Fin de vie : une Convention citoyenne dont les biais viendront hanter Emmanuel Macron<!-- --> | Atlantico.fr
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Les rapporteurs présentent le texte final de la Convention citoyenne sur la fin de vie, au Conseil économique, social et environnemental à Paris, le 2 avril 2023
Les rapporteurs présentent le texte final de la Convention citoyenne sur la fin de vie, au Conseil économique, social et environnemental à Paris, le 2 avril 2023
©JULIEN DE ROSA / AFP

Nouveau rapport

Après 27 jours de travail, les 184 membres de la Convention citoyenne sur la fin de vie ont livré dimanche 2 avril leur rapport final

Damien Le Guay

Damien Le Guay

Philosophe et critique littéraire, Damien Le Guay est l'auteur de plusieurs livres, notamment de La mort en cendres (Editions le Cerf) et La face cachée d'Halloween (Editions le Cerf).

Il est maître de conférences à l'École des hautes études commerciales (HEC), à l'IRCOM d'Angers, et président du Comité national d'éthique du funéraire.

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Atlantico : Après 27 jours de travail, les 184 membres de la Convention citoyenne sur la fin de vie ont livré dimanche 2 avril leur rapport final, qu’ils présenteront lundi au Président de la République. Quelles sont les principales conclusions et pistes de ce rapport ?

Damien Le Guay : Le rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie apporte un soutien massif aux soins palliatifs et permet d’avoir un droit opposable pour les soins palliatifs. Cela fait des années que les budgets sont insuffisants. La défaillance de l’Etat, le manque  de moyens et les défauts de l’offre nécessitaient un sursaut salutaire et tout à fait nécessaire pour les soins palliatifs. Une sorte d’intelligence collective de cette convention a permis d’insister sur le cadre général alors que la question posée était restreinte. Il faut saluer tout ce qui est dit sur l’importance fondamentale de cet accompagnement au bout de la vie qui fait l’honneur de nos sociétés.

Ceci dit, la Convention est favorable à « l’aide active à mourir » (AAM) - qui est un euphémisme gentil pour ne pas dire « l’euthanasie » et  le « suicide assisté ». Voilà qui est au centre des réflexions de la Convention et de ceux qui voulu cet exercice d’une démocratie parallèle et d’une légitimité problématique. Mais si la Convention citoyenne est pour le principe, tout devient beaucoup plus complexe quant aux modalités d’application. Le diable se cache dans les détails. Elle propose 19 approches différentes. Certaines insistent plutôt sur l’euthanasie considérée comme un « soin ». D’autres sur le suicide assisté. Tous comprennent bien que si les principes sont simples les manières de faires font naitre autant de difficultés que de problèmes que de situations difficiles à contrôler.  Qui fait quoi ? Comment administrer la solution létale ? Qui doit en « bénéficier » ? La difficulté de ces questions tient surtout aux manières de les mettre en œuvre. Vu de loin, la convention est pour, vu de près tout est plus complexe et les conventionnaires plus partagés.
De près, la question du discernement est toujours délicate. Le problème essentiel du suicide assisté ou de l’euthanasie est cette question du consentement et de la manière d’être certain qu’il est bel et bien là d’une manière durable, assuré et libre. Lorsque les patients sont dans un état de conscience altérée ou atténuée, et qu’ils se savent diminués et qu’ils ont conscience « d’être de trop », comment peut-on être assurés que leur « désir de mort » n’est pas, avant tout, un appel à un surcroit de confiance, de prise en charge ou de soulagement de la douleur ? Les soignants savent cela. Ils en font l’expérience chaque jour. D’où leurs oppositions massives a l’euthanasie.

La Convention citoyenne met en avant, en cas de discernement défaillant, la possibilité de Directives anticipées qui ne seraient pas indicatives mais contraignantes pour les soignants. Il faudrait les appliquer pour prendre en compte la volonté du patient. De mon point de vue, le danger est grand de dérives nombreuses. Le risque est immense d’une surinterprétation, comme si une volonté ancienne reflétait une volonté actuelle secouée par la souffrance, fracassée par une inquiétude existentielle, angoissée par la mort, apeurée par la maladie.  Cela pose un vrai problème. Trop insister sur les Directives anticipées tend à ne pas tenir compte de l’ambivalence des consciences et à l’inédit d’une personne seule face à la mort qui vient.
Autre problème. Le patient aurait également le choix du lieu : l’hôpital, à domicile ou au sein des EHPAD. Cela pose d’autres difficultés. La question du contrôle du processus à domicile ou dans les EHPAD est problématique. Des dérives sont constatées en Belgique. Les risques de consentements défaillants, de mauvaise compréhension ou d’abus peuvent survenir encore plus facilement à domicile ou dans les EHPAD.
Quant à une « clause de conscience », elle serait mise en œuvre pour les soignants. Mais cette réalité est complexe. L’Ordre des médecins vient de dire qu’il était contre le suicide assisté. Une pétition a récemment réuni 800.000 soignants opposés à ces projets. Les personnes directement concernées ne l’appliqueront pas. La Convention souhaite à la fois un contrôle des procédures d’aide à mourir par les soignants mais ne tient pas compte de leurs refus massif de « passer à l’acte ». Comment faire ? Tout est là. Qui fera quoi ? Les questions pratiques ne manquent pas. Il n’y a pas de réponses de la part de la Convention citoyenne à ces interrogations-là.

Emmanuel Macron risque-t-il de suivre ces recommandations ? A-t-il réellement l’intention de changer la loi sur la fin de vie ? Vers quoi allons-nous basculer ? Allons-nous assister à un changement de société en cas de mise en place du suicide assisté et de l’aide active à mourir ?

Disons tout d’abord que cette Convention citoyenne a été voulue par ceux qui étaient favorables à l’AAM. La question qui leur a été posée par la Première ministre était biaisée (« Lecadre d'accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d'éventuels changements devraient-ils être introduits ? »). La loi ne couvre évidemment pas tous les cas. Poser la question comme cela suppose qu’il faut changer la loi. Dès le début de la Convention, les choses étaient orientées. Il a suffit d’entendre les premiers intervenants et surtout, au tout début, la venue de personnes qui ont fait, sans discussion ni débats,  la « promotion » du suicide assisté en Suisse et de l’euthanasie en Belgique. Cette partialité des débats posait problèmes.

Il faut néanmoins reconnaître qu’il y a eu une forme de sursaut des citoyens impliqués dans la Convention. Ils se sont réellement emparés du sujet, ont multiplié les requêtes et les auditions. Ils ont écouté les médecins. Certains se sont rendus dans des unités de soins palliatifs. Ils ont infléchi la question telle qu’elle avait été posée initialement. L’ont élargie. Même si cela n’a pas été suffisant pour la question de l’AAM, cela a néanmoins été bénéfique pour les soins palliatifs. Les membres de la Convention citoyenne ont compris que c’était là où se passait l’essentiel des enjeux sur la fin de vie. Si les recommandations sont suivies, cela permettrait de changer de fond en comble les ambitions, les moyens et l’inscription des soins palliatifs à l’intérieur du parcours du médecin, même si cela s’accompagne d’un changement de nature de l’esprit des soins palliatifs. La Convention n’a pas compris qu’il y a incompatibilité entre l’AAM et « le non abandon » qui est au cœur de la démarche palliative.
Quant au Président, face aux conclusions de la Convention citoyenne, il se rend compte qu’il a lancé une procédure et un débat sans en mesurer les conséquences. Il est dorénavant sur la réserve. Il l’est pas stratégie politique ou pour mieux mesurer les tenants et aboutissants du sujet. Il réalise mieux les gigantesques limites du soit-disant « modèle belge ». Cette législation en Belgique a été récemment condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme sur la question du discernement et des contrôles. Tout cela démontre qu’il y a une dérive et une défaillance du système sur le contrôle a posteriori.  Il y a des euthanasies dissimulées ou non déclarées et elles sont conséquentes en Belgique. Emmanuel Macron doit se rendre compte de tout cela. Pour l’instant depuis qu’il a lancé ce processus, le chef de l’Etat n'a pas exactement dit ce qu’il veut faire. Dernièrement, il souhaitait donner du temps au temps.

Est-ce que pour autant qu’il va infléchir cette poussée euthanasique qui semble dominer le débat ? Espérons-le. Sera-t-il capable, au contraire, pour des raisons politiques et non philosophiques, de donner ce gage-là à la gauche sociétale qui compose une grande partie de son électorat et de ses troupes à la chambre des députés ? C’est possible. Avec lui, tout est possible. Personne ne connaît réellement sa position – pour autant que sa position soit arrêtée en dehors de considérations politiques. Mais il doit savoir que tout cela ne se fera pas dans un esprit de pacification. Le consensus n’est pas là. Il faut aussi mesurer (sans doute le fait-il !) les conséquences dramatiques de ce basculement civilisationnel : non pas accompagner ceux qui « vont mourir » mais aider « ceux qui veulent mourir » - pour reprendre la distinction judicieuse de jean Léonetti. Une réforme « sociétale » est une chose ; un reniement de l’éthique d’accompagnement en est une autre !   


Le conseil national de l'Ordre des médecins a exprimé officiellement ses positions sur la fin de vie. Dans un avis publié samedi 1er avril, à l'issue de neuf mois de réflexions de ses conseils départementaux et régionaux, le conseil national de l'Ordre des médecins a fait savoir qu'il sera « défavorable à la participation d’un médecin à un processus qui mènerait à une euthanasie ». Que pensez-vous de cette position ? Le monde médical pourra-t-il s’opposer au pouvoir politique sur cette question sensible ?

Outre l’avis défavorable de l’Ordre des médecins, une pétition a été signée tout dernièrement par 800.000 soignants, dont 600.000 infirmières, et qui s’opposent farouchement à l’euthanasie. Il y a un rejet massif de tous ceux qui sont directement concernés. Les médecins qui savent de quoi ils parlent sont contre – quand il y en a d’autres, éloignés de ces questions, qui se disent favorables. Tous les médecins favorables sont des médecins généralistes ou des dentistes. Ils n’ont pas une connaissance de terrain.

Lorsque j’ai été auditionné lors de la Commission Falorni, il y a trois semaines, j’ai soulevé la question suivante et qui est fondamentale : qui effectuera l’acte ? Qui va pousser la seringue ? Qui va faire un geste alors même que la clause de conscience ne peut pas leur être refusée  - même si l’on voit dans d’autres pays qu’il peut y avoir des contournements de cette clause de conscience ?  Monsieur Falorni (promoteur de l’euthanasie) est embarrassé. Il pense déplacer le problème du coté du domicile et en enfermant la décision par les directives anticipées. Comment faire ? Une solution comme autrefois dans les pays communistes : si le peuple vote mal, changer le peuple. Or là,  il n’y a pas moyen de changer lepeuple des soignants. L’hôpital est dans un état de délabrement relativement fort. Il y a un manque de moyens. S’ils se privent de 800.000 soignants sur ce sujet-là, je ne sais pas comment ils vont faire.

D’une manière générale, ce sujet de l’AAM est extrêmement mineur, marginal et avant tout symbolique pour ne pas dire instrumentalisé par une gauche progressiste en mal de combats nouveaux.  Il faudrait prendre le problème à l’endroit, par le général et non le particulier si on souhaite améliorer la fin de vie en France. 650.000 personnes meurent chaque année en France. Il y en a malheureusement trop qui viennent  mourir soit dans des couloirs dans les urgences, soit qui souffrent beaucoup, et qui ne sont pas pris en charge suffisamment. Sur les personnes qui demandent à bénéficier des soins palliatifs, deux tiers (soit 200 000) ne peuvent pas en bénéficier par faute de moyens ou parce qu’elles ne sont pas dans le bon département. Ce ne sont pas les 2.000 ou 3.000 personnes qui pourraient recourir à l’AAM qui seraient en mesure de régler quoi que ce soit.

Le problème est posé à l’envers. On commence par se concentrer sur cette seule question de la fin de vie alors que l’interrogation n’est pas là.  La véritable réponse est justement dans le développement des soins palliatifs. Si on avait donné, depuis vingt ans, tous les moyens pour que les soins palliatifs puissent se déployer comme il le fallait, sans doute que ce débat aujourd’hui n’aurait pas lieu.
Les soignants peuvent être dans des positions crucifiantes. Ils ont la possibilité de faire jouer la clause de conscience. Ils ne veulent pas participer à cela. Tuer, donner la mort, ne rentre pas dans le cadre du soin. Mais ces soignants ont aussi du mal à imaginer qu’ils puissent abandonner leur patient. Nous pourrions nous trouver donc dans des cas de consciences impossibles, des inquiétudes éthiques majeures. Il faut prendre en compte les soignants. Ils semblent être méprisés dans le débat actuel.

Il s’agit presque d’un conflit de classe. Il y a la classe d’un peuple soignant qui est souvent mal payée (les aides-soignants, les infirmières), qui est dévouée et qui effectue sa vocation avec beaucoup d’humanité. Et d’autre part, il y a ceux qui ont signé la pétition dans L’Obs, « Le manifeste des 109 ». La pétition a notamment été signée par Laure Adler, Nathalie Baye, Nicolas Bedos, Sandrine Bonnaire, Raphael Enthoven. Il s’agit de la gauche bien-pensante qui a les moyens de vivre dans l’opulence et le confort des « beaux quartiers » et qui ne connaît pas réellement ces sujets-là et la réalité du terrain. Ces personnes ont été marquées par des mauvais souvenirs. Nathalie Baye évoque notamment le cas de sa mère qui est morte dans des souffrances terribles il y a trente ans. Depuis trois décennies, beaucoup de choses ont été faites avec le développement des soins palliatifs. Nous assistons donc à un conflit de classe entre cette classe bien-pensante et le peuple des soignants – les 800 000 qui ont signés contre l’AAM. Quant à ceux sont atteints de maladies graves neuro-dégénératives ou la maladie de Charcot ils veulent être aidés et considérés, mais ne souhaitent pas qu’on leur fasse « bénéficier » de l’euthanasie.
Ce conflit de classe est presque injurieux. C’est comme si nous n’avions pas besoin de prendre l’avis des soignants, des malades eux-mêmes. Cette Convention citoyenne fut lancée avec des individus éloignés de ces sujets et peu concernés par eux. Le débat est promu par des personnalités de gauche  qui plaident, au nom de la liberté et sans être sur le terrain, pour le recours à l’euthanasie et au suicide assisté.
Le président de la République doit être en capacité de prendre tout cela en considération. Il lui faut trouver des équilibres respectueux de tous – y compris des soignants qui « savent » de quoi ils parlent. Or, la stratégie du « en même temps » est d’un équilibre presque impossible sur ces sujets clivants aux positions irréconciliables. La situation est un peu celle de l’arroseur arrosé. Emmanuel Macron est bien celui qui a relancé le débat en l’inscrivant dans sa deuxième campagne présidentielle. Ce sujet lui revient en boomerang. Soit il y aura un « coup de force » contre les soignants, soit il y aura un compromis du seul coté du suicide assisté en dehors de l’hôpital, soit la question va être reportée à plus tard.
Plus qu’hier, quand il faisait la bise à Line Renaud, Emmanuel Macron mesure aujourd’hui les résistances ainsi que les difficultés et l’incapacité à mettre en œuvre cette solution au sein de l’hôpital. Il mesure les moyens qu’il va falloir alloués pour développer les soins palliatifs. Ils sont significatifs mais peu de chose au regard du « quoi qu’il en coute ».   


Les nouvelles  dispositions de la convention ne vont-elles pas entraîner des dérives ? Quels sont les garde-fous à mettre en place ? Les propositions de la convention citoyenne en ce sens sont-elles rassurantes ?

Il est possible de mettre tous les garde-fous possibles et imaginables autour de l’euthanasie et du suicide assisté. Mais tous ces garde-fous-là, l’exemple belge l’a démonté, vont d’une façon ou d’une autre sauter.

Tous les garde-fous sur lesquels la Convention citoyenne s’est prononcée et a voté et auxquels elle a songé (un clair discernement, la clause de conscience, le double avis, les délais, l’encadrement) ne tiendront pas bien longtemps. C’est sur. Sur et certain. Nous sommes dans une démocratie avec des principes égalitaires. L’égalité suppose donc l’accès de tous aux mêmes droits.

La Belgique, qui a changé dix-sept fois sa loi, a fait sauter tous ses garde-fous d’origine. L’euthanasie n’est plus maintenant pour la seule fin de vie. Elle n’est plus « réservée » aux souffrances réfractaires liées aux maladies comme un cancer. Désormais elle concerne aussi les souffrances psychiques. Il y plus d’un an, une jeune femme de 23 ans (Shanti de Corte) s’est notamment faite euthanasiée en Belgique pour des troubles psychiques. Les dérives sont nombreuses et tout à fait incontrôlables.

Je le redis, tous les garde-fous que l’on voudra mettre ne tiendront pas. C’est ce qu’il s’est passé aux Pays-Bas et en Belgique. Il y a de plus en plus d’élargissements. Il s’agit d’un mécanisme naturel qui fait que lorsqu’un droit, aussi encadré soit-il, est donné, son tropisme naturel, en démocratie est d’être étendu au plus grand nombre de personnes et de faire sauter toutes les barrières qui sont mises au début pour empêcher que cette déferlante puisse gagner d’autres types de population. Les garde-fous sont une fausse illusion de protection. Ils sautent assez vite. En acceptant le principe de l’euthanasie et du suicide assisté, la lame de fond emportera tout. L’effet limité au début sera désencadré dans les années à venir. C’est inscrit dans l’ordre des choses. Il faut le savoir. Le dire. Il n’y a pas de demi-mesure, sauf pour les « belles âmes » qui croient pouvoir arrêter dés le début une avalanche. C’est une illusion. Quand elle est lancée, elle emporte tout sur son passage.

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