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Eric Ciotti et Aurélien Pradié à l'Assemblée nationale.
Eric Ciotti et Aurélien Pradié à l'Assemblée nationale.
©Ludovic MARIN / AFP

Avenir des Républicains

Ni discipline, ni cohérence idéologique, le parti « de gouvernement » de la droite est-il devenu un obstacle à la reconstruction d’une offre politique susceptible de s’adresser à ce qui semble pourtant être un créneau majoritaire dans l’électorat ?

Bruno Jeanbart

Bruno Jeanbart

Bruno Jeanbart est le Directeur Général adjoint de l'institut de sondage Opinionway. Il est l'auteur de "La Présidence anormale – Aux racines de l’élection d’Emmanuel Macron", mars 2018, éditions Cent Mille Milliards / Descartes & Cie.

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Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico : Quel est l’état des lieux sur les divisions, aussi bien humaines que stratégiques ou encore idéologiques au sein du parti Les Républicains ?

Bruno Jeanbart : C’est une surprise de voir que sur le sujet des retraites, ils se sont divisés, pas tant sur le fond d’ailleurs. Aujourd’hui, Les Républicains apparaissent comme le parti politique le plus divisé après cette séquence politique. 

Notons tout de même que la situation de LR reste inconfortable. Les LR ne se sont jamais opposés frontalement à la majorité présidentielle comme ce fut le cas de la Nupes et du RN. 

Quand on regarde les élus qui sont les plus opposés à la réforme, ce sont des élus de territoires moins marqués à droite, à l’image d’Aurélien Pradié dans le Lot. La pression sur le terrain y est plus importante. C’est moins le cas pour des élus dans des territoires de droite traditionnelle. Mais dans le fond, quand vous êtes Aurélien Pradié, prendre une position différente que l’état-major des LR, cela vous offre une tribune médiatique beaucoup plus forte que si vous aviez défendu le projet.

Sans oublier qu’au sein de LR, il existe également plusieurs visions sur ce que doit être le groupe LR dans ce contexte de majorité relative, entre ceux qui pensent qu’il faut en tirer un maximum d’avantages en négociant avec la majorité, et d’autres qui pensent qu’il faut s’inscrire plutôt dans l’opposition pour préparer l’après-Macron.

Maxime Tandonnet : La droite dite classique ne se remet pas de ses derniers échecs, notamment les 4,8% de Mme Pécresse, alors qu’au premier tour de 2007, Nicolas Sarkozy atteignait 34%... La pente est raide. Dès lors, trois stratégies de survie sont aux prises. La première, celle de l’ancienne école formée des leaders des années 2002-2012 Sarkozy, Copé, Raffarin, etc. consiste à s’allier au macronisme en souhaitant un « accord de gouvernement ». La seconde, la génération intermédiaire, montée en puissance depuis 2012, avec M. Ciotti, M. Retailleau ou M. Marleix, se réclame de « l’opposition constructive », appelée à soutenir la majorité présidentielle au cas par cas. En s’engageant, sur un mode volontariste, en faveur de la réforme des retraites, considérée par les macronistes comme « la mère des réformes », elle se rapproche (même si elle s’en défend) d’une solution de convergence. La troisième est celle de la génération montante ou des frondeurs qui sont une vingtaine à l’Assemblée nationale et s’en tiennent à une opposition ferme et déterminée.

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La demande de réforme est pourtant présente dans l'électorat. Pourquoi Les Républicains se sont-ils déchirés sur la question ?

Bruno Jeanbart : Il y a tout de même une partie des électeurs LR qui ne veulent absolument pas soutenir Macron et qui ne voulaient pas de cette réforme faite dans ces conditions, et non pas parce qu’ils seraient opposés à une réforme des retraites en elle-même. 

Si les LR ne vont pas jusqu’au bout, à savoir tout faire pour que la loi passe, ils risquent d'apparaître, aux yeux de leur électorat, comme des politiques incapables de prendre des décisions au moment où il faut réformer le pays.

Maxime Tandonnet : Les clivages ne sont plus du même ordre que ceux qui ont longtemps rongé la droite LR. La confrontation idéologique entre pro et anti-maastrichtiens (Alain Juppé contre Philippe Séguin) s’est effacée avec la disparition des débats d’idées. De même la bataille d’egos (comme celle qui opposa les deux François, Copé et Fillon en 2012) a perdu de sa vivacité : un parti en danger de mort ne peut plus se permettre d’afficher des haines intestines. Désormais, dans une logique de survie, la divergence porte sur la stratégie à adopter dans la perspective des prochaines échéances électorales, notamment en 2027. Les partisans d’une convergence avec le macronisme (formelle ou masquée), espèrent reconstituer à leur profit une puissante formation centrale issue de Renaissance et de LR, qui s’imposerait naturellement, d’après leurs calculs, contre la gauche Nupes et la droite RN. En revanche, les partisans d’une opposition ferme, y compris sur les « 64 ans » entendent rebâtir la droite classique en s’appuyant sur l’impopularité du président de la République tout en combattant la Nupes et le RN sur le terrain des idées.

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Peut-on s’attendre à une nouvelle fuite d’élus LR vers la macronie ?

Maxime Tandonnet : Non, les ralliements individuels sont peu probables désormais dès lors que la question qui est posée est celle d’un rapprochement global entre la droite classique et la majorité présidentielle. Sur le plan politicien, le président Macron est parvenu à ses fins. Il a fortement affaibli le parti socialiste d’où il vient, le poussant à la radicalisation dans la Nupes. Il est aussi parvenu à déstabiliser la droite classique. La manœuvre de la réforme des retraites relève du grand art. Alors qu’en 2019-2020, il s’opposait fermement au report de l’âge du départ à la retraite à 64 ans (qualifié « d’hypocrite »), il en fit l’étendard de sa campagne de 2022 pour couper l’herbe sous le pied de la candidate LR. Aujourd’hui, le projet de loi sur les 64 ans se traduit par un déchirement fatal de la droite LR dont les macronistes comptent évidemment tirer profit.

La droite a-t-elle intérêt à s'arc-bouter sur le principe de responsabilité (nous défendions la retraite à 65 ans, nous devons donc voter cette réforme) ou à s’arracher à la caricature d’un parti gestionnaire sans souffle et sans idées ?

Bruno Jeanbart : Elle a plutôt intérêt à le faire sur cette réforme étant donné que le côté non gestionnaire est déjà occupé à droite par le Rassemblement national. Mais le risque est en effet de n’incarner que le côté gestionnaire sur tous les sujets. Cela pose la question de la capacité des LR à incarner autre chose qu’un parti respectueux des comptes publics. Le parti est-il encore capable de dessiner une vision pour la France dans cinq ou dix ans ?

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Maxime Tandonnet : Dans cette affaire, les leaders de la droite LR manifestent un étrange déficit d’imagination. Ils prétendent donner la priorité à « l’intérêt national » sur les clivages politiques. Or à l’évidence, le totem des « 64 ans », rendu largement inutile par la règle des 43 annuités, sert de paravent à l’insignifiance de cette réforme qui ne règle aucun problème et semble même en rajouter en termes d’équité pour certaines carrières longues (ce point reste étrangement obscur). Le discours de la dramatisation sur les conséquences d’un rejet de cette réforme, qui menacerait l’avenir du régime des retraite, porte l’art du mensonge à un niveau rarement atteint. De même, ils revendiquent un devoir de cohérence par rapport au programme de 2017 et 2022. Mais en quoi serait-il interdit à un parti politique de remettre en question un programme qui à quatre reprises, en comptant les présidentielles et les législatives, a contribué à sa défaite ? Ils prétendent enfin, à travers ce soutien, manifester leur sérieux et sens des responsabilité. De fait, ils soutiennent avec un zèle qui fait froid dans le dos une réforme immensément impopulaire, rejetée par 90% des actifs et qui déchire le pays en l’entraînant dans la violence. A travers ce soutien,ils montrent leur perméabilité à la mode idéologique sublimant l’arrogance et le mépris envers le peuple. 

Comment imaginer la suite pour LR, même si la loi sur la réforme des retraites passe ?

Bruno Jeanbart : Cela va laisser des traces dans l’organisation du parti. On a l’habitude de voir que dans des partis de plus en plus affaiblis, leur direction est de plus en plus faible, ce qui entraîne une perte de repères et d’autorité. A ce titre, l’autorité d’Eric Ciotti sera remise en cause.

Si la réforme est adoptée, cela va tout de même les protéger du mécontentement de la population, qui va concentrer toute sa colère contre la majorité.

Maxime Tandonnet : En se rapprochant du macronisme, les leaders de la droite LR collent à une frange de leur électorat classique, la bourgeoisie fortunée et retraitée, sensible à la figure jupitérienne ou protectrice du président Macron et sa façade autoritaire. Mais en revanche, ils se coupent de l’électorat populaire, le monde du travail, les familles, qu’ils abandonnent à la Nupes, au RN et surtout, à l’abstentionnisme. Ils sous-estiment le rejet populaire du macronisme avec son désastreux bilan (effondrement scolaire, financier, économique, sécuritaire, migratoire, social, sanitaire, énergétique, etc.) La propension des leaders LR à se laisser enchaîner à ce bilan et au naufrage inévitable de la macronie est incompréhensible. C’est bien ce danger que la vingtaine de « frondeurs » à l’Assemblée nationale semble avoir perçu. Par le plus tragique des paradoxes, les idées d’une droite populaire, libérale et patriote, sont probablement majoritaires en France. Le parti LR (avec ses visages familiers) est désormais trop compromis pour espérer les incarner un jour. Et il n’existe sans doute pas d’autres voie possible que l’émergence d’une nouvelle formation avec de nouveaux visages, aussi rassembleuse que possible, destinée à réconcilier la France avec le débat d’idées, la politique et la démocratie.

Doit-on s’étonner du silence de Laurent Wauquiez dans cette séquence ?

Bruno Jeanbart : Si on se place du point de vue de l’état-major de LR, on peut comprendre un certain agacement. Mais si on se place du point de vue de l’opinion, cela n’a pas vraiment de conséquences politiques. On peut expliquer le silence de Laurent Wauquiez par sa volonté de prendre de la hauteur en vue d’ambitions plus nationales dans un avenir proche. 

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