Facebook, cet ogre toujours plus chronophage<!-- --> | Atlantico.fr
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Une étude a montré cette semaine que les internautes passaient en moyenne beaucoup plus de temps sur Facebook que sur n'importe quel autre site Internet.
Une étude a montré cette semaine que les internautes passaient en moyenne beaucoup plus de temps sur Facebook que sur n'importe quel autre site Internet.
©Reuters

A la recherche du temps perdu

Une étude a montré cette semaine que les internautes passaient en moyenne beaucoup plus de temps sur Facebook que sur n'importe quel autre site Internet. Sans que nous nous en rendions compte, car le web transforme notre perception du temps.

Patrice Duchemin

Patrice Duchemin

Sociologue de la consommation, enseignant au Celsa et à l'Iscom, rédacteur de l'Oeil LaSer:  www.oeil-laser.com

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Atlantico : Une étude sortie cette semaine montre combien Facebook est chronophage pour les internautes. Le temps est-il devenu la nouvelle monnaie de notre époque ?

Patrice Duchemin : Prendre le temps a toujours été un signe de luxe. Ce qui différenciait le bourgeois de l'ouvrier, c'était que l'ouvrier était sur la chaîne, tel Charlie Chaplin, pendant que le bourgeois prenait le temps de boire son cognac. Le temps a toujours été du côté de la qualité de vie et du luxe. Les gens qui travaillent, qui sont salariés, qui ont un contrat, sont victimes du temps. La véritable problématique c'est la conscience du temps avec l'arrivée des nouvelles technologies. Ces nouvelles technologies sont certes chronophages, mais ceux qui l'utilisent n'ont pas de perception du temps. On peut passer des milliers de secondes qui feront des heures sur Twitter mais aucun amateur de Twit n'aura conscience d'avoir passé tant de temps que ça sur Twitter.

La qualité du temps est liée au plaisir, donc quelqu'un qui prend plaisir à écrire sur son blog, à répondre à des Twits, c'est aussi une forme de luxe. Cela correspondra pour lui à prendre du temps sur des éléments moins associés au luxe, comme les réunions de famille, aller faire ses courses, etc. Passer beaucoup de temps sur le net peut être une forme de luxe, et ce n'est pas parce que j'ai du temps en dehors des nouvelles technologies que j'ai une qualité de temps supérieure. La notion de temps est de plus en plus subjective.

Par exemple, lorsqu'on attend un bus, l'annonce du prochain bus peut être de 5 minutes. Si je regarde ma montre, ce n'est pas le cas. Le bus va mettre plus ou moins cinq minutes. S'il y a peu de circulation, les 5 minutes RATP seront inférieures aux 5 minutes réelles, mais s'il y a de la circulation, les 5 minutes RATP seront supérieures aux minutes réelles. Le temps RATP n'est pas le temps réel ni le temps Internet. Le jeune ne va pas dire qu'il a passé sa demi journée sur le net, il va dire qu'il sera resté 2-3 heures devant son écran. Les nouvelles technologies nous font passer d'un temps objectif à un temps subjectif. Hier nous avions l'horloger et la montre, aujourd'hui nous somme dans la subjectivisation du temps.

Facebook n'est donc pas trop chronophage, selon vous ?

Facebook c'est la vie, c'est être en contact avec ses amis. Par contre, passer beaucoup de temps à la bibliothèque c'est le "no life". Les nouvelles technologies portent la dimension sociale. C'est le technosocial. Ce n'est pas la technologie pour la technologie comme le mec dans les années 1970 qui bidouillait son PS des heures durant.

Je me souviens d'une campagne de pub pour Windows dans laquelle Microsoft annonçait qu'on serait mieux sans être tout le temps le nez dans notre smartphone. Pourtant les gens qui ont tout le temps leur nez dans leur smartphone ne trouvent pas cela contraignant. Dire que c'est une contrainte, c'est une lecture extérieure. Les accros aux nouvelles technologies ne se disent pas "no life", ils sont "hyperlife" : être en contact avec ses potes, répondre aux Twits, c'est montrer qu'on est en vie. Si l'on pose un regard académique sur les nouvelles technologies, on va dire qu'ils n'ont pas de vie, mais pour leurs utilisateurs les nouvelles technologies c'est la vie.

Mais la sociabilité des réseaux sociaux peine parfois à se manifester dans la vie réelle...

Quand vos amis sont à Lille ou à Marseille, il n'y a pas de réunion possible. De toute façon, se réunir est un mythe. On peut être très proche sans jamais se voir ni se toucher. Il y a de nombreuses personnes dont les principaux amis sont éparpillés aux quatre coins de la France et qui se sont rencontrés sur Internet à travers un centre d'intérêt, les jeux vidéos par exemple.

Bien-sûr, le rapport au corps peut-être interrogé. Ce n'est pas une surprise de constater que les geeks ne sont pas les personnes les plus attentives à leur corps. Le corps est un peu abandonné. Quand on échange, ce sont des échanges cérébraux et non corporels. C'est toute l'ambiguïté de Meetic : tant qu'on est sur le net, tout le monde parle, tout le monde est amoureux, mais dès qu'on passe au monde réel, les problèmes surviennent. Certaines personnes passent leur temps sur Meetic uniquement pour faire la conversation, pour s'inventer un personnage ou pour valoriser leur égo.

En ce qui concerne le fantasme du jeune déconnecté, je n'y crois qu'à moitié. Facebook a remplacé le cahier de correspondance. Je n'imagine pas un jeune qui se soit déconnecté volontairement. En fait, la fracture numérique n'est pas d'avoir ou non un ordinateur, la fracture numérique est de savoir comment je m'exprime à travers les nouvelles technologies. Quand on demande d'envoyer des CV pour obtenir un boulot, c'est intello, celui qui n'a pas le bac ou qui ne sait pas écrire est complètement largué. A un moment il faut rédiger une lettre de motivation, écrire un CV. Quand vous avez l'habitude d'écrire en sms, en smiley ou en abrégé, vous ne savez plus écrire correctement. Quand on voit dans A nous Paris une pub de Inditex, du groupe Zara, où l'on demande aux candidats d'envoyer une vidéo-cv pour devenir vendeur chez Zara, ça me fait rire. A quoi ressemble une vidéo-cv d'un candidat pour devenir vendeur chez Zara ? Ont-ils besoin de faire Infocom ? Cette pub est tout à fait falacieuse, et représentative de notre époque, car l'on leur fait croire que vendre des chemises, c'est de l'entertainment, on parle de Fashion Week, de défilé, de grandes soirées, et on demande donc des vidéo-cv pour être vendeur de chemise. Cela me fait penser au film L'appât de Bertrand Tavernier dans lequel Marie Gillain joue le rôle d'une vendeuse-mannequin.

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