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Ethiopie : le miracle (chinois) en question
©Reuters Pictures

Toit de l'Afrique

Les violences se sont multipliées en Ethiopie ces dernières semaines, faisant de nombreux morts. La population s'en prend au gouvernement, coupable d'un développement inégal et d'un partage des richesses douteux. Et la Chine, qui a tant investi dans ce pays, n'y est pas pour rien.

Jean-Joseph Boillot

Jean-Joseph Boillot

Jean-Joseph Boillot est agrégé de sciences économiques et sociales et Docteur en économie.

Il est spécialisé depuis les années 1980 sur l'Inde et l'Asie émergente et a été conseiller au ministère des Finances sur la plupart des grandes régions émergentes dans les années 1990. Il est aujourd'hui chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et coprésident du Euro-India Group (EIEBG).

Son dernier livre :  "Utopies made in monde, le sage et l'économiste" paru chez Odile Jacob en Avril 2021.  
Il est également l'auteur de "L'Inde ancienne au chevet de nos politiques. L'art de la gouvernance selon l'Arthashâstra", Editions du Félin, 2017.   et de "Chindiafrique : la Chine, l'Inde et l'Afrique feront le monde de demain" paru chez Odile Jacob en Janvier 2013.

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Une délégation du MEDEF International vient de se rendre en Éthiopie et c'est une excellente chose. L’Ethiopie frappe par une effervescence qu'illustre bien une croissance proche de 10 % depuis plus d'une décennie, familière en Asie mais singulière en Afrique. D'autant qu'il s'agit du deuxième pays le plus peuplé d'Afrique.

Le pays des famines tristement aussi médiatisées que celles de 1972 ou de 1984 serait-il celui d'un miracle économique comme on le lit parfois ? Et la méthode chinoise dont il prétend s'inspirer, une bonne recette pour l'Afrique ? Pas vraiment convaincant dans les deux cas comme le montre la crise politique ouverte depuis octobre dernier.

Commençons par le mythe de la méthode chinoise et son fameux slogan gagnant-gagnant. La Chine a indéniablement jeté son dévolu sur l'Éthiopie et son régime autoritaire. Mais c'est un jeu gagnant-gagnant pour elle et manifestement douteux pour l'Éthiopie. La Chine alimente effectivement un boom des infrastructures dont la récente inauguration de la ligne de chemin de fer vers Djibouti est symbolique. Mais en quasi totalité à crédit et d’abord pour exporter ses propres produits et équipements et à terme importer les matières premières qu’elle a préempté dans toute la région. Résultat, la dette éthiopienne explose à la hauteur des tours que construisent les géants chinois du BTP et de façon aussi perturbante que ces camions rouges Sinotruck qui sèment la terreur sur les routes de campagne.

Officiellement, le schéma de croissance tirée par les infrastructures devait se caler sur un nouveau petit dragon exportateur. Le problème est que ni l'administration, ni la main d'oeuvre et encore moins la localisation loin des côtes n’ont produit un raz-de-marée des investissements directs étrangers productifs comme la Chine en a connu au début de son miracle. Résultat, l'Éthiopie a exporté l'an dernier pour moins de 3 milliards de dollars dont quelques centaines de millions seulement en produits manufacturés, alors qu'elle a importé plus de 17 milliards dont probablement la moitié de Chine si l’on prend en compte les flux parallèles. Un déficit commercial bien évidemment insoutenable dont le FMI s'inquiète fortement à juste titre.

Car intervient ici le deuxième point faible du modèle éthiopien. Son effervescence indéniable aux quatre coins du pays est en réalité la résultante de deux modèles économiques juxtaposés. Au-dessus, une économie très centralisée et corrompue autour d'un parti (EPRDF) de connivence entre Tigréens du nord qui ne représentent que 6 % de la population du pays et qui tentent depuis 25 ans d'acheter la paix sociale avec une croissance à deux chiffres tirée par les infrastructures et le BTP mais au prix d’une inflation à deux chiffres et d’un endettement interne et externe insoutenable.

En bas, une économie très décentralisée dans les régions (sauf pour les impôts et leur redistribution et donc un objet de frictions permanentes avec le Centre) qui profitent de la fédéralisation astucieuse de Meles Zenawi disparu en 2012 et de la révolution des infrastructures pour valoriser l'énorme potentiel agricole du pays et importer massivement des produits de consommation mais aussi d'équipements made in China. Les Oromo et Harari ont même leurs propres circuits par le port somalien de Berbera où transite un des premiers produits d’exportation du pays, le fameux Khat aux effets euphorisants, et qui tend à remplacer un peu partout le café beaucoup moins lucratif.

Au milieu, le vide. Celui du sous-emploi des jeunes estimé à plus à plus de 70 %, et celui des besoins de base de la population comme l'accès à l'eau potable, à un logement décent ou à ration alimentaire minimale chaque jour. Bref, tout le contraire du modèle chinois.

Tableau pessimiste ? Non. Le régime ne peut plus cacher les « rébellions » permanentes qui éclatent aux quatre coins du pays. Et les velléités de les étouffer par un contrôle strict des réseaux mobile et Internet ne fait que creuser le retard du pays dans les nouvelles technologies alors qu'elles explosent ailleurs en Afrique. Il faut esperer que la démission récente du Premier ministre ouvrira la voie à une réconciliation nationale car ce pays a tous les atouts d'une grande puissance africaine.

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