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Et un nouveau parti, un ! Comment le centre risque d’aggraver ses pertes à force de ne pas les prendre
©Reuters

Centre en danger

Alors qu'Hervé Morin et Maurice Lacroix ont annoncé la création prochaine d'un nouveau parti centriste pour soutenir François Fillon, l'UDI de Jean-Christophe Lagarde joue la montre avant de se positionner clairement dans cette présidentielle. Une attitude qui pourrait coûter cher au centre.

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

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Atlantico : Après avoir misé sur Alain Juppé lors de la primaire de la droite et du centre, l'UDI semble hésiter aujourd'hui sur la ligne à suivre suite à la victoire de François Fillon, Jean-Christophe Lagarde demandant du temps pour examiner les programmes des candidats. N'est-ce pas une attitude qui peut paraître risquée ? L'UDI ne pourrait-elle pas notamment avoir plus d'investitures en se ralliant dès maintenant à François Fillon ?

Eddy Fougier : Cela peut être une attitude risquée en effet. En même temps, Jean-Christophe Lagarde sait bien que François Fillon aura besoin du centre à un moment donné pour attirer les électeurs qui ont soutenu Alain Juppé au premier et second tours de la primaire et sans doute pour rassurer un électorat "modéré" par rapport à son programme marqué à droite. Cela peut donc être important dans le rapport de force qui se profile entre l'UDI et Les Républicains dominés désormais par les proches de François Fillon. Ensuite, l'UDI attend peut-être que la situation se clarifie, notamment par rapport à la potentielle candidature de François Bayrou à la présidentielle. S'il devait se présenter en 2017, cela compliquerait à l'évidence la tâche de l'UDI qui devra alors effectuer un choix entre les deux François, Fillon et Bayrou, d'autant qu'au sein de l'UDI, certains ont déjà effectué leur choix. C'est le cas du Nouveau Centre d'Hervé Morin qui a clairement annoncé son soutien à François Fillon en vue d'avoir un groupe autonome à l'Assemblée nationale. On peut supposer que ceci puisse conduire à terme à un éclatement de l'UDI.

Si jamais l'UDI venait à ne pas soutenir François Fillon pour la présidentielle de 2017, dans quelle mesure peut-on s'attendre à un éclatement du centre (entre l'UDI, Emmanuel Macron, François Bayrou, Rama Yade, etc.) ?

L'éclatement du centre est déjà bel et bien là. C'est d'abord le cas au sein de l'UDI entre juppéistes (autour de Jean-Christophe Lagarde) et fillonnistes (autour d'Hervé Morin). On pourrait dire de ce point de vue que la primaire des Républicains n'a fait qu'accentuer les divergences qui pouvaient déjà exister au sein de ce mouvement. L'inconnue Bayrou et la nouveauté Macron ne font que renforcer cette impression d'éclatement. Au-delà des querelles d'égos, le centre en France n'a toujours pas dépassé ses vieilles contradictions : doit-il opter pour une orientation ni droite, ni gauche (comme Bayrou entre 2007 et 2013 ou Macron semble-t-il aujourd'hui) ou doit-il se rallier à la droite (comme Morin l'a fait en 2007 avec Nicolas Sarkozy et l'a refait en 2016 avec François Fillon) ? Doit-il y avoir un parti autonome du centre (MoDem, UDI) ou bien les centristes doivent-ils être plus ou moins intégrés ou rattachés au principal parti de droite ? La tentation de l'autonomie centriste est toujours omniprésente a fortiori lorsque la droite se radicalise (période Sarkozy) ou bien lorsque la gauche au pouvoir ignore les centristes et déçoit (période Hollande). Mais elle tend rapidement à se heurter au système institutionnel français qui implique généralement d'opérer un choix au second tour de la présidentielle entre la droite et la gauche (soutien apporté à Sarkozy par Morin en 2007, vote Hollande par Bayrou en 2012) et surtout de se rapprocher d'un grand parti (UMP/LR, PS) pour pouvoir exister à l'Assemblée nationale, comme François Bayrou en a fait l'amère expérience depuis 2012.

Dans le système institutionnel français actuel, il n'y a pas vraiment de place pour un centre autonome. Le centre tel qu'il existe aujourd'hui n'a pas sa place à gauche (le choix de voter en faveur de François Hollande n'a absolument rien rapporté politiquement à François Bayrou, le PS n'a même pas retiré son candidat de sa circonscription lors des législatives de 2012 pour qu'il puisse être élu député). Il finit donc à un moment donné par se rapprocher de la droite comme on a pu l'observer avec Bayrou depuis 2013. Son seul espoir est l'éclatement de ce système au terme soit d'une crise majeure, soit d'une victoire assez improbable à la présidentielle (ex : Bayrou en 2007). C'est la raison pour laquelle je suis assez sceptique par rapport à Emmanuel Macron.

Par l'ampleur de sa victoire et la dynamique qui devrait s'enclencher derrière lui, François Fillon n'a-t-il pas fait la démonstration que la droite pouvait gouverner avec une majorité sans l'UDI ? Dans quelle mesure, outre la défaite d'Alain Juppé, les résultats de cette primaire ne sont pas une bonne nouvelle pour l'UDI ?

Encore une fois, les résultats de cette primaire ne sont pas une bonne nouvelle pour l'UDI car ils ne font que mettre à jour des visions divergentes entre ses différentes composantes incarnées par Jean-Christophe Lagarde et Hervé Morin. Néanmoins, François Fillon n'a obtenu "que" 3 millions de voix lors du second tour de la primaire. C'est une base très solide et il y a une dynamique certaine autour de lui, mais c'est largement insuffisant pour l'emporter en mai prochain. Rappelons qu'en 2007, Nicolas Sarkozy avait obtenu 11,4 millions de voix au premier tour et 18,9 millions au second et qu'en 2012, François Hollande recueillait 10,3 millions de voix au premier tour et 18 millions au second. Comme je l'ai dit plus haut, François Fillon va donc devoir convaincre les électeurs d'Alain Juppé qui pourraient être tentés par un vote Macron, voire Bayrou si celui-ci devait se présenter, et plus largement toutes celles et tous ceux qui s'interrogent sur les aspects les plus radicaux de son programme (conservatisme en matière de moeurs, réforme assez "brutale" de la protection sociale, du temps de travail ou de la fonction publique, pro-Poutine, etc.).

Le candidat des Républicains va ainsi se trouver face à un dilemme : (1) beaucoup vont l'inciter à adoucir son programme en vue de ratisser large, mais au risque de tomber dans les travers du chiraquisme aux yeux de nombreux électeurs qui pourraient être amenés à se dire que finalement, il ne mettra pas en oeuvre ses réformes et que la seule qui est susceptible de faire bouger les choses, c'est Marine Le Pen ; (2) il va préférer rester dans cette même ligne dure et volontariste pour rester convaincant dans sa capacité à mener à bien les réformes qu'il s'est engagé à faire, au risque de devenir la tête de turc de tous les autres candidats et d'effrayer quelque peu certains électeurs modérés. C'est là où les centristes ont un rôle à jouer en tentant de rassurer ces électeurs et/ou d'"humaniser" un programme plutôt marqué à droite.

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