pourrait-elle se tailler une part importante de ce nouveau marché ? Par quel moyen se démarque-t-elle ?   

Jean-Pierre Corniou : Il n’y a plus de doute sur le fait que la décennie 2020 sera celle de la confirmation de l’ancrage de l’électromobilité dans les usages et de l’accélération de la transformation industrielle, après les années 2010 du décollage timide, et sceptique, de l’automobile électrique. Fin 2019, le stock mondial de voitures électriques s’établissait à 7,2 millions soit moins de 1% du stock mondial de voitures. Mais d’année en année l’accélération des ventes progresse. L’électrification déborde les voitures individuelles pour gagner les flottes de bus urbains (500 000 bus électriques en Chine) et les véhicules utilitaires. L’offre de véhicules se diversifie. Au premier trimestre 2021, le nombre de modèles électriques et hybrides rechargeables vendus sur le marché européen a atteint 14% des ventes, alors que le diesel est en baisse de 20% et l’essence de 17% par rapport au T1 2020. En 2030, on estime qu’une voiture vendue sur deux sera électrique, ce qu’a déjà obtenu la Norvège en 2020, et que le stock mondial pourrait s’établir autour de 200 millions de véhicules.   

C’est un tournant majeur dans cette vieille industrie, L’industrie automobile, née à la fin du XIXe siècle, a su se développer tout au long du XXe siècle autour de deux atouts majeurs : l’industrialisation efficiente d’un produit mécanique complexe et l’utilisation d’une énergie abondante, le pétrole. En devenant capable de proposer une solution de masse, accessible à tous techniquement et économiquement, l’industrie automobile a réussi à transformer la mobilité en en faisant un vecteur démocratique de transformation sociale. Après 120 ans de domination sans nuance du pétrole comme source d’énergie, cette industrie de motoristes se trouve face à un défi considérable, se reconfigurer comme ensemblier de composants, moteurs électriques et batteries, qui ne sont pas dans son ADN. D’autre part, le développement des composants électroniques font du véhicule un réseau informatique local en mouvement, connecté à son environnement et piloté par des capteurs multiples. Le logiciel est désormais au cœur de la performance du véhicule. Enfin, le modèle historique de distribution de l’industrie automobile - le véhicule en pleine propriété - est remis en cause par l’émergence de l’usage comme accès à la mobilité plutôt que la propriété. Ceci prend des formes diverses - autopartage, co-voiturage, VTC - qui conduisent à partager l’usage d’un véhicule plutôt que d‘en avoir la jouissance exclusive.

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L’industrie doit ainsi faire face à plus de défis et de transformations qu’elle n’en a jamais connu. Car, industrie de masse fondée sur la maîtrise de processus complexes, de la conception à la distribution, elle était devenue techniquement et capitalistiquement stable. Le nombre de constructeurs n’a cessé de diminuer depuis l’origine et ce phénomène s’est accéléré depuis la crise de 1974. Surtout concentrée sur la rentabilité de ses usines par un progrès incrémental, l’industrie n’a pas cherché à modifier structurellement son modèle économique, tant dans la production que la distribution, comme l’a fait l’industrie informatique articulant conception et gestion de la marque, d’un côté, et production industrielle dédiée et flexible autour de firmes comme Foxconn, d’un autre côté. 

L’électrification est avant tout une nouvelle donne technique qui conduit à remettre en cause le modèle historique d’intégration. La voiture électrique, débarrassée de la complexité coûteuse du moteur à combustion interne et du traitement de ses rejets dans l’atmosphère est plus simple à concevoir et produire. Elle intègre dans la chaîne de valeur de nouveaux intervenants puissants, comme les fabricants de batteries et les électroniciens. La présidente de General Motors, Mary Barra, qui est ingénieure automobile, a démontré lors du CES 2021 que tous les véhicules électriques GM seraient désormais construits autour de composants standard, dont un système de batteries modulaires, nommé Ultium, conçu en partenariat avec LG Chem. GM va investir en 5 ans 27 milliards $ sur l’électrique seul. Cette course à la standardisation est menée par tous les constructeurs. Volkswagen engage son offensive électrique dans le monde avec 60 milliards € d’investissements d’ici 2024 pour électrifier toute sa gamme. 

Le revers de cette transformation de l’automobile vers un modèle modulaire est que d’autres acteurs que les constructeurs établis peuvent être conduits eux-mêmes à concevoir et produire des modules, soit pour les assembler eux-mêmes, soit pour les proposer au marché. C’est une solution déjà explorée par l’industrie avec la montée en puissance d’acteurs industriels comme Magna. Magna non seulement conçoit et réalise des sous-ensembles complets, mais produit également des véhicules pour des acteurs comme BMW, Daimler et Jaguar Land Rover. Ainsi le SUV électrique de Jaguar, I-Pace, est produit par Magna en Autriche. Mais, jusqu’alors, cette évolution s’inscrivait dans une approche de coopération pas de concurrence.  Toutefois, en avril 2021, le principe d’un accord entre Magna, LG et Apple pour la production d’une voiture électrique Apple à partit de 2025 semblait être conclu, ce qui offrirait à Apple la base industrielle indispensable à ses ambitions dans ce secteur. Mais Apple est coutumier de l’annonce de fausses pistes dans ses ambitions de mobilité électrique.

L’arrivée d’acteurs extérieurs à l’écosystème automobile comme Foxconn, dotés d’une expérience technologique et industrielle de haut niveau développée dans un autre secteur que l’automobile serait une rupture nouvelle du modèle industriel. Car Foxconn a l’ambition et les moyens d’introduire une approche industrielle nouvelle fondée sur quarante ans d’expérience de l’industrie électronique.  Foxconn a proposé, début 2021, une plateforme de conception de véhicules électriques et autonomes, l’EVKit. Cette démarche open source est nouvelle et vise à simplifier la conception de véhicules en modélisant le comportement des composants, batteries, systèmes électroniques, liaison sol.  Foxconn, désormais très actif dans l’automobile, vient par ailleurs de conclure un accord avec le constructeur américain de véhicules électriques haut de gamme, Fisker, pour produire un véhicule en 2023 avec l’ambition d’une production annuelle de 250 000 unités. Foxconn vient également de s’engager aux côtés de Byton en Chine pour produire le modèle M-Byte. 

C’est donc un environnement très dynamique, et donc instable, que présente l’industrie automobile en 2021. Mais aujourd’hui l’électrification est clairement l’inducteur puissant de ruptures dans le système industriel automobile.

La prochaine révolution automobile avec la démocratisation du véhicule électrique pourrait-elle changer la donne des modes de production traditionnels sur lesquels s’appuyait les constructeurs automobiles ? Les fabricants de puces doivent-ils s’adapter eux aussi à ce nouveau secteur ?   

Cette puissance industrie mécanique de « voitures à pétrole », symbole emblématique du XXe siècle, est progressivement happée vers les mondes de l’électronique et de l’électricité qui ne sont pas les siens. Nouveaux produits, nouveaux concurrents, nouvelles logiques d’usage, l’industrie séculaire est sommée de s’adapter ou de disparaitre par des concurrents qui viennent d’un monde différent. Le constructeur chinois BYD était d’abord un constructeur de batteries, Tesla vient de la Silicon Valley, les constructeurs chinois n’ont jamais été performants en motorisation thermique et on fait l’impasse pour sauter directement à l’électricité.  Amazon, avec Rivian, Ali Baba ou Apple qui ont des ambitions dans l’automobile viennent du monde de l’informatique et de la distribution. Ces hybridations sont désormais multiples et, longtemps indifférents à ces concurrents qui n’ont pas d’essence dans les veines, les constructeurs sont aujourd’hui obligés de composer. 

Mais l’industrie automobile est résiliente. Sa riposte est spectaculaire : nouvelles plateformes, rythme soutenu de sortie de nouveaux modèles, nouvelle culture de mobilité. Forts de leur ancrage en Chine GM et Volkswagen mènent cette révolution et les investisseurs pressent Toyota, leader de l’hybride, de s’investir dans l’électrique. Volvo annonce ne plus produire de moteurs thermiques en 2025, Stellantis investit dans la production de batteries, avec ACC, et tous les constructeurs se convertissent aux NEV, New Energy Vehicules. Il y a chaque jour de nouvelles annonces de produits, de services, et de partenariats dans ce monde automobile désormais mouvant.

Le mouvement est lancé. Mais personne n’a encore franchi le pas d’une rupture dans le modèle de production. Même Tesla a basé sa conquête du marché mondial sur la maîtrise du processus de production qu’il lui a été difficile d’obtenir avec les difficultés initiales de montée en cadence du Model 3. Ces problèmes ont été maintenant brillamment résolus et Tesla va disposer de trois usines en propre, Freemont aux USA, Shanghai et Berlin.

Par ailleurs, l’industrie automobile, pour contrer sa fragilisation sur ses bases industrielles historiques, veut agir de façon offensive sur les services de mobilité. Renault s’est réorganisée pour réaliser 20% de son chiffre d’affaires dans les services avec sa nouvelle branche Mobilize. Notons aussi que des concurrents historiques comme BMW et Daimler ont décidé de s’entendre pour créer une filiale commune dédiées à la mobilité qui propose une offre globale NOW qui couvre l’autopartage, le covoiturage, la recharge et le stationnement.

À terme les constructeurs voudront-ils contrôler la chaîne d’approvisionnement dans son entièreté ?  

C’était le modèle historique du développement de l’industrie : tout produire soi-même pour contrôler tous les composants du véhicule. L’histoire industrielle de l’automobile a été celle de l’abandon progressif de cette volonté initiale de tout faire en l’absence d’un écosystème industriel performant, pour susciter puis s’appuyer progressivement sur un réseau de sous-traitants qui sont devenus, pour certains, si puissants qu’ils se sont imposés comme co-traitants en participant à la conception et à la production de sous-ensembles complets. C’est le cas d’acteurs comme Valeo. Mais l’écosystème automobile était maîtrisé par les constructeurs, au cœur de la filière, responsables de l’intégration, de la sécurité et de la distribution.

L’industrie automobile n’a commencé à imaginer que l’électricité puisse devenir une alternative sérieuse au pétrole que depuis une décennie. Elle y est allée contrainte et forcée, tant par l’arrivée d’acteurs nouveaux qui ont compris que la conception d’un véhicule à moteur thermique était pleine d’obstacles et ont opté pour l’électrique, plus simple et plus facile à maîtriser. C’est le chemin choisi par Tesla et par les constructeurs chinois. Elle a été poussée par les législateurs qui, en imposant des normes d’émission de plus en plus draconiennes pour la moyenne des véhicules mis sur le marché, ont obligé les constructeurs à recourir à ses solutions d’électrification pour remplir ces objectifs. Cette électrification à marche forcée n’est pas en soi vertueuse quand elle conduit à augmenter sans cesse le poids et la taille des véhicules. 

La troisième génération de véhicules électrique, celle qui produira des véhicules légers, modulaires, mutualisables, qui ne seront pas conçus pour rouler à 250 km/h, n’est pas encore arrivée sur le marché même si les micro-cars chinoises, comme la Wuling Mini EV, vendue 3 600 €, les kei japonais ou la Renault Dacia Spring en propose quelques interprétations. L’annonce de Renault de limiter la vitesse de ses véhicules à 180 km/h est un pas dans cette direction.

L’industrie automobile n’a certes plus toutes les cartes en mains. Cette industrie puissante, mondiale, habituée à tout contrôler, volontiers dominatrice envers ses sous-traitants, doit aujourd’hui apprendre à composer avec de nouveaux acteurs qui deviennent co-responsables des nouvelles fonctionnalités dont l’automobile se dote. C’est bien sûr en premier lieu l’industrie des composants électroniques et des logiciels, qui représentent une part croissante du prix de revient d’une automobile, environ 40% en 2020. Pour les véhicules électriques, c’est évidemment les batteries qui représentent le poste principal du coût et nécessitent une technicité qui n’est pas dans le corps de métier des constructeurs, mais appartient à quelques industriels asiatiques. Enfin, ce sont les services, dont des acteurs de la mobilité partagée comme Uber, Lyft et Didi ont le leadership, avec les spécialistes de la cartographie numérique comme Google et Apple. 

Les projets sont désormais là. Il reste le défi de l’exécution. Industrie de volumes, industrie systémique avec son écosystème de fournisseurs et sous-traitants, sa distribution encore conventionnelle, l’automobile est attachée à son appareil industriel, ses multiples usines anciennes et ses millions de collaborateurs qu’elle devra fait évoluer dans un monde bien différent. Les enjeux sont considérables. Mais c’est une part majeure du PIB et de l’emploi qui se joue aussi bien en Amérique du Nord, en Europe, au Japon, en Chine, ce qui ne laisse indifférents ni les États, ni les salariés, ni les clients. C’est pourquoi la complexité systémique que représente la mobilité, et l’automobile qui en est un vecteur essentiel, ne peut se réduire à des paramètres simples.

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