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Et si l'on définissait le terrorisme par les victimes qu'il fait ?
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Bonnes feuilles

Dans son livre "Qu'est ce que le terrorisme" publié aux éditions Vrin, Cyrille Bret, ancien élève de l'ENS et de l'ENA, aujourd'hui professeur de philosophie à Science Po aborde la question du terrorisme à travers le prisme de la philosophie. Se faisant, il permet au lecteur de récupérer la hauteur nécessaire pour aborder un sujet qui chamboule notre ordre et nos valeurs démocratiques. Une oeuvre de salubrité publique. Extrait 2/2.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Quels que soient les angles choisis, les définitions buttent soit sur leur trop large extension soit sur leur étroitesse. Elles manquent l’objet soit en prenant la partie pour le tout soit en le confondant avec des notions proches. Pour rendre compte à la fois de la diversité et de l’évolutivité mais aussi de la spécificité du terrorisme, il est donc nécessaire de combiner ces critères grâce à un autre angle de définition. Définir le terrorisme par le statut des victimes permet de préciser la nature différentielle la terreur produite. Pour établir un climat de terreur, les terroristes qu’ils soient étatiques ou non, en position de force ou non, utilisent une violence indiscriminée : autrement dit, ils blessent et tuent n’importe qui dans une population donnée afin de produire un sentiment de « vulnérabilité généralisée ». Chacun se sent vulnérable car la violence peut frapper n’importe qui (soldat ou non), n’importe quand (en temps de paix et en temps de guerre) et n’importe où (au stade, à l’école). La surprise et la disproportion dans l’exercice de la violence ne sont que des adjuvants dans la production de ce sentiment particulier de pouvoir être victime n’importe quand. Le premier critère à retenir est donc « l’innocence » des victimes.

Le terrorisme se caractérise par le fait qu’il frappe des « innocents ». Il ne s’agit pas d’innocence morale ou pénale : pour inspirer la terreur, il ne convient pas de punir des personnes qui pourraient être considérées comme coupables. Il s’agit d’une innocence fonctionnelle : la victime du terrorisme n’a pas de fonction dé¿ nie dans l’exercice de la violence. Le point de comparaison est à prendre à la guerre. Le soldat régulier, en uniforme doté d’insignes distinctifs, portant les armes apparentes et investi par ses autorités publiques de la mission de défendre les intérêts nationaux par la violence armée n’est pas innocent fonctionnellement comme le civil. Toutes ces caractéristiques manifestes le signalent comme une source de violence armée potentielle pour l’autre camp. Sans être coupable, il est une menace par fonction et peut donc être tué légitimement dans un conflit armé. Il n’en va pas de même pour le non-combattant et le civil. Ceux-ci sont innocents fonctionnellement au sens où ils ne prennent pas part à l’administration de la violence armée. Et le choix de moyens violents indiscriminés (explosifs, gaz, etc.) est solidaire de cette production de la terreur dans une masse de population. C

ette définition mérite néanmoins d’être complétée et précisée. D’une part, parce que certains mouvements terroristes ont tendance à dilater sans ¿ n la sphère de la culpabilité : pour un anarchiste révolutionnaire, tout bourgeois peut concourir à l’oppression des classes populaires. Il a donc une culpabilité économique et politique. De même, pour un terroriste anti-sioniste, tout citoyen d’Israël, même engagé dans un mouvement pacifiste à titre personnel, peut être considéré comme coupable de l’occupation et de la colonisation. Contre cette tendance à étendre sans ¿ n la culpabilité, il faut donc opposer la définition par le statut des victimes comme innocents fonctionnels. D’autre part, cette définition entre en tension avec plusieurs pratiques terroristes consistant à frapper les représentants civils d’un État : un général, un haut fonctionnaire, un parlementaire, un élu. Par exemple, l’assassinat du Président de la République française de Sadi Carnot par Caserio en 1894 est-il un acte terroriste ? Peut-il être décrit comme « violence produisant la terreur par l’attaque de victimes fonctionnellement innocentes » ? Un chef d’État est un civil et c’est en même temps un représentant de l’État qui, à ce titre, dirige ou influence la politique d’un État. De plus, frapper un chef d’État circonscrit les sphères de peur à certains dignitaires, à la différence d’un attentat à l’explosif dans un marché ou une rue. Il convient donc de souligner que l’assassinat politique – aussi condamnable soit-il – est à distinguer en l’espèce de l’acte de terrorisme même s’ils peuvent partager plusieurs caractéristiques et s’ils peuvent être articulés au sein d’une même stratégie

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