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Faut-il arrêter de sous titrer films et séries pour que les Français parlent enfin mieux anglais ?
©REUTERS/Lucas Jackson

Keeping an eye on something

C'est ce qui se passe dans de bons nombres de pays européens, avec souvent, de bons résultats sur l'apprentissage de la langue.

Alda Mari

Alda Mari

Alda Mari est linguiste, directrice de recherche au CNRS, spécialisée en sémantique. 

Plus d'informations sur https://sites.google.com/site/ensaldamari/home/

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Atlantico : Devant la nécessité indéniable de parler anglais aujourd'hui, les chaînes de télévision principales devraient-elles proposer davantage de films anglophones, d'une part, et en version sous-titrée et non doublée, d'autre part ?

Alda Mari : C'est une question délicate, qui dépasse la question de l’apprentissage d’une langue. En posant la question de la langue de diffusion des émissions télévisées, vous soulevez le problème de la politique linguistique à grande échelle. C’est un problème complexe et à plusieurs facettes.

Dans une autre interview à votre journal, je défendais l’idée que le sous-titrage était un outil central dans l’apprentissage des langues. C’est indéniable, cela a été prouvé par plusieurs études, quelle que soit la langue de provenance (une langue romane comme l’italien ou le français, une langue germanique, ou autre).  Mais cela n’implique pas que l’on doive passer, pour avoir accès à des fictions en langue originale, par les grandes chaînes généralistes comme France 2 ou TF1. La France est culturellement et linguistiquement forte, et la télévision contribue au maintien de son patrimoine linguistique. Les télévisions principales proposent déjà des versions sous-titrées et en langue originale, mais celui-ci ne peut et ne doit pas être le choix par défaut. Lorsque l’on allume la télévision on entend du français. C’est normal. Plusieurs fournisseurs donnent l’option de passer à la langue originale, et les usagers peuvent parfaitement voir les fictions non-francophones en anglais. C’est une option. Et elle doit le rester.

Si d’autres pays ont fait le choix de diffuser, par défaut, les fictions anglophones en anglais, ce choix est motivé par plusieurs raisons.

D’une part, un doublage demande des moyens financiers qui se justifient seulement si une masse critique de spectateurs est atteinte. Parfois cela n’est pas le cas pour des pays moins peuplés.

La proximité culturelle est aussi un facteur adjuvant dans le choix de l’anglais comme langue par défaut pour les fictions anglophones.

De plus, une forte identité culturelle est un facteur de premier plan dans la perméabilité à l’anglais comme lingua franca. La France est notoirement imperméable à l’hégémonie linguistique et culturelle anglo-saxonne, et cette imperméabilité est reflétée dans la politique linguistique télévisée. Les mêmes choix de politique linguistique sont opérés en Italie par exemple (bien que la cartographie linguistique italienne soit différente, à maints égards, de la française, avec le maintien de dialectes à travers les régions). La distance de la culture anglo-saxonne, doublée d’une forte identité linguistique et culturelle, rendent les pays plus imperméables à l’entrée massive de l’anglais à la télévision. Ceci est parfaitement justifié. Je ne crois pas que ce soit le manque d’exposition aux langues qui fasse de la France la mauvaise élève dans l’apprentissage des langues.  C’est plutôt la corrélation avec sa propre identité linguistique et culturelle. Devant la nécessité de parler anglais, il faut maintenant savoir concilier ce besoin avec le maintien de son patrimoine. L’accès aux fictions en langue originale n’est qu’un facteur de cette équation.

Avec l'essor des séries américaines, les utilisateurs de Netflix consomment davantage d'anglais que les autres. Peut-on parler d'inégalités linguistiques entre les pays occidentaux ? Quelles sont les causes socio-culturelles qui pourraient expliquer les différents usages des doublages et des sous-titres ?

Netflix n’est pas le seul véhicule. Les chaînes de la TNT proposent des programmes en anglais, comme n’importe quel opérateur du câble. Il suffit de changer la langue avec sa télécommande. On peut regarder des programmes sur Youtube. Les différences sociales jouent bien évidemment un rôle dans l’inégalité face à l’apprentissage, mais ces inégalités ne sont pas plus saillantes dans le cas de l’anglais, elles reflètent et se cumulent aux inégalités présentes par ailleurs.

Pour un grand nombre d'adolescents et de jeunes adultes, les séries anglophones servent de leçon d'anglais quotidienne. Les films et séries anglophones fournissent-ils un enseignement viable et stable à l'anglais ? Faut-il repenser l'enseignement scolaire de l'anglais à l'aune de Netflix ?

L’exposition à une langue ne peut qu’être bénéfique à l’apprentissage de cette langue. L’usage de vidéos en anglais est aussi évidemment un instrument important dans les classes, et repenser l’apprentissage des langues à l’aune des nouvelles possibilités est une évidence qui n’a pas échappé à l’Éducation nationale.  S’opposent à cette évidence les questions de budget et d’équipement, voire de formation des enseignants.

Je voudrais aussi noter que le plurilinguisme n’est pas anodin, et demande des moyens dans le système éducatif, avec des différences qui creusent les écarts entre les pays : aussi bien dans les couches aisées que dans les moins favorisées, nous voyons des enfants locuteurs de plusieurs langues avec une maîtrise non-totale de ces langues relativement à leur classe d’âge, et des enfants monolingues. Normalement les retards se résorbent, mais souvent, toutes les langues ne sont pas maîtrisées au même niveau. Les méthodes doivent s’adapter à la diversité des situations linguistiques, avec l’accompagnement de l’école. Pour cela, il faudra former les enseignants à la maîtrise du plurilinguisme. On sait par exemple que l’apprentissage des mathématiques peut être plus lent pour les enfants plurilingues. Les enseignants ne sont pas toujours sensibilisés à ces questions, et n’identifient pas nécessairement les difficultés dans la barrière linguistique.

Mais au-delà des difficultés potentielles et des réticences conservatrices, le plurilinguisme reste un atout majeur, et ce, quelles que soient les langues parlées, bien au-delà de l’anglais.

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