Forces spéciales et unités d'élite : plongée au cœur d'une mission périlleuse de Tatiana, ancienne négociatrice du RAID<!-- --> | Atlantico.fr
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Le livre « Forces spéciales et unités d’élite » est publié chez Solar éditions.
Le livre « Forces spéciales et unités d’élite » est publié chez Solar éditions.
©Emmanuel DUNAND / AFP

Bonnes feuilles

L’ouvrage « Forces spéciales et unités d’élite Des parcours d'exception » est publié chez Solar éditions. Comment une personne ordinaire peut-elle basculer dans l'extraordinaire vie d'un groupe d'élite qui intervient dans des situations extrêmes de dernier recours ? Quelle volonté, quelles compétences, quel parcours est-il nécessaire de suivre ? 14 opérateurs des meilleures unités militaires et des forces de l'ordre françaises témoignent. Extrait 1/2.

Forces Spéciales Coaching

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Forces Spéciales Coaching est la seule association à avoir réussi à réunir des opérateurs d’autant d’unités différentes. Ce positionnement unique lui permet d'attirer des milliers de personnes en recherche d'optimisation physique et mentale pour développer leur efficacité opérationnelle.

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Je me fige littéralement sur place. C’est terminé nous avons perdu l’opportunité de solutionner cette affaire de manière pacifique. J’observe la colonne qui progresse, qui entre sur le terrain en longeant la façade de la maison. Je vois la mise en place du door-raider sur la porte, ce système d’une poussée hydraulique de plusieurs tonnes qui nous permet de forcer les ouvertures et d’entrer dans presque tous les cas. À ce moment-là, j’entends sur notre fréquence radio le sniper positionné juste en face de la fenêtre de l’individu décrire la scène suivante : « Les gars, le type a plusieurs bombonnes de gaz à l’intérieur et il est en train d’allumer un dispositif de mise à feu avec plusieurs billets de 500 euros. »

Il faut faire vite sinon il va tout faire exploser. Je me souviens des mots du responsable du déminage nous expliquer quelques heures auparavant que « s’il a réellement ce qu’il annonce et qu’il déclenche son dispositif, il y aura des débris jusqu’à l’Élysée ». On y est. Ce n’était pas du bluff. La présence de son arsenal est confirmée par nos THP (tireurs haute précision).

Mais que s’est-il passé ? Pourquoi y allons-nous ? Pourquoi maintenant ? J’ai en mémoire cette affaire de Ris-Orangis où l’unité a perdu deux de ses hommes face à un individu retranché, armé et déterminé… comme aujourd’hui. Puis soudain, j’entends des détonations sourdes, d’une arme que j’ai encore du mal à qualifier. J’entends un tir, plusieurs tirs. L’homme engage les collègues qui tentent de rentrer dans sa maison. Par chance, son dispositif d’allumage n’a pas fonctionné mais l’homme a de la ressource. Il possède d’autres moyens de nuire. Il part au combat et il engage lourdement. Le sol, glissant et totalement instable, rend difficile une mise en place rapide du door-raider. Les collègues se retrouvent pris au piège derrière la porte de cet homme qui ouvre le feu sur eux. Les balles fusent, la porte résiste, nous ne pouvons pas entrer. Le chef opérationnel est obligé de faire reculer ses hommes sous peine d’en perdre quelques-uns. C’est la sidération.

Nous sommes à l’aube d’une affaire qui va durer plus de seize heures, avec un homme lourdement armé et déterminé, pour qui la mort semble une option assumée tout autant que le combat. Il faut reprendre les négociations… Je suis impressionnée par le dispositif de sécurité mis en place. Qu’est-ce qui diffère des fois précédentes ? Qu’est-ce que cet homme a de différent de notre forcené de cette nuit qui nous a tenus éveillés jusqu’à 5 heures du matin ? Je vois autour de moi mon équipe, bien entendu, mais également les pompiers, la sécurité civile, les démineurs… La sécurité publique est là comme à chaque fois, ce sont eux qui font appel à nous car la situation justifie la présence d’un groupe d’intervention.

Mais ce matin, qu’est-ce qui est différent ? Je suis fatiguée. Nous avons travaillé toute la nuit. Nous sommes tous fatigués puisque c’est la même équipe qui se retrouve de nouveau, quelques heures après l’inter précédente, sur le terrain. Nous sommes une équipe restreinte, ce qui signifie que nous n’aurons pas de relève. Cela est souvent le cas, mais particulièrement en cette période où l’unité est éparpillée sur des missions diverses en plus des nombreuses missions à l’étranger qui rythment également la vie du service. Un homme, un « sénior », comme ils sont « catégorisés » dans notre typologie, s’est barricadé dans sa maison après avoir accueilli à l’aide de bombes artisanales, faites de clous, de poudre noire et de mèches lentes, les policiers et huissiers de justice venus l’exproprier de sa maison.

Le quartier bien tranquille d’une petite ville située dans le 93 va soudainement se figer dans le temps et vivre plusieurs heures de cauchemar. Dès les premières informations, nous apprenons que cet homme s’est littéralement terré chez lui depuis une quinzaine de jours. D’après ses voisins, les volets sont fermés depuis tout ce temps, et ils se demandent même s’il est toujours en vie, jusqu’à cet événement venu bousculer ce matin la quiétude de cette rue. J’apprends qu’il a très peu d’amitiés, qu’il est connu pour être querelleur, désagréable, bref, le voisin dont on se passerait bien. Pour autant, un habitant a une relation cordiale avec lui et précise que, depuis quelque temps, il est devenu plus renfermé, plus taciturne, jusqu’à s’être complètement coupé du monde et des rares contacts qu’il entretenait alors jusque-là. Un jour, il l’a vu revenir chargé de courses, s’enfermer, et depuis il n’a plus réussi à échanger avec lui. Cette information m’indique qu’il s’est préparé. Préparé à quoi ? Je ne le sais pas encore mais, manifestement, cette situation n’est pas le fruit du hasard, plutôt une préméditation de ce que nous vivons à ce moment-là.

Je vais appeler cet homme et, ensemble durant seize heures, je vais tenter de comprendre les raisons qui le poussent à agir ainsi, de comprendre sa volonté de rester dans sa maison jusqu’à la mort, quitte à emporter avec lui plusieurs d’entre nous. Pourquoi ? Il n’a rien contre nous. Il me le dira d’ailleurs à plusieurs reprises. Cependant, il en a après le système, la justice, et nous faisons partie du système puisqu’aujourd’hui nous tentons de le faire sortir. Alors de fait, nous sommes également dans sa cible. En procès depuis vingt ans avec ses voisins, il a perdu son emploi et sa femme, et sa maison va être vendue aux enchères. Il ne peut le supporter, il ne l’accepte pas et décide de se battre pour cela quoi qu’il en coûte. L’homme est un individu paranoïaque, il est méfiant. Les dix premières heures vont me permettre d’instaurer un lien, un rapport de confiance dans lequel je tente de comprendre avec lui ce qu’il est en train de vivre.

Sur une décision du préfet, le temps s’accélère. Celui-ci souhaite que cette affaire se termine car, par sécurité, le quartier entier a été relogé dans un gym‑ nase en attendant une issue à la situation. Mon chef de service décide de prendre le contact, le ton change. Mais cela n’a pour effet qu’une dégradation de la situation : les négociations sont rompues. Nous voilà plongés dans un scénario où tout peut nous échapper. Finalement, à force d’explications, nous arriverons à convaincre notre chef de service que la négociation reste le meilleur point d’entrée et que le contact qu’il a avec moi reste notre meilleur atout. Patiemment, je réussirai à reprendre le contact avec lui et doucement, je réussirai à l’amener à une reddition.

Il nous aura fallu du temps, beaucoup de temps pour comprendre ses craintes et ses difficultés à lâcher prise et enfin pour qu’il prête attention à ce que je pourrais lui dire. Le temps… c’est une des clefs de mon métier. La gestion du temps est un élément indispensable à prendre en compte, tout autant que la gestion du stress ou de nos émotions. Aucune affaire ne ressemble à une autre, et à n’importe quel moment, un mot, une attitude, un regard… tout peut basculer. Cet homme se rendra à la négociation au bout de seize heures sans que nous ayons eu de blessé à déplorer, alors qu’il avait tout mis en œuvre pour que sa maison parte en fumée ainsi qu’une bonne partie du quartier dans lequel il résidait.

(…)

« Tu ne fais pas cinq ans de droit pour entrer dans la Police ! » « Le Raid est une unité d’élite, c’est hyper compliqué pour y rentrer », « Le Raid ne recrute pas de femmes », « Le métier d’avocat t’irait mieux… », etc.

J’ai entendu beaucoup de choses négatives à l’évocation de ma décision d’entrer dans la Police. Elles n’ont eu pour effet sur moi que de renforcer ma détermination. Je ne connaissais personne dans le milieu. Je crois que, encore aujourd’hui, je sois la seule à avoir eu une carrière dans la Police. Je ne savais absolument pas où je mettais les pieds, ni même si je réussirais à intégrer l’unité mais mon choix était fait. Quelque chose en moi résonnait si fort, comme une évidence, qu’il fallait que j’aille explorer cette voie. Je terminais mon cursus juridique et passais dans la foulée les tests d’officier. Quelques années plus tard après l’école de police, après mon premier poste en tant que lieutenant de police, le télégramme annonçant les tests de recrutement pour un négociateur au RAID tombe enfin. On y est ! La chance de ma vie ! L’unique raison pour laquelle je suis devenue policier.

J’étais à l’époque en poste dans un petit commissariat des Yvelines. Lorsque j’ai postulé, ma cheffe de service n’y a pas vraiment cru. Elle m’a dit : « Je donne mon accord pour que vous puissiez candidater parce qu’il y a peu de chance que vous soyez retenue » (trop difficile, pas de femme, etc.). Puis, elle avait ajouté : « Par ailleurs, j’ai besoin de vous ici ! » J’ai donc rempli mon dossier et je l’ai envoyé à la direction administrative. À l’époque il fallait cinq ans de service actif pour pouvoir postuler pour l’unité. Premier obstacle : je n’en avais que trois et demi. Mon dossier est revenu aussi vite qu’il était parti avec la mention « ne remplit pas les conditions administratives ». Je ne pouvais donc pas postuler. Le drame… Tout ça pour rien…

N’ayant rien à perdre, j’ai donc pris la décision d’envoyer le double de mon dossier au chef du RAID, accompagné d’une lettre expliquant les raisons qui avaient motivé mon entrée dans la police et pourquoi je pensais qu’il devait me permettre de passer les tests. Quelques jours plus tard, je recevais un appel du RAID me demandant de me présenter aux tests. Ça y est, c’était parti et je devais donner le maximum : ce genre de coup de chance ne se produit pas tous les jours. Étant sportive, je me suis bien préparée physiquement. Je dois cependant avouer que je n’avais aucune idée de ce qui allait m’être imposé. J’avais donc plus l’appréhension de la découverte que des épreuves en elles-mêmes. J’imaginais que, comme pour le concours d’entrée de la police, il y aurait un test du style « Cooper » (courir la plus grande distance possible sur 12 minutes). Je me suis donc beaucoup entraînée. Je courrais déjà très souvent. J’étais plus inquiète sur la partie psy et les entretiens, que je n’affectionnais pas particulièrement. J’ai décidé de travailler avec des annales de tests psychotechniques sans savoir s’ils allaient me mener quelque part. J’ai écumé, tout comme pour le concours d’officier d’ailleurs, les différents tests proposés dans divers ouvrages.

Bref, plusieurs semaines avant ma convocation aux tests, je me suis vraiment bien entraînée et préparée pour affronter les épreuves et les entretiens. Pourtant, quelques jours avant d’y aller, j’ai commencé à douter. J’en ai parlé à une collègue qui est devenue une amie, Catherine. Je craignais de quitter le commissariat, de quitter cette équipe dans laquelle j’étais bien. C’est Catherine qui m’a encouragée à y aller et m’a reboostée. Elle m’a dit : « Je vois comment tu fonctionnes ici, tu es faite pour ce métier, ça va bien se passer. » Cela m’a fait beaucoup de bien. Je crois qu’elle le pensait sincèrement mais je pense surtout qu’elle a compris que j’avais besoin de cet encouragement pour y aller.

Je ne l’ai pas évoqué plus haut, mais je fais partie de ces personnes qui doutent, qui se posent toujours des questions et qui réfléchissent longtemps avant d’agir. Je reconnais qu’il est parfois arrivé à mes proches de dépenser beaucoup d’énergie pour m’accompagner sur certains sujets. En revanche, une fois que je me lance, je ne renonce pas.

Extrait du livre « Forces spéciales et unités d’élite Des parcours d'exception », publié chez Solar éditions

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