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Finie la culpabilité des jeunes parents ? Des chercheurs affirment que laisser son bébé pleurer ne produit pas de dégâts émotionnels et peut même s’avèrer positif
©DR

Au dodo !

Après la méthode dure de nos grands-mères, et celle de l'écoute des besoins de l'enfant, une étude australienne démontre que l'enfant se porte aussi bien dans tous les cas, qu'on se lève on qu'on ne se lève pas lorsqu'il pleure.

Edwige Antier

Edwige Antier

Pédiatre et mère de famille, ancienne interne des Hôpitaux de Paris, diplômée en psychopathologie, Edwige Antier exerce la pédiatrie depuis trente ans. Connue pour son travail de députée à l'Assemblé nationale pour la protection des enfants, elle a déposé la proposition de loi contre les châtiments corporels et a contribué à l'élaboration de la loi contre la violence faite aux femmes. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages, dont L’Enfant de l’Autre (2003, Robert Laffont) et Sois poli, dis merci (à paraître chez Robert Laffont jeudi 11 septembre 2014), et exerce la pédiatrie à Paris.

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Michèle  Freud

Michèle Freud

Michèle Freud est psychothérapeute et directrice d'une école de sophrologie. Elle est également l'auteur de " Se réconcilier avec le sommeil", "Réconcilier l'âme et le corps" et "Mincir et se réconcilier avec soi", "Enfants, ados... les aider à dormir enfin"

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Atlantico: Une étude australienne a démontré que laisser le bébé pleurer dans la nuit n'entrainerait pas les conséquences émotionnelles, comportementales, ou d'attachement qui pourraient inquiéter les parents. On oublie le "stress infantile" et on revient donc à la recette de nos grands-mères: laisse-le donc pleurer. Une révolution pour les parents qui peuvent enfin dormir tranquille?

Michèle Freud : Une révolution peut-être pas, mais une confirmation qu’il est important de bien préparer l’enfant au sommeil. L'étude a porté sur des enfants de 6 mois à 16 mois, âge où cet apprentissage au sommeil est fondamental. 

En réalité, ce dont l’enfant a besoin pour bien dormir, c’est de stabilité, de calme et d’amour. Il importe qu'il reçoive une dose d’affection suffisante ; il a besoin de ces échanges de caresses, de contact, de corps à corps pour se sentir en sécurité. C'est précisément cette qualité d'attachement qui va lui permettre de s'endormir paisiblement. 

Ce sont d’ailleurs des arguments que je développe dans mon dernier ouvrage "Enfants, Ados, les aider à dormir enfin" paru tout récemment chez Albin Michel. 

Ce sont, à mon sens, les ingrédients de base d’un bon sommeil. Un enfant a besoin non seulement d’une qualité de présence et d’échanges, de paroles rassurantes et aimantes pour dormir en toute confiance. Apaisé, il peut s’endormir et se rendormir tout seul. Mais il a aussi besoin de calme, une sorte de sas de décompression avant de se coucher. (Voir ci-après rituels du coucher) 

Or, souvent, certains parents culpabilisent de ne pas voir leur enfant suffisamment ou s’en occuper dans la journée, ils le stimulent trop au coucher, ce qui génère un degré d’excitation empêchant l'endormissement, de nature à favoriser les pleurs.

D’autres, faute de temps, occultent le rituel du sommeil, les échanges et la petite histoire, et privilégient la télévision et les dessins animés le soir. Sources d’excitation ou d’anxiété, ils provoquent une hyper-stimulation causant souvent des endormissements tardifs et des réveils nocturnes.

Edwige Antier : On ne peut évaluer le retentissement des pleurs juste sur la mesure de cortisol dans la salive, ni évaluer le comportement d’un enfant qu’on a laissé pleurer avec un recul de seulement un an ! Cette "étude"  comporte un trop petit nombre d’enfants (46 alors que toute étude digne de ce nom est estimée valable à partir d’au moins 800 sujets !) Trop petit nombre, trop peu de recul, un indicateur discutable, cette étude ne doit pas cautionner le comportement des adultes qui trouvent normal de laisser un bébé pleurer seul la nuit.

D'après l'étude, l'enfant  n'est finalement pas plus équilibré, ou plus sûr de lui lorsque le parent s'occupe de lui la nuit. Qu'en pensez-vous?

Michèle Freud : Je suis tout à fait d’accord. Bien au contraire, il n’apprend pas à trouver en lui-même des ressources pour se rendormir, ce qui ne favorise pas son autonomie. Le mode d’endormissement est capital dès les premiers mois. Le rituel du coucher doit être identique chaque soir, aussi bien en semaine qu’en week-end et le prépare à la séparation et à un sommeil de qualité. Une fois les rituels installés (berceuses, histoires, câlins) lui signifiant qu’il est l’heure de dormir,  mieux vaut laisser l'enfant trouver seul le chemin du sommeil, c’est ainsi que, petit à petit, il parviendra à  se faire confiance et à se familiariser avec la nuit. 

Edwige Antier: Ce sont des milliers d’enfants que je suis depuis deux générations. Je peux donc affirmer que ceux que l’ont console de leurs pleurs avec attention et bienveillance sont plus compétents et plus autonomes que ceux qui ont dû se résigner à pleurer pour rien et pour personne.

D'après l'étude, le bébé dort plus longtemps, au final, lorsque le parent ne se lève pas quand il pleure que lorsque le parent se lève, même s'il y a une évolution positive avec le temps chez l'enfant dont le parent se lève. Confirmez-vous ces propos?

Michèle Freud : Oui absolument, le bébé dort non seulement plus longtemps, il apprend surtout à se rendormir seul. Si le parent intervient dès les premiers pleurs, il est même susceptible de le réveiller totalement. De plus, il empêche l’enfant de trouver ses propres rythmes. Le bébé dispose de stratégies pour se calmer seul (sucer son pouce, jouer avec ses doigts, sa couverture, un doudou, regarder son mobile). Il est important de lui permettre d’explorer  ses propres compétences et ce, dès les premiers mois. Il est donc préférable d’éviter d’intervenir trop rapidement. 

Il est important de noter que le sommeil chez le bébé obéit à une organisation et des rythmes différents. C’est durant les six premières années qu’il se modifie pour atteindre les caractéristiques de celui de l’adulte. Les trois premiers mois de sa vie, le nouveau-né débute sa nuit par une phase agitée, puis au fil des mois, les cycles s’inversent. Moins stable que le sommeil calme, il est entrecoupé de nombreux micro-réveils. Ces phases de sommeil agité ne sont pas à confondre avec l’éveil. Certains parents, dans l’ignorance de ces différentes phases, interprètent le sommeil agité du bébé comme un signal de réveil, d’alarme ou de détresse. L’enfant est remuant et parfois pleure. Pour le rassurer, ils le prennent dans les bras et le réveillent. En pleine phase de sommeil paradoxal, le bébé ne peut expérimenter, à la fin du rêve, l’entrée dans le sommeil lent. Réveillé dans son premier cycle, il pleure et aura quelques difficultés à se rendormir. Ce conditionnement anormal perturbe le repos de l’enfant qui peut, par exemple, être nourri à contre temps, pris dans les bras, bercé, etc. Il perd ainsi ses repères et ne parvient pas à trouver ses propres rythmes. Les premiers troubles du sommeil peuvent débuter à cette période cruciale et se poursuivre dans les mois suivants voire même se perpétuer dans le temps. Il s’agit en l’occurrence d’un mauvais conditionnement au sommeil.

Bien sûr les pleurs du bébé sont un langage, encore faut-il savoir le décoder. Laisser pleurer ou pas ? Le plus important à mon sens pour les parents, c'est de se fier à leur  boussole intérieure, se faire confiance dans leur rôle de parents et de  trouver la méthode qui conviendra le mieux pour le bien être de tous.

Edwige Antier: L’enfant qui s’est résigné à ce que ses pleurs ne soient pas entendus finit par renoncer, mais au prix d’une perte de l’empathie et d’une altération de certaines zones cérébrales, comme le montrent de plus en plus, non seulement l’expérience mais les neurosciences. Les IRM fonctionnelles montrent au contraire combien le stress nuit au développement du cerveau en plein développement !

Si l'on s'en tient aux avancées des chercheurs australiens, les parents qui se lèvent toujours la nuit lorsque l'enfant pleure auraient perdu toutes ces heures de sommeil "pour rien", et même "contre leur santé" puisqu'il est prouvé qu'il est mauvais pour la santé des parents de se réveiller trop fréquemment la nuit : mauvais pour la santé, la concentration, la gestion des émotions?

Michèle Freud : Les parents qui se lèvent dès qu'ils entendent l'enfant pleurer éprouvent de plus en plus de difficultés à se rendormir et dérèglent ainsi leur horloge biologique interne avec des troubles du rythme circadien. Un rythme circadien se définit sur une période de 24 heures. Il décrit l’alternance du rythme biologique entre le cycle jour-nuit, en l’occurrence le cycle lumière-obscurité et le mode de vie (heure de lever, horaires de travail, prises alimentaires, activité sportive et heure du coucher). Il gère notamment la température du corps, la sécrétion et la libération d’hormones, comme le cortisol. Ce rythme vital peut se désynchroniser du fait de ces réveils nocturnes et générer une dette de sommeil importante. La perte de l’équilibre veille/sommeil peut générer toutes sortes de perturbations.

Il est en effet difficile pour l’organisme de s’accoutumer à de telles ruptures de rythmes. 

A plus ou moins long terme, ils entraînent un désordre dans l’apparition des signaux de sommeil et  notamment un retard de phase, avec pour conséquence, un état d’épuisement au réveil, un émotionnel à fleur de peau, des troubles de l’humeur, de la concentration, mais aussi des troubles fonctionnels, douleurs et autres désordres, voire même dépression chez la mère. C'est ce que semble confirmer en fait l'étude des chercheurs australiens. 

Edwige Antier: Ces chercheurs australiens ne nous offrent pas des "avancées" mais un grave prétexte au recul éducatif, à l’indifférence aux pleurs des êtres entièrement dépendants de leurs parents, qui en ont déjà été de plus en plus séparés la journée… Il y a une tendance à la déshumanisation de l’éducation, par rapport aux temps où toute la famille dormait ensemble, dans les donjons et dans les fermes, ou encore aujourd’hui dans les paillotes et les cases des deux tiers de la planète. Les enfants deviennent de plus en plus agressifs, agités, manquent d’empathie et de confiance en eux. Après qu’on les ait traités avec tant d’indifférence 

Propos recueillis par Clémence Houdiakova

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