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Et maintenant que le gouvernement revient sur les 80 km/h, quels éléments pour garantir une meilleure sécurité routière ?
©PASCAL PAVANI / AFP

Sauver des vies

Le Premier ministre a assuré ne voir "aucun inconvénient" à ce que les présidents des conseils départementaux puissent assouplir la mesure sur l'abaissement de la limite de vitesse à 80km/h.

Philippe Vénère

Philippe Vénère

Philippe Vénère a été policier pendant 40 ans. Ce grand spécialiste français du doit des automobilistes a été notamment commissaire divisionnaire et officier du ministère public du tribunal de police de Paris de 1992 à 1996. Il a également enseigné à Paris 8 où il a effectué plusieurs travaux de recherche sur la délinquance des mineurs.

Il a publié Manuel de résistance contre l'impôt policier (J'ai lu / mars 2011) et Les flics sont-ils devenus incompétents ? (Max Milo / septembre 2011)

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Atlantico : Quel est le bilan sur la limitation de vitesse entrée en vigueur il y a moins d’un an ?

Philippe Vénère : La plupart du temps, les périodes d’augmentation et de diminution de la mortalité depuis l’entrée en vigueur de cette loi sont liées à la météo. Le beau temps fait augmenter la circulation et donc les accidents, et la limitation à 80 ou 90 km/h ne change rien sur ce point. La limitation est une marotte des personnes de la sécurité routière pour compenser le mauvais état des routes - nous y reviendrons. Il y a nombre de route où on ne peut simplement pas rouler à 80 km/h aujourd’hui. A mon avis, c’est une mesure qui montre une forme d’inutilité parce que les zones qui sont passées à 80 sont moins accidentogènes que prévu. On ne peut pas tirer de bilan hâtif, car il faut plusieurs années pour isoler les causes d’accident. On constate cependant que si la mortalité semble avoir baissé, le nombre d’accident a augmenté. 

On a voulu prendre une mesure sans tenir compte des acteurs locaux. Il leur appartient, eux qui doivent gérer l’aménagement des routes, d’apprécier les limitations. Ce sont eux qui sont le mieux placé. Ils connaissent tous les points noirs de leurs secteurs, et peuvent à défaut d’aménager, réduire la vitesse. Ce n’est pas une mauvaise mesure dans le fond, quand c’est fait en connaissance des situations particulières. Le problème vient quand elle est déconnectée des réalités. 

Le Premier ministre semble avoir compris le langage de raison, acceptons-en l’augure. 

En dehors des limitations de vitesse, quels sont les autres facteurs qui explique les accidents de la route qu’il faut traiter ?

La vitesse pure, celle de l’imprudence des conducteurs, représente entre 24 et 25% des la mortalité sur les routes. C’est beaucoup. Mais il faut y ajouter les autres facteurs qu’on a tendance à négliger : la conduite sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants (et souvent les deux à la fois), mais aussi l’état des routes, dont l’Etat s’est déchargé, pour les départementales et les régionales, sur les conseils départementaux et régionaux sans leur accorder les mêmes crédits dont on disposait auparavant. Les communes font ce qu’elles peuvent, mais ne peuvent rénover réellement leurs réseaux routiers. Aujourd’hui, notre réseau départemental ou communal est clairement dégradé. Car c’est un budget très important, et on voit le plus souvent des replâtrages sur des petits morceaux de routes plutôt que de vrais aménagements pour éviter une dégradation sur le long terme. On bouche les trous, on raccommode, mais on ne fait pas la route pour qu’elle soit roulante. On peut limiter la vitesse, mais cela ne permet pas tout. Souvent, la vitesse est abaissée naturellement en dessous des 80 km/h. 

Aujourd’hui, on agit comme si la majorité des Français étaient des chauffards : c’est faux. 85% des dépassements de vitesse autorisées aujourd’hui sont inférieures à 10 km/h sur des zones pas nécessairement accidentogènes. C’est pourquoi les radars ne sont pas la solution.  

Il existe aussi les problèmes de conduite imprudente, qui mériteraient d’être sanctionnés, et qu’un radar ne peut pas contrôler, alors que c’est un comportement dangereux et contraire au code de la route. Refus de priorité, distances de sécurité états des véhicules et autres fautes ne sont pas punis. 

On a retiré trop de gendarmes et policiers qui contrôlaient ces faits depuis l’adoption du radar en 2003 comme fondement de la doctrine de la sécurité routière. Mais rien ne remplace leur appréciation de la situation. 

En France, les limitations de vitesse apparaissent de plus en plus variées, voire parfois incohérentes. Cette complexité ne le rend-elles pas dangereuses ? 

Effectivement,  ces limitations de vitesse de plus en plus variées sont sources de gène considérable. L'automobiliste, tout en les respectant, se retrouve piégé à cause de ces variations injustifiées. Une portion de la route peut désormais être limitée à 80 km/h, et passer quelques mètres plus loin à 90 avant de repasser ensuite en 80… Ne pouvant pas porter son regard sur tout –sur le volant, les vitesses, les panneaux de signalisation…-  le conducteur s'en trouve –en quelque sorte- traumatisé.

Selon moi, ces limitations sont généralement injustifiées voire abusives. Il suffirait que l'on aménage mieux les chaussées, que l'on améliore le réseau routier tout en laissant une vitesse constante. En effet, toucher sans cesse aux limitations de vitesse vide le code de la route de tout son sens. Or,  cette incohérence papable sur tout le réseau –autoroutes incluses-  est un facteur d'inattention non négligeable. D'un instant à l'autre, une route sur laquelle la vitesse de rigueur devrait être de 130km/h se retrouve à 120km/h… Plutôt que de se concentrer sur le trafic, le conducteur se voit obliger de fixer constamment les panneaux par peur d'avoir une amende.

Cela est d'autant plus injustifié que la plupart du temps on ignore la raison d'être de ces variations de vitesse. Il peut s'agir d'un arrêté préfectoral comme d'une décision émanant de la commune que la route traverse. Dès lors, sans raison manifeste on se trouve forcé de guetter les panneaux constamment, or les yeux rivés sur le compteur, on ne vérifie pas la route et accident est vite arrivé ! Et le tout, sans bénéfice aucun pour la sécurité routière…

Pourquoi multiplier les limitations de vitesses ? Quels sont les effets escomptés ?

Ces multiplications de limitations de vitesse ont pour but premier de rendre les routes plus sûres. Se faisant, c'est un échec cuisant. Ce millefeuille de limitations et de mesures est le fait de lobbys et d'associations qui pensent que réglementer la vitesse conduira forcément à une meilleure sécurité routière et à une baisse de la mortalité. Or ceci est faux : les réglementations se multiplient et aucune baisse drastique de la mortalité ne suit.

Le code de la route –lorsqu'il est respecté- est sans danger. Ce qu'il faut, ce n'est donc pas multiplier les restrictions de vitesse mais bien améliorer la condition des routes et multiplier la présence des gendarmes et de policiers qui, remplacés par des radars, ont globalement disparu.

Les routes dans leur état actuel sont sources d'accident. Par exemple, les nationales sont massivement empruntées par les poids lourds, or puisque ce sont des routes à une seule voie et limitées à 80km/H ou 90km/h, lorsqu'un automobiliste est bloqué derrière un camion et qu'il tente de le doubler –à une vitesse qui ne le permet pas- il augmente ses risques d'avoir un accident. Ce qu'il faut c'est prendre conscience de la réalité de ces routes et créer davantage de deux et quatre voies. De plus, les routes sont bien souvent en très mauvais états. Il n'y a que regarder celles qui avaient été touchées par le dégel en début d'année : un an après et à l'approche de nouveaux dégels, elles n'ont toujours as été réparées ! Voilà donc la source réelle des accidents !

D'autre part, l'absence ou du moins la présence de moins en moins soutenue de policiers ou de gendarmes sur le bord des routes n'améliorent rien. Un radar, contrairement à un policier ne vérifie pas le taux d'alcoolémie des conducteurs ni leur consommation de stupéfiants. Or, sans vérifications régulières les risques d'accidents sont multipliés.

Dans les faits, quelles en sont les conséquences pour les automobilistes ? Ces routes -marqués par de nombreuses variations de vitesse- sont-elles généralement, aussi, les plus meurtrières ? 

Les statistiques annoncent régulièrement une baisse des morts sur la route, mais j'en doute fortement. A titre d'exemple, alors que les autorités avaient annoncé qu'entre 2003 et 2013, 36 000 vies avaient été sauvées grâce aux radars ; l'Insee a déclaré  -pour sa part- que les radars n'avaient épargné qu'un millier de vies…

Ainsi il en va de même pour les variations de limitation de vitesse : elles ajoutent bien plus aux risques qu'elles n'en retirent. Modifier sans cesse les limitations de vitesse prévues par le code de la route n'apporte aucune réponse en matière de sécurité routière. Bien au contraire, comme je le disais plus haut, ce type de variations perturbent le conducteur, le déconcentrent devenant ainsi la source d'accidents supplémentaires.

Aujourd'hui, il y a des réelles mesures à prendre. Encore une fois, il s'agit d'améliorer l'état des routes et d'augmenter le nombre de policiers et des gendarmes postées sur celles-ci. Or à présent, alors que notre réseau routier est l'un des plus mauvais d'Europe, rien de concret n'est fait.  Les mesures technocrates s'accumulent mais les résultats ne sont tristement pas à la hauteur. Il convient donc de repenser tout ceci.

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