"J’expliquerai sans relâche que tout le monde peut venir voter les 20 et 27 novembre" : Alain Juppé est-il en train de prendre le risque de mettre des électeurs qui ne voteront pas à droite à la présidentielle en position d’arbitrer la primaire ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Alain Juppé qui essaie de transformer peu à peu la primaire des Républicains en une élection présidentielle déguisée, ou en une sorte de primaire de tous les Français qui ne votent pas Front national. C'est une opération anti-Sarkozy qu'il monte.
Alain Juppé qui essaie de transformer peu à peu la primaire des Républicains en une élection présidentielle déguisée, ou en une sorte de primaire de tous les Français qui ne votent pas Front national. C'est une opération anti-Sarkozy qu'il monte.
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Menace en vue

Tous les moyens semblent bons pour emporter la primaire à droite qui aura lieu dans moins de deux mois. C'est ce que pense avoir compris Alain Juppé qui appelle à un élargissement du corps électoral de ce scrutin, quitte à aller chercher au centre et même à gauche. Une stratégie qui pourrait, au final, davantage nuire au futur candidat de la droite pour 2017 que lui servir.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Dans une interview parue dans Le Monde vendredi dernier, Alain Juppé affirmait qu'il "expliquer(a) sans relâche que tout le monde pourra voter les 20 et 27 novembre". Élargir le corps électoral de la primaire à droite, notamment en direction du centre et de la gauche, ne représente-t-il pas un risque de délégitimation du candidat qui sera choisi auprès des électeurs de droite ? Quels risques cela peut-il constituer, à terme, pour le parti LR lui-même ? 

Eric Verhaeghe : On voit bien l'astuce d'Alain Juppé qui essaie de transformer peu à peu la primaire des Républicains en une élection présidentielle déguisée, ou en une sorte de primaire de tous les Français qui ne votent pas Front national. Ce faisant, c'est une opération anti-Sarkozy qu'il monte, ce qu'on peut comprendre, mais qui risque de ne pas passer comme une lettre à la poste, et qui soulèvera probablement des résistances et de puissantes polémiques à droite.

A juste titre, les électeurs de droite pourront se sentir dépossédés de leur victoire et de leur candidat naturel s'ils ont le sentiment que le résultat du scrutin est dénaturé par une forte participation d'électeurs socialistes. Pour l'ensemble de la droite, ce trucage serait d'ailleurs mortifère. Avec cette primaire, la droite essuie les plâtres d'un exercice qui ne lui est pas naturel. S'il devait déboucher sur un sentiment d'imposture ou de trahison, les conséquences en seraient dramatiques à long terme. Il n'y aurait pas meilleure façon de décrédibiliser la méthode et il n'y aurait probablement pas de pire rupture au sein de la droite. On voit mal comment les "morceaux" pourraient être recollés. 

Faire participer des électeurs/sympathisants du centre et de la gauche à la primaire de la droite, n'est-ce pas agir comme si la primaire tenait lieu de présidentielle avant l'heure ? Quel est alors l'intérêt d'une telle démarche si ensuite, les personnes ayant voté pour le candidat de la droite lors de la primaire ne voteront pas pour lui lors de la présidentielle ? 

Incontestablement, face au rouleau compresseur Sarkozy, Alain Juppé a la tentation de jouer son va-tout en dénaturant l'exercice de la primaire. Son intérêt est d'ouvrir au maximum le corps électoral vers la gauche. C'est la meilleure façon de conserver son avance dans les sondages. Mais vous avez raison, on voit mal de quelle fidélité seraient capables les électeurs de gauche, sauf à penser qu'ils ne disposeront pas d'un candidat capable de faire le trait d'union entre eux. Qui plus est, ce peut être une tentation naturelle pour les gens de gauche, ou même pour beaucoup d'électeurs du MoDem, d'élire un candidat de droite à la primaire, qui laisse le plus de chances possibles à la gauche de gagner. Il ne faut pas sous-estimer ici les effets de bord que la stratégie actuelle d'Alain Juppé risque de créer. Les électeurs de gauche ont en effet intérêt à déforcer la droite.

A la différence de la présidentielle, la primaire ne constitue pas un scrutin populaire auquel le plus grand monde participe. Des "barrières à l'entrée" y sont instituées : droit de participation de 2 euros, la condition morale de se reconnaître et d'adhérer aux "valeurs de la droite et du centre", etc. Ne peut-on pas considérer ces primaires comme une sorte de "scrutin censitaire" ?

C'est d'abord un scrutin censitaire parce que c'est un scrutin qui "filtre" les candidats. Il prive les électeurs de la possibilité de choix qu'ils auraient pu avoir sans ce filtre. Pour les candidats solitaires, la primaire constitue donc un risque, et il faudra regarder minutieusement le destin d'Emmanuel Macron dans cette campagne. Tant que la campagne de la primaire au Parti socialiste n'a pas commencé, Macron est visible et engrange les soutiens. Toute sa difficulté sera d'exister lorsque la campagne aura commencé, et surtout de continuer à exister une fois que les primaires se seront tenues. Gauche et droite auront alors consulté leur base pour légitimer un candidat. Faire cavalier solitaire dans ce jeu sera très compliqué, ne serait-ce que par la mobilisation de chaque camp qui sera un véritable rouleau compresseur. 

Dans le cas de la présidentielle française, on y ajoutera le poids du Front national qui réduira d'autant le couloir offert à un outsider sans appareil derrière lui pour agir. De ce point de vue, la primaire introduit bien le principe d'une démocratie indirecte. L'effet est d'autant plus fort que la tradition de voter à la primaire n'est pas encore intégrée dans les réflexes citoyens français.  

Qui seraient les candidats de la primaire à droite les plus susceptibles de convaincre des électeurs/sympathisants de gauche de venir voter à la primaire ? Par quels moyens ?  

Forcément, Alain Juppé paraît le mieux à même d'y arriver, puisqu'il est au fond une figure rassurante et un vrai rival pour Nicolas Sarkozy. Mais il ne faudrait pas sous-estimer l'impact d'un Bruno Lemaire par un mécanisme proche de celui qui est à l'oeuvre avec Juppé. Les deux hommes sont des étatistes, ils n'incarnent pas le libéralisme, ils incarnent une forme de modération, de bien-pensance, d'élitisme très à rebours des autres. Sarkozy clive trop pour y parvenir et Fillon a pris une option libérale qui le coupe de la gauche.

Reste à savoir si Lemaire ou Juppé auront envie d'aller jusqu'au bout de cette démarche. 

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