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Florence Heymann : "Jusqu'à il y a encore peu, le gouvernement israélien n'avait nullement pris conscience des sortants, ces juifs orthodoxes qui quittent la religion"
©Reuters

Le départ spirituel

"Sortir de l'ultra orthodoxie est dur. Contrairement à ceux qui quittent le culte orthodoxe et connaissent le monde laïque, les sortants sont abandonnées : ils ne connaissent pas les codes du monde laïque, n'ont pas fait de service militaire".

Florence  Heymann

Florence Heymann

Florence Heymann est anthropologue, chercheur au CNRS, en poste au Centre de recherche français à Jérusalem. Elle a publié Le Crépuscule des lieux. Identités juives de Czernowitz (Stock 2003, Prix Wizo 2004) et, avec Dominique Bourel, une édition des Lettres choisies de Martin Buber 1899-1965 (CNRS Éditions, 2004).

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Dans le livre, vous attirez l'attention sur plusieurs cas de suicides de sortants -ceux qui quittent la religion ultra orthodoxe- ayant eu lieu entre 2013 et 2014. S'agissait-il d'une recrudescence du nombre de dissidents? 

Si je parle tout particulièrement des années 2013-2014, c'est parce que j'ai débuté mon enquête en 2012. Néanmoins, il est vrai que ces dernières années le nombre de sortants ayant eu recours au suicide a connu une certaine hausse tout comme, plus largement, le nombre de dissidents. 

Cette augmentation est due à l'expansion démographique du monde ultra orthodoxe. La plupart des familles observant ce culte, ont en moyenne sept à neuf enfants par respect du premier commandement de la Bible. En outre, les pratiquants se marient jeunes, n'utilisent aucun moyens contraceptifs sauf si la santé de la femme en dépend et ont des enfants jusqu'au dernier moment.

Cette démographie galopante explique donc les dissidences de jeunes hommes et femmes qui ne supportent plus les règles imposées par leurs proches et familles. C'est en partie à cause des nouvelles technologies que les ultra-orthodoxes ne parviennent plus à maintenir leurs murailles aussi closes.

A lire aussi : "Les déserteurs de Dieu" : pourquoi de plus en plus de jeunes s’arrachent de leur milieu ultra-orthodoxe

Madame O, une des victimes dont vous parlez dans votre livre, est suivie par l'association Hillel comme plusieurs autres sortants dans sa situation. Comment s'organise le soutien de ces personnes souvent abandonnées par leurs familles et leurs proches ? Outre cette association, en existe-t-il d'autres, similaires ?

Sortir de l'ultra orthodoxie est dur. Contrairement à ceux qui quittent le culte orthodoxe et connaissent le monde laïque, les sortants sont abandonnées : ils ne connaissent pas les codes du monde laïque, n'ont pas fait de service militaire (les ultra orthodoxes sont exemptes service militaire), n'ont pas fait d'études, ne s'habillent pas de la même façon que les laïques... Ils sont donc souvent perdus, d'autant plus que pour trouver du travail en Israël le service militaire est souvent impératif.

Ces dissidents ont donc souvent recours aux associations, mais celles-ci ne vont pas vers eux, ce sont eux qui s'y rendent naturellement si ils en ressentent le besoin. Hillel s'occupe des jeunes de 18 à 30 ans qui ne sont pas encore mariés. Cette catégorie d'âge est la plus importante chez les sortants, c'est à ce moment-là que l'on construit son identité et c'est souvent, alors, que ces jeunes découvrent qu'ils ne sont pas à leur place dans le monde au sein duquel ils ont grandit.

S'ils s'orientent vers Hillel c'est parce que l'association est renommée, elle a un site internet, une ligne téléphonique d'urgence et des permanences effectuées par des bénévoles. Il y a tout un processus d'accueil de ces individus, après quoi diverses aides sont mises-en-place. L'association fournie des vêtements aux sortants, peut leur donner de l'argent s'ils sont dans le besoin, leur trouver un logement s'ils sont à la rue... Hillel met un foyer d'urgence à leur disposition dans lequel ils peuvent se réfugier pour une durée d'une nuit à 4 mois et quelques appartements où ils peuvent passer de quelques jours à quelques mois.

Grace à l'association, les sortants rencontrent des personnes qui ont eu un parcours similaire au leur.  Un système de parrainage existe aussi : chaque sortant est suivi par un bénévole qui le suit tout au long de son processus de réadaptation. En plus de ce soutient, des assistantes sociales, des psychologues sont présents pour les encadrer. Ils peuvent aussi  suivre des cours s'ils désirent passer le bac...

Un système de bourse est mis en place pour tous ceux qui souhaitent faire des études. En ce qui concerne les sortants ayant choisi de faire leur service militaire, ils sont suivis de prêts car l'armée est un sujet extrêmement tabou dans les milieux ultra orthodoxes.

L'aide dispensée par Hillel se retrouve donc à tous les niveaux, car un sortant ne peut se débrouiller seul -sans ses proches, ni sa famille qui l'abandonnent lorsqu'il quitte le culte- dans une société laïque qui n'est, en réalité, pas très accueillante.

Hillel n'est pas la seule association de ce type, les autres accueillent différentes catégories de sortants. Entre autres, ceux qui quittent le culte ultra orthodoxe mais qui restent religieux. Ceux-là mènent une double vie : ils ne croient plus en rien mais restent habillés comme des ultra, souvent car leur conjoint reste attaché au culte.

Jusqu'en 2011, les associations étaient très mal vues, aucun insigne ne figurait sur les portes par exemple. Aujourd'hui les choses ont changé, même les familles qui reniaient complètement leurs sortants, finissent par les accepter de nouveau après plusieurs années.

Le gouvernement israélien a-t-il prit note de ce problème ? Si oui, a-t-il développé des instances spécialisées ou réfléchi à un moyen de, sinon régler, appréhender le problème ? 

Jusqu'à il y a encore peu, le gouvernement n'avait nullement pris conscience des sortants. Beaucoup d'argent était versé aux ultra orthodoxes, à tous ceux qui revenaient à la religion mais rien n'était fait pour les sortants.

En 2013/2014, les choses ont légèrement changées. A l'époque -avant les récentes élections- les ultra orthodoxes n'étaient plus au gouvernement, laissant la possibilité à une députée du parti "Il y a un avenir", qui avait pris fait et cause pour les sortants, de s'intéresser à ce dossier. A la suite de discussions, une subvention de 750 000 euros a été levée. C'était la première fois que le gouvernement versait des fonds aux sortants. Un abri d'urgence a été construit, il vient tout juste d'être inauguré. Le paradoxe est que la mesure ayant été prise, c'est un parti ultra orthodoxe -qui fait désormais parti de la coalition depuis les dernières élections- qui l'a ratifié.

La prise de conscience est donc en cours, mais avec le retour des ultra orthodoxes, il y a très peu d'espoir pour que de nouvelles mesures en direction des sortants voient le jour.

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