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Face à la maladie de Lyme, journal d'un naufrage : à l'arrivée des premiers symptômes, licenciée faute de pouvoir nommer le mal
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Bonnes feuilles

Il y a dix mois, j'apprends que je suis atteinte de la maladie de Lyme, ce "sida du vingt et unième siècle". Je redeviens moi.Je ne suis plus en quarantaine. Élisabeth Le Saux relate, avec l'acuité et la sensibilité d'une blessée vive, le combat mené en aveugle contre une maladie mal connue et sous-estimée en France: la borréliose, ou maladie de Lyme. Extrait de "Face à Lyme - journal d'un naufrage", publié aux éditions Michalon (1/2).

Élisabeth Le Saux

Élisabeth Le Saux

Élisabeth Le Saux vit en région parisienne.

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À l'automne 2006, je viens de fêter mes 40 ans, il y a quelques mois, et suis censée être dans la force de l'âge, c'est-à-dire en pleine possession de mes moyens physiques. Or, comme par un fait exprès, je ne me suis jamais sentie aussi fatiguée... particulièrement en ce samedi 27 novembre.


13 heures

Alors que je finis la vaisselle de midi, penchée sur l'évier, de violents vertiges me prennent, comme si le sol montait et descendait ou plutôt, que mon corps basculait d'avant en arrière. Le malaise est tel que je décide d'aller m'allonger un peu, par crainte de rester debout et m'évanouir. Je monte péniblement les marches, tant la sensation de déséquilibre est forte, mais parviens à gagner la chambre. Là, étendue sur le lit, je tente de reprendre mes esprits, même si je pressens déjà qu'un mécanisme vient de céder – mais lequel ? Serais-je en train de faire une rupture d'anévrysme comme ma sœur, Bénédicte, il y a quinze ans ?


14 heures

La sonnerie du téléphone retentit en bas, dans la salle à manger. À demi assoupie, je réalise soudain que Chloé m'attend à l'école de musique et entreprends de me lever pour répondre. À peine ai-je commencé de descendre l'escalier que mon corps, de nouveau, bascule en avant, m'entraînant au bas des marches. Tout l'espace se met à tourner autour de moi, dans un criblement d'éclairs aveuglants et une salve de vomissements irrépressibles. La tête choquée, je pense alors que je suis en train de mourir...

(...)

Je suis aux arrêts. Enfermée dans ma propre maison. Condamnée au repos forcé. Travailler sur écran est devenu une torture. Le seul déplacement du curseur m'occasionne instantanément des étourdissements. Et la sensation d'étau est telle que j'ai l'impression de porter un casque en permanence, un heaume de plomb, impossible à retirer. Corriger tout court est devenu extrêmement difficile. Mon cerveau semble baigner dans un brouillard perpétuel, peinant à lire les mots, déchiffrer leur sens, articuler les phrases. L'exercice même de mon métier est compromis puisque les principales qualités requises, à savoir l'attention et la concentration, me font désormais défaut. Je constate avec effarement mon incapacité, tant physique qu'intellectuelle, à mener à bien les relectures qui me sont confiées, dans les délais impartis. Le stress s'installe, l'agressivité gagne, je devient aussi un autre : les collègues ne reconnaissent plus Élisabeth et Élisabeth elle-même ne se reconnaît plus. Les arrêts maladie se multiplient, entre confusion et culpabilité. Car je constate, avec tout autant d'effarement, mon incapacité à nommer le mal dont je souffre, donc à justifier mes absences répétées. Dans les couloirs des bureaux, tandis que je tente de récupérer au lit, on brode sur le motif dépression, ce fourre-tout qui délie les langues et comble les vides : Élisabeth, la dévouée correctrice, n'a plus envie. Et Élisabeth a envie de leur dire : Je suis lessivée. Merci de ne pas m'oublier dans la machine à laver, ou je vais me noyer. Pensez à essorer de temps en temps, en prenant de mes nouvelles. Mais même mon humour coutumier m'a abandonnée. Et, une fois la question des dossiers réglée, plus personne, ou presque, ne décroche son combiné. Sauf mon patron, qui fait pression et m'appelle en soirée, une fois toutes les oreilles écartées : D'où viennent tes problèmes ? Je n'ai rien à lui répondre d'objectif, de tangible, de mesurable et ce vide médical finira, précisément, par causer ma perte. Aux yeux de la direction, ma supposée dépression est jugée sans retour. Le 30 mars 2010, je dois cesser définitivement mes fonctions au sein de la société d'édition où j'ai accompli, près de vingt ans durant, de bons et loyaux services. Motif : licenciement. Je suis passée au nettoyage à sec.

Extrait de "Face à Lyme - journal d'un naufrage", de Élisabeth Le Saux, publié aux éditions Michalon, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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