Et si le deuxième tour 2022 se faisait sans Macron, ni Le Pen ? Petits scénarios de ce qui pourrait nous y mener<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron Marine Le Pen Lrem rn rassemblement national election présidentielle
Emmanuel Macron Marine Le Pen Lrem rn rassemblement national election présidentielle
©ERIC FEFERBERG / POOL / AFP

Election présidentielle

Selon un sondage Ifop pour CNews, moins d'un Français sur trois souhaite voir se reproduire le face-à-face Marine Le Pen - Emmanuel Macron lors du prochain scrutin présidentiel. La surprise d'une absence simultanée des deux candidats de 2017 est-elle vraiment un scénario improbable ?

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Xavier Dupuy

Xavier Dupuy

Xavier Dupuy est politiologue, spécialiste de l'opinion. Il s'exprime sous pseudonyme.

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Atlantico.fr : Un sondage Ifop pour Cnews révélait ce vendredi que moins d'un Français sur 3 souhaite voir se reproduire le match Macron/ Le Pen de 2017. Si un certain nombre d'électeurs se disent qu'au regard des difficultés de son quinquennat, Emmanuel Macron pourrait avoir de la peine à se qualifier, moins doutent de l'espèce de "fatalité" menant le RN à chaque 2d tour. La surprise d'une absence simultanée des deux candidats de 2017 est-elle vraiment un scénario improbable ? Quels scénarios pourraient y mener alors que l'Elysée redoute selon la presse l'émergence d'un candidat surprise comme dans la série Baron Noir ?

Bruno Cautrès : Plusieurs points importants doivent tout d’abord être soulevés. Le premier est que nous sommes à vingt mois de l’élection présidentielle, c’est-à-dire encore assez loin de l’échéance. Toute enquête d’opinion qui concerne la présidentielle 2022 doit donc, à ce stage être considérée avec recul et beaucoup de prudence. Le second point, corolaire du premier, est que l’élection présidentielle de 2022 n’est jouée d’avance pour personne, y compris Emmanuel Macron ou Marine Le Pen. Ce point m’amène à votre question : en fait, personne, à ce jour, n’a son ticket d’accès au second tour déjà garanti ! En 2017, les quatre premiers du premier tour se tenaient dans une fourchette allant de 24% (E. Macron) à 19.6% (J.L. Mélenchon). En nombre de bulletins de vote, cela fait quand même une différence : près de 980.000 voix séparaient, à l’issue du premier tour, Emmanuel Macron (24%) et Marine Le Pen (21%) et près de 470.000 voix séparaient Marine Le Pen et François Fillon. En moyenne, sur les 69.000 bureaux de votes on voit donc que 13 voix par bureau de vote et 6 voix par bureaux de vote séparaient les deux premiers, puis les second et troisième. Ce n’est pas rien, mais cela montre que la qualification au second tour est très compétitive. 

En ce qui concerne une éventuelle énorme surprise, c’est-à-dire la non-qualification au second tour de Marine Le Pen ou d’Emmanuel Macron ou des deux, ce n’est pas ‘impossible même si la non-présence simultanée des deux finalistes de 2017 n’est pas, à ce jour, le scénario le plus probable. Cela dépendra de tout un ensemble de paramètres, parmi lesquels arrive en premier l’offre politique que représenteront les autres candidatures, et leur nombre. Un point fondamental concerne les candidatures côté LR et à gauche. N’oublions pas que c’est une élection à deux tours : le scénario de « vote utile », c’est-à-dire d’électeurs qui ne voteront pas pour le candidat de leur cœur mais pour assurer la place d’un autre candidat au second tour, peut rebattre les cartes en fonction de l’offre électorale. Mais si l’offre électorale, LR et à gauche, met en scène des candidatures crédibles et capables de parler aux électorats de gauche et de droite de leurs valeurs, de leur projets, cela peut faire revenir vers eux des électeurs. Il n’y a aucune fatalité en politique : les formations politiques, les candidats sont pleinement dans leurs rôles, en démocratie, en parlant à leurs bases électorales. C’est ce que leurs militants et électeurs attendent. Le point capital, tant pour LR qu’à gauche, sera de parler aux Français du bilan que leurs candidats feront d’Emmanuel Macron. Et de faire quelque chose d’une situation politique un peu « anomique » : c’est cette situation où des franges de l’électorat trouvent qu’il faut une issue à la crise démocratique française, où des segments de l’électorat n’adhèrent pas à Emmanuel Macron mais ne voient pas d’alternative. 

Jean Petaux : « L’Elysée » (on ne sait pas exactement ce que ce terme recouvre et désigne) n’a pas besoin de revoir des épisodes de la série « Baron Noir » pour se faire peur. Il « lui » suffit de repasser les images du film de la dernière présidentielle. Parce qu’en matière de « candidat surprise », la saison « 2016-2017 » en a connu un, et non des moindres, puisque ce fut le vainqueur, le 7 mai 2017.  Au début du mois de septembre 2015, pour comparer précisément les dates avec la situation actuelle, Emmanuel Macron est installé à Bercy en tant que Ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, depuis un an et dix jours. « Sa loi » libéralisant l’économie a été adoptée, en application de l’article 49.3 (contre sa volonté), deux mois plus tôt, début juillet. Rien n’indique qu’il va être candidat à la présidence de la République, contre le président en place et qu’il va quitter le gouvernement, un an plus tard, le 28 août 2016 pour s’engager dans la course élyséenne. C’est dire qu’il peut se passer une masse d’événements imprévisibles dans la vie politique française actuelle, d’ici mai 2022. Evénements d’autant plus compliqués à voir venir que les radars destinés à les détecter sont plutôt calibrés sur un modèle ancien, celui des organisations partisanes chargées de filtrer les candidatures, d’éliminer progressivement les candidats au point que seuls les « produits » d’une sélection intense et rude sont en mesure de se présenter aux Français. Il n’est donc pas improbable qu’une « boule de billard » lancée à pleine vitesse sur le tapis vienne exploser la configuration politique que vous évoquez, celle d’un « remake » au second tour du duel Macron – Le Pen tel que les Français l’ont connu en mai 2017. « Pas improbable » donc parce que le cas de figure s’est déjà présenté il y a cinq ans. Le sondage IFOP que vous mentionnez montre que seul un tiers des personnes interrogées souhaitent ce « match retour » Macron / Le Pen. Mais il est intéressant de noter que l’opinion enregistrée varie considérablement selon le rattachement à tel ou tel bloc de la vie politique actuelle et que ce sont les électeurs et sympathisants de Marine Le Pen qui espèrent le plus cette  répétition. Sans doute faut-il y voir ici un esprit de revanche, convaincus qu’ils sont que « cette fois-ci ce sera la bonne » et que leur championne saura tirer parti de ces deux candidatures ratées, celle de 2012 et celle de 2017 pour battre le président sortant.

Xavier Dupuy : Le premier enseignement du sondage est que, certes, moins d'un Français sur trois souhaite revoir le second tour de 2017, mais si on regarde les préférences partisanes, plus de 80% de l'électorat du Rassemblement national souhaite ce scénario. Souhaite-t-il vraiment ce scénario ou bien veulent-ils tout d'abord la qualification de Marine Le Pen au second tour ? On peut penser qu'ils espèrent d'abord cette qualification, mais a contrario cela signifie que moins d'un électeur sur trois d'Emmanuel Macron souhaite ce scénario du deuxième tour. Cela montre la solidité de l'électorat du Rassemblement national vis-à-vis de Marine Le Pen et la fragilité de l'électorat En marche vis-à-vis d'Emmanuel Macron. Cela signifie que la probabilité que Marine Le Pen soit au deuxième tour est assez élevée, alors qu'Emmanuel Macron est beaucoup plus tributaire de l'offre politique que nous connaîtrons en 2022. La probabilité que ces deux candidats soient éliminés me paraît faible, et si un des deux devait l'être, il y a plus de chances qu'il s'agisse d'Emmanuel Macron que de Marine Le Pen.

Anne Hidalgo a su se faire réélire largement malgré l'hostilité d'un bon nombre de Parisiens grâce à la majorité municipale PS/PC/Verts qu'elle a construite. Alors que la galaxie des Verts et de la gauche radicale est prompte aux guerres de chapelle, pourrait-elle être la mieux placée pour prendre la tête d'une gauche reconstruite ?

Bruno Cautrès : Il est certain que la ré-élection d’Anne Hidalgo à la mairie de Paris lui donne un rôle potentiel éminent à gauche : non seulement parce qu’elle a remporté un scrutin difficile, mais qu’elle l’a remporté nettement et en construisant une majorité PS/PC/Verts qui a servi de modèle pour d’autres coalitions municipales en 2020. La maire de Paris dispose d’atouts politiques importants : elle ne s’est pas « brûlé les ailes » au niveau national, dans un PS en reconstruction son image est associée à ses deux victoires municipales en 2014 et 2020, elle a battu très largement Agnès Buzyn, elle a affronté une Rachida Dati très combattive. Bref, elle a l’image de « la gagne » et de la combattivité. Son atout principal est le capital politique qu’elle a su construire pour incarner à la fois la « gauche d’avant » et la « gauche de demain » : l’écologie a joué un rôle central dans sa campagne et de nombreux nouveaux élus de gauche à le tête de grandes villes (Lyon, Marseille, Strasbourg par exemple), se retrouvent bien dans le même logiciel politique qu’elle. Durant l’été elle a capitalisé sur sa gestion du déconfinement, elle a pris des initiatives avec Eric Piolle, le maire de Grenoble qui veut fortement peser dans la présidentielle. Une candidature Hidalgo pour 2022 serait sans doute de nature à intéresser une bonne partie de la gauche PS-Verts voire PC/Insoumis. Mais une question stratégique se pose sans doute à Anne Hidalgo : 2022 ou 2027 ? Quoi qu’il en soit, il ne fait de doute qu’elle est aujourd’hui une des figures qui comptent à gauche et que son capital politique correspond bien à la synthèse écologie-justice sociale. 

Jean Petaux : L’élection municipale, a fortiori celle de Paris, relève de logiques politiques spécifiques qui doivent faire considérer avec la plus grande des prudences tout transfert de situation d’une élection à l’autre et, précisément, du scrutin municipal au scrutin présidentiel. Les critiques auxquelles Anne Hidalgo a fait face, sur Paris, ville aux caractéristiques sociologiques, économiques, environnementales très particulière ne sauraient être représentatives des aspirations globales des Français à l’échelle du pays. Anne Hidalgo peut tout à fait nourrir une ambition présidentielle mais elle ne semble pas pour l’heure ni s’en donner les moyens ni même se préparer à ce combat-là. Maire de la capitale qui accueillera les JO en 2024 (à condition que la vie sportive mondiale soit sortie de son sommeil), on imagine quand même difficilement qu’elle batte les tréteaux de la Présidentielle 2022 avant ce rendez-vous, temps fort du mandat municipal qui commence. Quant à la question d’une « gauche reconstruite » là encore l’hypothèse relève plus, selon les options politiques, du vœu pieux, de la politique fiction ou du scénario catastrophe. Chacune de ces réactions pouvant d’ailleurs être émise par autant de sympathisants de gauche que de droite. Certains à gauche considéreront ainsi qu’une « gauche reconstruite » à partir de la fraction de gauche qu’ils exècrent sera une sorte de scénario catastrophe selon eux ; d’autres à droite espéreront de leurs vœux une reconstruction de la gauche pour faire pièce à Emmanuel Macron qui perdra ainsi une part de son électorat de 2017 et sera d’autant plus « battable » en 2022. On peut ainsi émettre l’hypothèse que du côté de Marine Le Pen, une gauche reconstruite par exemple autour de Jean-Luc Mélenchon ne serait pas du tout mal vue… Un duel Le Pen / Mélenchon au second tour de la présidentielle de 2022 pourrait, de fait, ouvrir des perspectives de victoire à la présidente du RN. En tout état de cause, compte tenu des relations entre Anne Hidalgo et une partie de ses alliés « Verts » à Paris, franchement mauvaises depuis la séquence « Christophe Girard »), on voit mal la maire de Paris faire l’unanimité derrière elle au plan national pour rassembler une gauche rose, vert et rouge.

Xavier Dupuy : S'il devait y avoir une candidature de gauche avec quelqu'un qui aurait de la notoriété et de l'expérience et serait donc en mesure de rassembler une majorité des électeurs de gauche sur son nom, cela pourrait éliminer Emmanuel Macron au second tour. Anne Hidalgo peut avoir ce profil-là, mais elle n'est pas la seule. Nous avons un électorat de gauche qui s'est en partie reconstitué. Emmanuel Macron avait su capter en 2017 une partie de l'électorat de gauche qui, soit par adhésion, soit par stratégie, avait voté Macron au premier tour pour éviter un second tour entre la droite et l’extrême droite. Cet électorat est aujourd'hui reparti à gauche. Entre la gauche socialiste, les Insoumis et les Verts, si une personnalité rassemble une majorité de ces électeurs sur un même nom, nous aurions un candidat de gauche en capacité de dépasser les 20% et de se qualifier pour le second tour.

Nicolas Sarkozy a connu un impressionnant succès de librairie pour le deuxième été consécutif, peut-on imaginer un scénario où l'ancien président apparaisse comme recours de dernière minute dans l'hypothèse où Emmanuel Macron serait à la peine et où aucun candidat LR ou assimilé ne se soit imposé ?

Bruno Cautrès : Je ne crois pas à ce scénario. Nicolas Sarkozy a acquis, à présent, un statut à part à droite et dans notre vie politique : il est le dernier Président élu issu des rangs des LR, il est une référence pour sa famille politique et les sympathisants LR ont de l’attachement et de l’affection pour lui. Ses livres se vendent bien, c’est vrai, et le dernier comporte d’ailleurs des éléments d’analyse du paysage politique et du rôle présidentiel tout à fait intéressants. Mais redevenir candidat à une élection comme la présidentielle, c’est tout à fait autre chose, sans compter son agenda judiciaire toujours un peu chargé… En revanche, on peut être sûr que Nicolas Sarkozy consultera beaucoup et conseillera sans doute beaucoup au sein des LR et en vue de la présidentielle ! 

Jean Petaux : Un succès de librairie, même remarquable comme celui qu’a connu Nicolas Sarkozy encore cet été ne saurait être un quelconque indicateur pour une candidature présidentielle. Tout juste peut-il être pris en compte dans le cadre d’une « primaire » et encore, avec beaucoup de précaution. Il reste que l’ancien Président est toujours celui qui, selon les sondages « ciblés » sur les préférences politiques, représente encore aujourd’hui le « chouchou » des électeurs de droite et celui qui arrive en tête comme « incarnant » le plus la droite en France. Sauf qu’en novembre 2016 quand il a fallu désigner le candidat de la droite à la présidentielle d’avril-mai 2017, les 4 millions de votants qui se sont déplacés pour le choisir n’ont pas retenu Nicolas Sarkozy, arrivé seulement troisième au premier tour derrière Fillon et Juppé. Il doit bien y avoir une raison à ce « non-choix ». D’autant que le candidat finalement retenu n’était pas plus « centriste » que Sarkozy, mais positionné bien plus à droite puisque soutenu, entre autres, par le mouvement le plus conservateur au sein de la droite républicaine, « Sens commun ». L’hypothèse d’un retour de Nicolas Sarkozy, empêtré par ailleurs dans ses ennuis judiciaires à répétition dont rien n’indique qu’ils seront à conjuguer au passé entre l’automne 2021 et le printemps 2022, me semble dont plus de l’ordre de la fiction que de la réalité tangible. A moins que cela ne relève de l’esthétisation de la vie politique car avec Nicolas Sarkozy sur scène, l’observateur n’est jamais déçu… Le spectacle vaudra forcément le détour.

Xavier Dupuy : La question est double. Vous parlez d'un candidat Sarkozy qui apparaîtrait car Emmanuel Macron serait à la peine. Mais ne peut-on pas imaginer que ce serait la candidature de Nicolas Sarkozy qui mettrait Emmanuel Macron à la peine ? Vu qu'il est plutôt orienté vers le centre-droit, alors qu'il avait démarré en 2017 au centre-gauche, est-ce qu'une candidature forte à droite ne permettrait pas son élimination ? Si vous avez une candidature de droite faible, ça peut sauver Emmanuel Macron au premier tour. Alors qu'une candidature forte de droite au premier tour ne serait pas forcément en mesure de se qualifier au deuxième, mais pourrait disqualifier Emmanuel Macron.

Des sondages intervenus dans le courant de l'été montrait qu'Edouard Philippe ferait un candidat plus susceptible qu'Emmanuel Macron de rassembler l'électorat de droite, voire l'électorat LREM... Fait-il partie des figures pouvant rebattre les cartes ?

Bruno Cautrès : Le capital de popularité qu’a obtenu Edouard Philippe est un bien précieux pour lui. Il ne peut l’abîmer en venant s’opposer à Emmanuel Macron alors qu’il a été son Premier ministre. En revanche, si Emmanuel Macron ne se représentait pas, Edouard Philippe serait sans aucun doute adoubé par LaREM et les LR. Il représente le compromis parfait entre ces deux formations politiques : un ex-LR mais qui n’a jamais rompu avec sa famille politique d’origine, un proche d’Alain Juppé, un ancien Premier ministre d’Emmanuel Macron : bref, carton plein pour une alliance LaREM-LR s’il était candidat ! J’imagine que son agenda politique personnel est davantage à horizon 2027 que 2022…

Jean Petaux : Si l’on considère, en règle générale, que les serments en politique n’ont pas plus de valeur que les billets de Law émis sous le règne du Régent en 1720 ou que, selon l’aphorisme célèbre prêté à Charles Pasqua : « En politique les promesses n’engagent que ceux qui y croient », les propos d’Edouard Philippe tenus plus ou moins publiquement depuis son départ de Matignon, sont à prendre avec une circonspection maximale qui ne tient pas à une quelconque malhonnêteté de leur auteur. Il faut considérer les engagements d’Edouard Philippe à l’aune de ce qui constitue l’un des ressorts de l’engagement public et politique : l’ambition pour soi-même et pour son pays. Autrement dit les « circonstances » (terme ô combien cher aux oreilles gaullistes, mais aussi de quelqu’un qui trouva toujours beaucoup de qualités à Michel Rocard, adepte lui-aussi de ce mot) peuvent encourager, favoriser, impulser une candidature élyséenne en octobre-novembre 2021. Un tel choix aura réduit à l’état de « paroles verbales » (celles qui s’envolent…)  les serments de loyauté et de soumission à la volonté d’Emmanuel Macron, émis en septembre 2020. N’écartons donc rien en ce qui concerne Edouard Philippe. Il se plait semble-t-il actuellement à constater qu’il est plutôt le moins impopulaire des politiques… Il n’en demeure pas moins, et on le voit bien dans le sondage de l’IFOP, qu’une écrasante majorité des adhérents et sympathisants LR souhaitent un « vrai » candidat LR à la présidentielle et vous le rappelez justement dans votre question suivante. Edouard Philippe n’est plus membre de « Les Républicains », il n’est donc pas le candidat qui convient aux électeurs de droite, à ceux qui constituent le noyau dur de l’électorat de droite en France aujourd’hui. Ce statut « hors-parti » (à défaut d’être « hors-sol » car il est bien redevenu, sans coup férir, maire du Havre) n’est pas un avantage comparatif à ce moment du « pré-positionnement » des candidats, même s’il ressemble à s’y méprendre au statut d’Emmanuel Macron en 2016-2017.

Xavier Dupuy : Si Macron n'y va pas. S'il y va, je ne pense pas qu'Edouard Philippe sera candidat. Mais si Macron n'y va pas, Edouard Philippe captera une part assez importante de l'électorat d'En marche et peut capter une partie de l'électorat LR, ce qui affaiblirait son candidat.

Il est difficile aujourd'hui de répondre à ces questions car on ne connaît pas l'offre politique de 2022. Si elle est très restreinte, avec des profils très marqués – imaginons un candidat de gauche qui serait Jean-Luc Mélenchon et un candidat de droite un peu faible – dans ce cas Emmanuel Macron sera qualifié au second tour. En revanche, avec deux candidats de gauche dont un très crédible, et de l'autre un candidat de droite fort, Emmanuel Macron pourrait être éliminé. On l'avait vu d'ailleurs en 2016 : l'élimination d'Alain Juppé à la primaire LR avait fait gagner quelques points à Emmanuel Macron, et celle de Manuel Valls à la primaire socialiste aussi. La sélection des candidats à gauche et à droite lui avait permis de grappiller des points car c'est l’aile la plus dure de chaque camp qui avait été désignée. Mais si ça avait été l'inverse, qu'Alain Juppé avait été sélectionné à la place de François Fillon, Emmanuel Macron n'aurait probablement pas été au second tour.

Le même sondage IFOP pour CNews montrait que, n'en déplaise à Christian Estrosi, les électeurs LR sont une écrasante majorité (92%) à souhaiter que leur parti concourt à la présidentielle ce qui montre la persistance d'un électorat de droite malgré l'absence de champion évident, renforcée par le renoncement apparent de François Baroin. Plus surprenant au regard de la concurrence objective que représente LR pour le RN, 85% des électeurs RN disent souhaiter aussi la présence d'un candidat de la droite républicaine. Faut-il y voir le symptôme d'une porosité grandissante entre ces électorats ?

Bruno Cautrès : Non, je ne suis pas sûr que l’on puisse tirer cette conclusion de ces données. J’y vois plutôt l’opinion de sympathisants RN qui ne veulent pas faciliter la tâche à Emmanuel Macron… 

Jean Petaux : Votre question pointe une des surprises du sondage en considérant les réponses des électeurs RN en matière de candidature d’un LR à la présidentielle. Ce n’est pas le seul constat surprenant. Autre exemple : les sympathisants LREM disent, très majoritairement, ne pas souhaiter un duel Macron / Le Pen au second tour de 2022. Ce n’est pas très rationnel et surtout politiquement pertinent puisque ce peut être, encore une fois, même si l’effet « repoussoir » sera sans doute moindre en 2022 qu’en 2017, l’opportunité pour Emmanuel Macron de bénéficier des voix, non pas de supporters, mais d’anti-Le Pen qui, une nouvelle fois, iront voter pour le « moindre mal ». On comprend donc assez peu pourquoi les sympathisants LREM rejettent à 68% ce scénario et même à 74% les électeurs d’Emmanuel Macron au 1er tour de la présidentielle de 2017.

Je ne pense pas que les réponses des électeurs RN que vous évoquez (85% en faveur d’un candidat LR) soient le signe d’une « porosité grandissante entre ces deux électorats » selon vos propres termes. Si ce phénomène existe, encore faut-il l’évaluer avec précision, ce qui est loin d’être simple, il ne joue sans doute pas dans le sens « RN vers LR » mais plutôt dans l’autre sens. La circulation est vraisemblablement plus en faveur du parti de Marine Le Pen qu’en direction du parti de Christian Jacob. Une seule fois, ces 20 dernières années, a-t-on assisté  à un véritable « siphonage » des voix du FN (alors), c’était lors de la présidentielle de 2007. Il s’agissait-là de la conséquence directe de la stratégie de campagne victorieuse de Nicolas Sarkozy. Cette configuration ne s’est pas reproduite en 2012 et en 2017 évidemment.

On peut considérer, pour expliquer la réponse des sympathisants et électeurs RN à la question de la candidature d’un LR, que pour les « Marinistes » comme pour les autres personnes interrogées qui s’intéressent à la politique, pour qu’une compétition soit réputée « démocratique » et « ouverte », il faut que toutes les couleurs du spectre politique soient présentes au moment du coup d’envoi. Comme si l’absence de LR allait entacher ou entamer la qualité du match. On peut aussi imaginer que cela vaut aussi pour d’autres « grands partis » de gouvernement : le PS et désormais les « Verts ». En tous les cas, les réponses massives en faveur d’une candidature LR en bonne et due forme, qu’elles soient exprimées par les sympathisants LR eux-mêmes ou par ceux du RN, soulignent combien la vie politique française demeure très inscrite autour des partis politiques, dont la Constitution de 1958 considère, on l’oublie souvent, qu’ils participent à l’exercice de la démocratie. Si la séquence présidentielle de 2017 a pu laisser croire que les partis politiques sont une espèce en voie de disparition, c’est sans doute aller un peu vite en besogne que de considérer qu’ils ont effectivement disparu.

Xavier Dupuy : Non. D'un côté, que l'électorat LR veuille avoir son candidat, c'est logique. Et que 85% des électeurs RN souhaitent que les Républicains aient un candidat et ne soutiennent pas Emmanuel Macron n'est pas illogique, car ils veulent affaiblir Emmanuel Macron. Mais imaginons que LR ne présente pas de candidat et soutienne Emmanuel Macron – ce qui est improbable car une formation qui ne présente pas de candidat à la présidentielle est une formation qui n'existe pas – ce serait bénéfique pour Marine Le Pen. Car quelques personnalités LR diront qu'elles voteront Macron, mais qui dit que l'électorat suivra ? Il pourrait très bien y avoir 40 ou 50% des électeurs LR qui se tourneront vers Marine Le Pen, la propulsant à plus de 30% au premier tour. On voit bien que la réponse faite par les électeurs RN à cette question est donc, d'abord, une volonté de ne pas favoriser Emmanuel Macron au premier tour.

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