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La finance est-elle plus morale qu’en 2008 (et mérite-t-elle vraiment les projets de méga-taxation de la gauche) ?
©Reuters

Stratégie électorale

Afin d'éviter la pente dangereuse de la dérégulation financière que semble vouloir remettre au goût du jour Donald Trump, la France doit tenir une position régulatrice extrêmement ferme vis-à-vis du secteur bancaire, alliée à une politique volontariste de réindustrialisation verte.

Gaël Giraud

Gaël Giraud

Gaël Giraud est directeur de recherche au CNRS, et directeur de la Chaire Energie et Prospérité (Ecole normale supérieure, Ecole Polytechnique et Ensae). Après deux années passées au Tchad, où il fonde un centre d'accueil pour les enfants de la rue de Sarh, Gaël Giraud a travaillé quinze ans comme chercheur en économie théorique, au cours desquels il a aussi exercé l'activité de consultant scientifique auprès de banques d'investissement. Il a publié quatre livres, dont le dernier s'intitule Illusion financière, (éditions de l'Atelier, 2013). Enfin, Gaël Giraud est religieux jésuite. 

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Atlantico : Montebourg veut taxer les banques à hauteur de cinq milliards d'euros sur leurs profits. A-t-il raison de vouloir les taxer à ce point ? Quels dangers économiques cela pourrait-il soulever ?

Gaël Giraud : Il convient, je crois, de commencer par comprendre l'usage que le candidat de la primaire à gauche, Arnaud Montebourg, entend donner à l'argent qu'il compte prélever sur le secteur bancaire. Il s'agit, à ses yeux, de financer la transition écologique, en particulier son volet énergétique. Nul doute que ce soit là un enjeu déterminant, et l'on est frappé par l'absence de ce sujet dans ce qui tient lieu de débat dans cette campagne présidentielle. Pourtant, les comptes-rendus de la communauté scientifique sont on ne peut plus clair : le dérèglement écologique ---climatique notamment--- est à coup sûr la menace la plus importante qui pèse, dès aujourd'hui, sur la prospérité présente et future des Français. Un rapport du climatologue Hervé Le Treut le montre : dans moins d'une génération à présent, le climat de Bordeaux sera celui que connaît Séville aujourd'hui. Cela veut dire qu'il n'y aura plus de vin de Bordeaux en Aquitaine, et que le maire de cette ville devra tôt ou tard construire des digues pour protéger les très belles façades du centre-ville de la montée du niveau de la Garonne (peut-être 2 mètres au cours de ce siècle)... Plus généralement, les agriculteurs français au sud de la Loire le constatent tous : nous allons inexorablement vers des climats plus secs, où l'approvisionnement en eau potable promet de devenir problématique et où les paysages de notre pays vont être radicalement bouleversés. Les chênes, qui sont en voie de disparition dans la plus grande partie de l'Espagne, commencent d'ores et déjà à se raréfier dans la Creuse. Et il faudrait mentionner l'érosion des sols qui prend des proportions alarmantes en Italie, et ne manquera pas de s'accélérer en France, ou encore l'érosion du littoral français qui est déjà un souci... Et je ne fais qu'évoquer les départements d'Outre-Mer pour qui la catastrophe environnementale est déjà une réalité présente. 

Autrement dit : chaque candidat peut bâtir des plans grandioses pour prétendre assurer l'avenir de nos compatriotes, s'il n'adresse pas la question décisive de l'environnement, nous savons d'ores et déjà qu'il ne pourra pas tenir ses promesses, et qu'il prépare un avenir très problématique pour les décennies qui viennent. Qui plus est, l'Agence Internationale de l'Energie est également sans détour dans son dernier rapport : si le prix du baril ne remonte pas très vite, le sous-investissement de l'industrie pétrolière depuis 2014 promet d'accélérer le pic du pétrole mondial (techniques non-conventionnelles incluses) : celui-ci pourrait être atteint dans quelques années. L'impossibilité d'augmenter le pétrole à notre disposition et les dégâts environnementaux n'en rendent que plus urgente la nécessité de nous libérer de l'emprise du pétrole et d'adapter notre économie à cette nouvelle donne.  

Arnaud Montebourg a le mérite de vouloir placer cette question au centre de son projet politique. Il est loin, me semble-t-il, le temps où il faisait la promotion des gaz de schiste dans le sous-sol français. Tout indique qu'il a compris que la transition écologique, loin d'être une contrainte de plus qui viendrait compliquer encore davantage une équation politique déjà passablement complexe, constitue au contraire une voie de sortie par le haut. Prenons l'exemple de la rénovation thermique des bâtiments que prône M. Montebourg : les plans de cet immense chantier existent --- j'y ai contribué, tout comme la Caisse des Dépôts et Consignation---, son financement a été calculé. Je les ai moi-même présentés à Emmanuel Macron alors qu'il était encore à l'Elysée, et qui n'en a rien fait. Rénover nos bâtiments, c'est libérer plusieurs millions de Français de la précarité énergétique (face à laquelle le "chèque énergie" reste insuffisant), c'est réduire nos importations de pétrole, améliorer notre balance des paiements (le déficit commercial français, environ 80 milliards d'euros, correspond à peu près à notre facture pétrolière annuelle), réhabiliter les centres-villes de province et la rue principale des villages du monde rural. C'est sortir de la métropolosation du territoire français que dénonce à juste titre le géographe Christophe Guilluy. Enfin, et surtout, c'est créer à nouveau des emplois. A tel point que, si l'Etat lançait demain matin un programme de rénovation thermique tous azimuts sur l'ensemble de l'hexagone, les entreprises du BTP seraient à cours d'ouvriers qualifiés pour mener à bien ce chantier, qui devrait d'ailleurs nous occuper pendant plusieurs décennies. Il faut donc le lancer tout d'abord sur un petit nombre de régions particulièrement sinistrées, démarrer dans le même temps les filières d'apprentissage dans le bâtiment, et créer la main d'oeuvre qualifiée dont nous avons besoin. Puis, d'ici 3 ans environ, généraliser l'expérience à l'ensemble de l'hexagone et des géographies ultra-marines. 

Comment financer ? Les profits des banques françaises se sont élevés à 25 milliards d'euros l'an dernier. Le candidat à la primaire à gauche veut donc prélever un cinquième de cette manne pour financer la transition et notamment la rénovation thermique. La seule raison pour laquelle une telle proposition pourrait ne pas être légitime serait que l'usage habituel que font les banques de leur profit ait des retombées économiques et sociales plus intéressantes que la transition écologique. On est en droit d'en douter très fortement : l'essentiel de cette manne est distribué sous forme de dividendes et vous savez bien que la théorie du ruissellement (qui veut que les rentes des actionnaires favorisent l'intérêt général, comme le croyait Nicolas Sarkozy) est un mythe. Une telle ponction risque-t-elle de fragiliser le secteur bancaire français ? Oui, si elle est opérée sur les petites banques de réseau qui continuent de faire le travail de banquier, à savoir collecter l'épargne des Français, la sécuriser et accorder des crédits à l'économie réelle. Non, si elle est ponctionnée sur les grandes banques mixtes (ou "universelles") qui font l'orgueil de certains financiers parisiens. La France est le seul pays au monde à co-habiter  avec quatre banques mixtes à risque systémique, dont la taille de bilan est bien trop énorme pour pouvoir être secourues par l'Etat en cas de problème. La récente faillite de Monte Dei Paschi di Sienna, en Italie, entre Noël et le Nouvel An, le montre : même les banques les plus anciennes (Monte Dei Paschi est la plus ancienne banque d'Europe) ne sont pas à l'abri. Et l'Union bancaire européenne est inefficace pour protéger le contribuable contre une faillite bancaire : c'est bel et bien l'Etat italien qui a dû nationaliser Monte Dei Paschi. La dette publique italienne va donc s'alourdir des dettes de cette banque. (Au passage, j'avais malheureusement anticipé l'inefficacité de l'Union bancaire européenne dans un rapport remis au Parlement européen en 2015, où je montrais qu'en cas de nouveau maelström financier de même amplitude qu'en 2008, la majorité des grands établissements bancaire européens sera en faillite, que l'Union ne protégera pas les contribuables, et que le PIB de la zone euro pourrait perdre un trillion d'euros en 2 ans, cf. http://www.europarl.europa.eu/thinktank/en/document.html?reference=EPRS_STU(2015)558771). Nous continuons donc cette logique morifère qui consiste à privatiser les gains et à socialiser les pertes. Or l'essentiel de la crise déflationniste que connaît la zone euro depuis plus de 6 ans maintenant est le résultat du krach financier de 2007-2009. 

Là aussi, le candidat Montebourg est l'un des seuls à ma connaissance à continuer de dénoncer le jeu extrêmement malsain d'une partie du secteur bancaire français : en combinant opérations de marchés et activités de dépôt et de crédit au sein d'un même établissement, nos géants nationaux mettent en danger les comptes de dépôts des Français. Vous savez que la loi en Europe fait obligation à l'Etat de garantir chaque compte ouvert dans chaque établissement à hauteur de 100 000 euros. Vous ne savez peut-être pas, en revanche, qu'en cas de grave crise, l'Etat français est incapable d'assurer cette garantie. Elle lui coûterait beaucoup trop cher dans un contexte où nos finances publiques ne sont pas florissantes. Du coup, les banques mixtes, qui savent fort bien tout cela, exercent un chantage malsain sur le gouvernement (qu'il soit de droite ou de gauche) en expliquant à l'équipe qui occupe l'Elysée : "si vous ne faites pas très exactement ce que nous exigeons, vous risquez de nous mettre en difficulté et vous serez incapables d'assumer les conséquences d'un tel risque". Je rappelle que, lors de la crise chypriote (ridicule en comparaison de ce que serait la faillite de BNP-Paribas, par exemple), Bruxelles a envisagé pendant 24 heures de ne pas respecter la garantie des 100 000 euros par compte. Au bout d'une journée et d'une nuit, la Commission européenne s'est ravisée, ayant compris que, si l'Europe donnait le signal que les dépôts ne sont pas assurés, nous risquerions un bank run (une course au guichet) dans toute l'Europe, qui eût mis au tapis tous les établissements bancaires du continent. Pour mettre fin au chantage des banques, il faut séparer les banques de dépôt des banques de financement et d’investissement (lesquelles n'ont fusionné que dans la seconde moitié des années 1990, c'est une invention récente, et qu'il convient de ranger au rayon des très mauvaises innovations financières des deux dernières décennies) ; réhabiliter le métier de banquier aux dépens de celui de trader de salles de marchés. De cette manière, on ôte l'épée de Damoclès qui flotte actuellement au-dessus des dépôts des Français : si une banque de marché vient à faire faillite (à cause par exemple de la bulle financière qui recommence à gonfler depuis plusieurs années à la faveur des politiques monétaires non-conventionnelles  des Banques Centrales), elle ne mettra pas en danger l'épargne des Français. Et si elle fait faillite, ma foi, c'est la logique capitaliste que d'éliminer les perdants du jeu concurrentiel, non ? Il est amusant de voir comment certaines banques se font les chantres du capitalisme le plus sauvage pour autrui, mais refusent d'en respecter les règles elles-mêmes. 

Or, séparer vraiment les banques (l'un des tous premiers actes posés par Roosevelt lorsqu'il a pris le pouvoir en 1933), c'est aussi ce que propose Montebourg. Sur ce point, les propositions du candidat sont très cohérentes. Sa proposition de taxer les banques doit donc se comprendre dans ce contexte, je crois : inverser la logique qui prévaut toujours en Europe consistant à privatiser les gains et à socialiser les pertes; socialiser une (petite) partie des gains bancaires en vue des investissements absolument indispensables liés à la transition écologique. Pour ma part, j'ajouterais qu'il faut le faire en priorité sur les activités de marchés des banques une fois que celles-ci auront été véritablement scindées. 

Avec cette proposition, Arnaud Montebourg fait penser à François Hollande pendant son discours du Bourget où il avait déclaré "mon ennemi c'est la finance". Considérant que c'est sur ce programme qu'il s'est fait élire, est-ce que Montebourg a raison de reprendre ce leimotiv ?

Gaël Giraud : Si le discours du Bourget a fait mouche au sein d'une partie de l'opinion publique, c'est parce que cette dernière a compris que la finance dérégulée est véritablement l'ennemie de la prospérité économique. Elle permet simplement des jeux d'argent qui orientent une partie du capital dans un nombre de plus en plus concentré de mains, fait exploser les inégalités, et n'alloue efficacement ni le capital, ni le risque. Notre continent est hypnotisé depuis quarante ans par les mirages apparents de la finance de marché. Sans doute parce que celle-ci offre le visage d'un monde d'emblée internationaliste, sans usine, ni ouvriers. Un monde apparemment sans lutte des classes. C'est à ce fantasme qu'ont souscrit un trop grand nombre d'intellectuels (y compris des économistes) et de membres des élites politiques. La réalité est tout autre : la dérégulation financière a été promue par les Etats-Unis dans les années 1970 à une période où Washington avait compris que, désormais, l'Amérique ne serait plus le grand pays exportateur qu'elle avait été durant les Trente Glorieuses. Devenus un pays durablement déficitaire, les Etats-Unis cherchaient donc un moyen de recycler les excédents commerciaux des pays qui, désormais, produiraient pour eux ---et dès les années 1990, ce pays, ce fut la Chine, devenue en quelques années l'usine du monde. Wall Street et la City ont été les deux grandes pompes à recycler les excédents commerciaux des nations excédentaires (pendant qu'une partie des ménages nord-américains s'installaient dans la position confortable de consommateurs en dernier ressort). Ce qui a permis aux Etats-Unis et à l'Angleterre de continuer à s'enrichir alors qu'ils se désindustrialisaient à grande vitesse et n'étaient plus capables de produire les conditions matérielles de leur propre prospérité. L'Allemagne, elle, qui n'a jamais cédé à ce mirage, a tout fait pour conserver son industrie, et l'a même étendue sur son Hinterland qu'est devenue l'Europe de l'Est. La France, elle, a laissé dépecer son industrie, croître le chômage en conséquence, sans avoir ni Wall Street, ni la City pour rapatrier les capitaux qui faisaient défaut à son économie. Elle n'a donc que deux options à l'heure où Trump entend manifestement relancer la machine financière à faire des bulles et des krachs : suivre à nouveau la pente extrêmement dangereuse de la dérégulation financière (et c'est cette pente que suivront inévitablement tous les candidats qui ne promettent pas une position régulatrice extrêmement ferme vis-à-vis du secteur bancaire alliée à une politique volontariste de réindustrialisation verte, y compris François Fillon et le Front National) ou bien se réindustrialiser à la faveur de la transition écologique et se protéger contre les excès de la finance de marchés. 

A l'évidence, seule la seconde option est viable. C'est celle qu'a choisie Arnaud Montebourg. Avec ses accents propres, Jean-Luc Mélenchon a opté à juste titre pour cette seconde option également. En revanche, ce n'est clairement pas la voie que veut suivre, par exemple, l'ancien banquier d'affaires, Emmanuel Macron. Il serait bienvenu que l'ensemble des candidats de la primaire à gauche se rangent à cette option, et que le débat puisse enfin porter sur des questions non moins importantes  : comment dégonfler la bulle immobilière et financer nos retraites ? Quelle réforme de la fiscalité mettre en oeuvre ? Comment réhabiliter les services auprès de la petite enfance et du troisième âge ? Accueillir les migrants ? etc. Mais tant que ces deux chapitres ---la transition écologique et la réglementation bancaire--- n'auront pas été ouverts, le reste risque d'être condamné au statut de discussion de salon : les dégâts environnementaux promettent la précarité et le déclassement social au plus grand nombre d'entre nous ; une nouvelle crise financière (par ailleurs inévitable, compte tenu du découplage déjà observable à présent, entre prix des actifs financiers et prix des actifs réels) précipiterait le processus si nous ne prenions pas les moyens de nous en protéger. Au fond, ce ne devrait même pas être un sujet de clivage droite/gauche. Ledit clivage ne devrait intervenir qu'en aval de la décision fondatrice de nous conformer aux engagements de la COP21 et de nous protéger des sortilèges des marchés financiers. On ne peut que regretter que ces deux sujets soient quasiment absents des préoccupations du candidat élu à la primaire à droite. 

Est-ce qu'il n'y a pas un problème avec les taux d'intérêt bas que l'on impose aux banques alors que c'est justement sur ces taux d'intérêt qu'elles fondent leur modèle économique ? 

Gaël Giraud : Au contraire. La Banque Centrale Européenne (BCE) aujourd'hui, offre un taux de refinancement de court terme nul, voire négatif, aux banques commerciales parce que nous sommes guettés par un mal profond, qui a pour nom la déflation. C'est-à-dire l'absence de croissance conjuguée à l'absence d'inflation et à l'accumulation des dettes privées, d'abord, puis publiques. Dans ce contexte, la Banque centrale n'a pas d'autre instrument à sa disposition pour tenter de relancer la machine économique que de baisser son taux. Une fois atteint le plancher du taux nul, que faire ? Les principales Banques centrales occidentales, confrontées à ce problème, tentent d'explorer la terra incognita que représentent des taux négatifs. C'est le seul moyen de maintenir en survie des banques commerciales dont le Fonds Monétaire International reconnaît que 40% d'entre elles, en zone euro, ne sont pas viables. Concrètement, cela veut dire qu'à chaque fois qu'une banque emprunte de la monnaie au guichet de Francfort, elle est payée pour cela. Vous avez bien lu : les banques sont payées pour faire emprunter. Beaucoup d'investisseurs rêveraient de jouir de tels privilèges. Le prix à payer, car il y en a un, c'est que le taux de rémunération des dépôts auprès de la BCE est lui aussi négatif. En d'autres termes, toutes les fois que les banques mettent de l'argent en dépôt à Francfort, non seulement cela ne leur rapporte rien, mais cela leur coûte un peu d'argent. C'est le miroir du taux négatif à l'emprunt. Bien entendu, il suffit pour les banques commerciales, de ne pas laisser d'argent en dépôt à la BCE pour ne pas avoir à acquitter ce taux négatif. Mais, outre qu'elles sont tenues de conserver un petit reliquat (1% des dépôts qu'elles conservent dans leur propre bilan) en réserve à la BCE, depuis le krach de 2009, en réalité, elles ne se sont pas remises de l'extraordinaire crise de défiance qui a secoué le marché interbancaire français (tout comme dans d'autres pays). Au lieu de se prêter entre elles, au risque de ne pas être remboursées si l'une d'entre elles venait à faire faillite, elles ont pris l'habitude de mettre en dépôt à la BCE leurs énormes liquidités (empruntées à taux nul et maintenant négatif auprès de cette même BCE). C'est un peu comme si vous empruntiez de l'argent à votre banquier pour le placer en dépôt chez lui sans rien en faire. Ce symptôme du mal profond qui atteint le secteur bancaire français est étroitement lié à la déflation : puisque l'économie réelle ne peut plus emprunter (faute de perspectives d'investissement rentable, et du fait de l'excès d'endettement privé), les banques ne savent plus comment prêter leurs excédents de liquidité. Aujourd'hui, elles sont très fortement incitées par Francfort à retirer ces liquidités de leur facilité de dépôt pour les prêter à l'économie réelle. Elles pourraient le faire en abaissant elles-mêmes le taux auquel elles prêtent à l'industrie, par exemple. Mais elles ne le font pas, ou insuffisamment. Du coup, la demande de crédit ne redémarre pas. 

Cela dit, les banques françaises tentent de trouver la parade à cette situation paradoxale et d'augmenter davantage encore leurs profits (qui restent substantiels, 25 milliards l'an dernier, essentiellement grâce à la bulle financière) : elles militent pour que la France passe à une monnaie purement électronique. Bien sûr, cette "réforme" est présentée comme allant dans le sens de l'histoire, de la modernité et du progrès. En réalité, il s'agit de tout autre chose : une fois que la monnaie sera devenue entièrement dématérialisée, plus personne ne pourra retirer son argent de son compte de dépôt pour, par exemple, le mettre en lieu sûr (sous son matelas). Dès lors, non seulement, tous les déposants français seront pieds et poings liés devant les risques que les banques mixtes font courir à leurs dépôts (qui, encore une fois, ne sont pas assurés aujourd'hui, contrairement à ce qu'exige la loi), mais encore les banques pourront prélever un taux d'intérêt sur les comptes de dépôt. Elles argumenteront que c'est la conséquence logique du taux d'intérêt qui est actuellement prélevé par la BCE sur leurs propres dépôts à Francfort. Elles "oublieront" cependant d'avouer que, ce faisant, elles perçoivent un taux d'intérêt négatif toutes les fois qu'elles empruntent de la monnaie auprès de la BCE. Et il est très vraisemblable qu'elles continueront à exiger un taux positif, cette fois, aux ménages et aux industriels qui, eux, auront besoin de liquidité pour consommer ou investir. Les acteurs de l'économie réelle seront alors ponctionnés deux fois, pour le plus grand bonheur des actionnaires du secteur bancaire : une fois en empruntant de l'argent, une seconde fois en déposant leur argent sur leur compte en banque. La monnaie deviendra "fondante", au sens où la valeur de votre compte en banque diminuera de jour en jour tant que vous n'aurez pas tout dépensé. Mais cette diminution ne se fera pas pour vous encourager à entrer dans des relatons sociales vertueuses, comme c'est le cas pour les monnaies complémentaires, par exemple. Cette "fuite" se fera simplement pour augmenter les profits bancaires. 

Il serait donc bien paradoxal de faire des banques les victimes de la situation actuelle. Ce sont leurs propres excès, entre le milieu des années 1990 et 2007, qui les ont conduites à la situation désespérée où elles se trouvent aujourd'hui. Pourquoi le contribuable français, déjà pénalisé par la paralysie déflationniste qui frappe notre économie, devrait-il se saigner pour sauver les banquiers ? En séparant les banques, le législateur obligerait les banques de dépôt et de crédit à recommencer (continuer, pour certaines d'entre elles) à faire leur métier. Par exemple, elles pourraient être invitées par l'Etat à contribuer au financement de la transition écologique (en accordant des prêts "verts" qui seraient immédiatement rachetés par la BCE, comme celle-ci s'est d'ailleurs engagée à le faire pour toute forme d'Asset-backed-security). En prélevant une (petite, 20%) partie de leur profit, comme veut le faire M. Montebourg, la pompe du financement de la transition pourrait être amorcée. Cela créerait de l'activité, des emplois et favoriserait le retour à des carnets d'ordre moins vides dans le secteur du bâtiment et, plus généralement, le secteur de l'industrie. Cette reprise de l'activité me paraît être le seul moyen pacifique de sortir de la trappe déflationniste.

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