Européennes : qui sont les électeurs encore susceptibles d’être persuadés de changer de choix ou de sortir de l’abstention ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les élections européennes ont lieu du 6 au 9 juin 2024 au sein des pays de l'UE.
Les élections européennes ont lieu du 6 au 9 juin 2024 au sein des pays de l'UE.
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Indécision

A l'approche des élections européennes, plusieurs électeurs ne savent toujours pas pour qui voter. Certains hésitent à changer d'avis jusqu'au dernier moment, d'autres veulent s'abstenir.

Bruno Jérôme

Bruno Jérôme

Bruno Jérôme est économiste, maître de conférences à Paris II Panthéon-Assas.

Il est le co-fondateur du site de prévisions et d'analyses politico-économiques Electionscope.

Son ouvrage, La victoire électorale ne se décrète pas!, est paru en janvier 2017 chez Economica. 

Bruno et Véronique Jérôme ont aussi publié Villes de gauche, ville de droite: trajectoires politiques des municipalités françaises 1983-2014,  Presses de Sciences-Po, 2018, en collaboration avec Richard Nadeau et Martial Foucault.

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Atlantico : Les élections européennes auront lieu en juin prochain. A l'approche de cette date, plusieurs électeurs ne savent toujours pas pour qui voter. Certains hésitent à changer d'avis jusqu'au dernier moment, d'autres veulent s'abstenir. Qui représente cette partie de l'électorat indécis ? 

Bruno Jérôme : Effectivement, si l’on en croît les dernières enquêtes préélectorales en tracking (Opinionway) ou en rolling (Ifop), l’abstention serait de 53,5% (49,9% en 2019) au soir du 9 juin 2024. Pour l’heure, l’intérêt pour la campagne n’est que de 51% (Opinionway). Ce sont les actifs (en cumul de 25 à 64 ans) qui tirent ce chiffre vers le bas puisque seuls 47% d’entre eux en moyenne se disent intéressés par la campagne. Ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour les partis de gouvernement. Les CSP- ne se sentent concernés qu’à 45% (contre 51% pour les CSP+), ce qui laisse une certaine marge d’incertitude sur le score final du RN pointé à plus de 30%.

S’agissant du taux de fermeté du choix de vote, celui-ci oscille globalement entre 65% (Opinionway) et 73% (Ifop). Parmi les taux de fermeté les plus hauts, le RN se situe entre 81% et 84% puis entre 74% et 83% pour LFI et enfin dans une fourchette 71%-75% pour Reconquête!. En revanche, le PS, LR et les Verts sont dans une situation plus fragile. En dépit d’une progression spectaculaire à 14% d’intentions de vote, ce qui laisse à penser que les courbes pourraient se croiser avec Renaissance, le taux de fermeté du PS n’est que de 55% à 63%. Côté Verts, on est dans une fourchette 51%-57%, ce qui reste précaire mais un peu plus favorable que LR dont la fermeté du choix avoisine les 49%-53%. La situation de Renaissance reste énigmatique. Il n’y a pas unanimité chez les sondeurs puisque la fermeté des choix est de 80% (Ifop) contre 68% (Opinionway). C’est dire si le combat risque d’être âpre entre LR et Reconquête, et dans une moindre mesure entre LR et Renaissance pour la conquête des électeurs du centre droit. Il en va de même pour le PS qui peut encore lorgner vers l’électorat vert et le centre-gauche de renaissance crispé par le coup de barre à droite du Président. En revanche, il n’y a peut-être presque plus rien à prendre du côté de LFI. Nous sommes ici dans le cas dit d’« électorats cousins » décrits par le politologue Eric Dupin, dont la fluidité peut réserver des surprises jusqu’au dernier moment.

Ceci nous conduit à penser qu’en cas de vote majoritairement « sanction », la majorité au pouvoir court le risque de s’affaisser davantage le jour du vote à l’instar de Jean-Christophe Cambadélis en 2014 (14% des voix contre 17% prévus) ; l’UMP en 2004 (16% contre 19% prévus), Laurent Fabius en 1989 (22,5% contre 28% prévus) ou Lionel Jospin en 1984 (20% contre 23% prévus). Sans compter que la marge d’erreur des sondages est de plus ou moins trois points.

Quelles sont les attentes de ces électeurs ? 

La lecture et la nature des élections européennes ont toujours été complexes voire ambivalentes. Dans la mesure où il n’existe pas (encore) de vote européen supranational, ce qui le rendrait un peu plus « dégouvernementalisé », les européennes qui sont des élections de second rang ont parfois valeur d’élections intermédiaires lorsqu’elles sont placées entre deux échéances nationales. Dès lors, elles constituent en partie un référendum sur la gestion et l’action de la majorité au pouvoir. Dès lors aussi, la perception de la situation économique, objective comme subjective, compte pour beaucoup, ce qui est d’ailleurs enregistré en partie dans la popularité du Président qui stagne autour de 28-30% de satisfaction. Or la popularité est un indicateur de crédibilité de l’action économique et politique.

A cet égard, 50% des français entendent porter un jugement pour ou contre l’action d’Emmanuel Macron (39% souhaitant la sanction). En revanche, 47% ne se prononceront pas sur l’action du Président, de là à dire qu’ils ne se prononceront que sur l’Europe… Dans les enquêtes, le bloc « europhobe » recueillerait en moyenne 51% des suffrages contre 39% en 2019. Le bloc «europhile », avec des nuances, attendrait seulement 46% des voix contre 58% en 2019.

Si l’on s’en réfère à la hiérarchie des enjeux (sur 16 répertoriés par Opinionway), les trois premiers (Pouvoir d’achat, Inflation et sécurité), dont deux relèvent du « vote économique », sont bel et bien nationaux. L’immigration qui est un enjeu à la fois européen et national arrive en 4e position. Parmi les sujets au cœur du projet européen, l’environnement se place 6e tandis et la construction européenne 12e. Les attentes sont donc fort éloignées de l’Europe tout comme les citoyens semblent se sentir éloignés d’une Europe gouvernée par des experts, toujours plus complexe, plus technocratique et qui, paradoxe, les concerne de plus en plus pour le meilleur ou le pire si l’on songe à certaines normes agricoles ou environnementales qui peuvent être de surcroît surinterprétées par la France. Et pourtant, l’Europe pourrait et devrait être un moyen au service du bien-être (voire du bonheur) des citoyens en tant qu’individus comme l’envisageait Georges Pompidou. Autrement dit, ni une bureaucratie omnipotente dont il faudrait trancher le nœud gordien, ni une idéologie.

Au final, dans le cas des européennes, lorsque le sens et les enjeux de l’élection sont trop complexes, les électeurs simplifient le problème sous la forme d’un « pour ou contre le gouvernement » et /ou un « trop ou pas assez d’Europe ».

Cette indécision émerge en partie à cause de la stratégie politique qui revient à chaque parti de critiquer son opposant et à mettre en évidence les failles du gouvernement actuel. Quels arguments possèdent les candidats aux Européennes pour tenter, ou retenter, de convaincre ces électeurs ? 

Il est vrai que les européennes relèvent de ce que l’on pourrait appeler « un jeu complexe d’acteurs aux stratégies multiples » ce qui rajoute à la perplexité, voire à la confusion, et donc à l’indécision. Résumons. Faut-il faire campagne sur l’Europe ou la situation nationale ? En cas de mauvais résultats économiques et budgétaires, qui faut-il incriminer ? L’Europe ou le gouvernement ? Ou les deux ? Faut-il rassurer les électeurs ou les effrayer en pontant du doigt une Europe « mortelle » du fait des populistes et nationalistes ? A moins que l’Europe ne soit mortelle du fait de l’évolution de sa gouvernance ? Trop d’intégration conduirait-il à la fin de la souveraineté nationale et l’affaiblissement de la démocratie (comme le rappelle le trilemme de Dani Rodrik) ? Qui envoyer au parlement européen, des « europhiles » ou des « europhobes » ?

S’ajoutent à cela les stratégies électorales nationales : Le PS doit tenter de conserver son noyau dur tout en siphonnant une partie de LFI, des Verts et du centre-gauche macronien. LR tente de survivre en espérant grignoter Reconquête! et faire revenir une partie du centre droit macronien dans son giron. Renaissance doit éviter que la stratégie opportuniste « de l’omelette (manger une partie de la droite et de la gauche) » qui lui a tant réussi ne se retourne contre lui. Le RN ambitionne enfin de briser le plafond de verre en « tuant » LR et en réduisant Reconquête!.

Comment veut-on dès lors convaincre les français de participer ? Le maître-mot c’est la crédibilité qui elle-même repose sur la cohérence et la réputation. Or, rien dans l’énumération précédente ne concoure à la clarté de l’offre et à des propositions programmatiques simples et intelligibles. Enfin, à l’ambivalence des européennes se surajoutent les ambitions pour 2027.

Les européennes sont cependant un très mauvais prédicteur de la présidentielle. En revanche, elles sont souvent l’annonce d’une recomposition des rapports de force au sein des blocs partisans.

Attendons-nous un certain taux d'abstention ? Est-ce réellement possible de l'éviter ? 

De 1979 à 2009 l’abstention a gagné 20 points pour s’établir à 59,4%. L’année 2014 enregistrait un léger reflux et l’année 2019 offrait une éclaircie avec 49,9%. Quelle sera celle de 2024 ? Autour de 54% disent les sondages. Il s’agirait donc d’une rechute. Peut-on l’éviter ?

Même s’il est quasiment impossible de modéliser et de prévoir l’abstention, aux vues de l’analyse précédente, il semble difficile de faire mieux qu’il y a 5 ans. Le contexte national comme européen ne s’y prête pas. L’ambivalence et la complexité accrues de ce scrutin n’aident pas non plus, au point que les électeurs, qu’on aurait tort d’infantiliser, risquent de se réfugier dans ce que l’économiste Peter Aranson appelait « l’ignorance rationnelle ». Il explique que lorsque l’information propre à former les choix électoraux des citoyens est trop complexe, trop incohérente et/ou trop coûteuse, lorsque l’offre n’est pas satisfaisante, la meilleure réponse rationnelle est de s’abstenir. Ce qui est une manière d’exprimer autrement ce qu’Albert Hirschman nommait « l’Exit ».

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