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Europe : la France, cette grande nation sans allié au sein de l’Union
©TIZIANA FABI / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXe siècle.

Disraeli Scanner

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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La France a oublié une vieille leçon, de la diplomatie européenne: on ne fait rien sans alliés

Londres, 

Le 25 juin 2018

Commedia dell’arte européenne

Mon cher ami,

Quelle étonnante fin de semaine dernière! Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union Européenne ont été obligés de se retrouver à l’improviste. Ils ont essayé de se remettre d’accord sur la question de l’immigration. Et, à quelques jours du Conseil européen, ils n’ont pas réussi à s’entendre. Les pays du Groupe de Visegrad n’étaient pas là. L’Italie continue de résister à la pression française. Le président français aime qu’on parle de lui quand il rencontre Trump ou Poutine; en l’occurrence, il se serait bien passé de la commedia dell’arte qu’il a lui-même déclenchée, devenant la cible du Ministre italien de l’Intérieur, Matteo Salvini, pour avoir dénoncé la lèpre populiste, le retour du fascisme et l’égoïsme italien. Les Français devraient savoir qu’ils seront toujours perdants dans ce genre de dramatisations bouffonnes: votre ministre des Affaires Européennes, Madame Loiseau, vient de remettre cela en expliquant à l’Italie qu’il fallait accueillir des bateaux en route vers l’Europe. Eh bien, après avoir assené que la France a un président « insultant », M. Salvini juge que votre pays a un ministre « ignorant ». Le comique de répétition est bien rôdé; les spectateurs italiens sont aux anges, qui viennent de promouvoir des candidats de la Ligue dans plusieurs municipalités. Et quand « la Merkel », comme on peut le dire en italien, fait une apparition pour se lamenter qu’on n’entreprenne aucun effort pour adoucir ses déboires conjugaux avec Horst Seehofer, le public bat des mains, trépigne et siffle copieusement.

La crise actuelle de l’Europe c’est d’abord celle de ses nations

En regardant ce spectacle étonnant, si décalé par rapport aux enjeux méditerranéens et mondiaux, on comprend que la faiblesse de l’Europe est d’abord celle de ses nations. Le discours à la mode consiste à expliquer que le problème de l’Union Européenne vient de l’aboulie des gouvernements nationaux, de la montée des populismes etc.... La valeureuse Europe serait de plus en plus assaillie par des démons nationaux. Mais regardez ce qui se passe en fait. Beaucoup de pays européens sont plongés dans une crise politique. Et ceux qui ne s’y trouvent pas tâchent de se préserver de la crise en fermant leurs frontières. Le groupe de Visegrad refuse d’entrer dans les calculs franco-allemands sur la répartition équitable des charges de l’immigration. L’Italie, qui veut refaire ses forces, est en train de fermer ses frontières. L’Espagne de M. Sanchez décide-t-elle de mettre en œuvre une politique d’accueil plus marquée que celle du gouvernement précédent? Nous allons assister à la montée d’une franche hostilité dans l’électorat, inévitablement, ce qui conduira les observateurs, depuis Bruxelles, à se lamenter une nouvelle fois sur « la montée des populismes et de l’extrême droite ». La France se fait-elle donneuse de leçons? Mais M. Macron a lui-même considérablement durci la surveillance aux frontières et ses fières proclamations libérales ne doivent pas dissimuler que si la droite avait une personnalité capable de la rassembler, le président français verrait ses soutiens se rabougrir dans l’opinion française. Quant à l’Allemagne, elle ne se remet pas d’avoir une chancelière fille de pasteur qui a oublié, en 2015, sur la question des réfugiés, que la politique ne se préoccupe pas du souhaitable mais du possible. Madame Merkel nous invite à détourner la célèbre formule d’André Gide sur la littérature: on ne fait pas de la bonne politique avec des bons sentiments.

La France est sans alliés en Europe

Le plus étonnant pourtant n’est pas là. Il tient à ce que votre président, ayant constaté la crise de l’Europe, n’ait pas pris les moyens de sa politique, qui vise à surmonter cette crise. Chaque mois, chaque semaine, désormais, le confirme: Paris proclame une ambition grandiose pour la refonte de l’Union Européenne mais ne prend pas la peine de constituer une coalition pour soutenir ses plans. Regardez comme M. Macron est isolé en Europe. Depuis un an qu’il est au pouvoir, il ne cesse d’attendre un soutien « franc et massif » de la part de l’Allemagne à ses projets de refonte de la zone euro. Madame Merkel lui répond en chuchotant; de peur d’être sifflée par une partie de sa coalition. La Bavière ne se cache pas d’être profondément indifférente aux projets français et beaucoup plus intéressée par son bassin économique naturel, qui inclut l’Autriche et le groupe de Visegrad. De tout ceci Paris aurait dû s’apercevoir dès l’été 2017. Il s’agissait de trouver des alliés. Ils se situent peu probablement dans le nord de l’Union Européenne, qui n’a pas d’états d’âme quant à la politique monétaire et budgétaire européenne. Non, il fallait que la France prenne fait et cause pour l’Europe méditerranéenne, avec laquelle elle partage une difficulté réelle à insérer son économie dans le « modèle allemand » de gestion de la monnaie. C’est pour cela que l’actuelle crise avec l’Italie est extrêmement malvenue. Emmanuel Macron se prive d’un allié précieux pour la mise en œuvre de ses plans européens.

En fait, lorsque l’on regarde bien la politique européenne de la France, on voit que la question fondamentale de toute politique étrangère, celle des alliances, a disparu complètement des considérations. On obéit à des critères, des normes, des règles d’organisation de l’activité européenne. Mais on oublie que l’Union Européenne ne change rien aux règles fondamentales de la diplomatie: un pays isolé n’a guère d’autre perspective que l’épreuve de force ou la soumission.

La France s’obstine à courtiser une Allemagne qui, elle aussi, s’est isolée

Comment croyez-vous que l’Allemagne a établi sa prépondérance en Europe? En se constituant une clientèle solide. A peine l’encre du traité de Maastricht avait-elle séché qu’Helmut Kohl faisait accepter l’élargissement de l’UE à l’Europe centrale. D’une manière générale, l’Allemagne de Kohl et Schröder a très intelligemment pris soin d’avoir toujours une majorité de pays de son côté lors des votes au Conseil européen - ne voulant pas être dépendante de la seule prépondérance démographique et de la pondération des votes qui lui est liée. Angela Merkel a plus ou moins continué cette politique, jusqu’à l’automne 2015, où le fait de laisser parler l’éthique de la conviction sur la question de l’immigration l’a coupée de l’Europe centrale et de l’Italie.

Vous voyez donc le paradoxe: la France mise beaucoup, sinon tout, sur Berlin. Or l’Allemagne s’est largement isolée de ses voisins européens. Elle entend gouverner l’Europe par l’efficacité de sa présence à Bruxelles: à la Commission et au Parlement. Du coup, la France aussi mise sur Bruxelles, sans grande efficacité, dans la mesure où le lobbying français est bien moins affûté que celui de l’Allemagne (ou de la Grande-Bretagne avant le Brexit). On peut même dire que, ce faisant, la France cumule les inconvénients dans une Europe où les peuples se méfient de plus en plus de la technocratie européenne. 

Paris est donc dans une situation inconfortable: Berlin ne répond pas; Bruxelles n’aide pas; demain, la possible arrivée de Jens Weidmann àç la tête de la BCE signifiera la fin de l’assouplissement monétaire européen associé à Mario Draghi. Il faudrait par conséquent essayer de briser le front « gallosceptique » du nord de l’Europe mais rien n’est fait dans cette direction. Il faudrait tâcher de gagner le Groupe de Visegrad, mais Paris a plutôt tendance à cultiver le clivage entre libéralisme, que son président veut incarner avec panache et conservatisme, partagé dans toute la Mitteleuropa. Quant à l’Europe méditerranéenne, nous savons ce qu’il en est: le réchauffement avec l’Espagne ne tient qu’à l’idéologie libérale de M. Sanchez; et ne change rien au fait que, durant toute la crise catalane, Paris a fait preuve de bien peu d’intérêt pour la crise d’outre-Pyrénées.

Au vu de cet isolement, la crise des relations franco-italiennes prend tout son relief. La France, qui subit tant d’humiliations de la part de l’Allemagne depuis la chute du Mur de Berlin, a pris régulièrement l’habitude de compenser en passant ses nerfs sur l’Italie. C’est l’histoire de l’employé brimé par son chef de service et qui fait une scène de ménage à sa femme le soir. Ce n’est pas digne de votre grand pays. C’est à courte vue car il est certain que la France aura besoin de l’aide de ses voisins européens dans les années qui viennent.

Je vous souhaite une bonne semaine

Bien fidèlement à vous

Benjamin Disraëli

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