Et maintenant en Serbie… : y a-t-il un risque que les tueries de masse finissent par débarquer en France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des policiers escortent un mineur, soupçonné d'avoir tiré plusieurs coups de feu dans une école de Belgrade, le 3 mai 2023.
Des policiers escortent un mineur, soupçonné d'avoir tiré plusieurs coups de feu dans une école de Belgrade, le 3 mai 2023.
©OLIVER BUNIC / AFP

Fléau

Un adolescent serbe de 13 ans est entré dans une école réputée de Belgrade et a tiré avec une arme semi-automatique sur sa professeure d’histoire et sur plusieurs de ses camarades, faisant lui neuf morts (huit élèves, tous nés entre 2009 et 2011, et le gardien de leur école).

Jean Doridot

Jean Doridot

Le Dr Jean Doridot  est psychologue, spécialiste des addictions.

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Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Atlantico : Un jeune de 13 ans a tué plusieurs élèves et un surveillant dans une école à Belgrade. On a le sentiment que les tueries de masse se multiplient en Europe. Comment l‘expliquer ?

Jean Doridot : Il y a un phénomène de contagion sociale sur le sujet des tueries de masse, qui a été documenté par des chercheurs en psychologie. Aux États-Unis, par exemple, lorsque l'on constate ce genre d’évènement, il y a une probabilité qu'un autre survienne dans les jours qui suivent. Ce phénomène a été observé et documenté par Durkheim et Kangue à l'époque de l'épidémie de suicides en Allemagne. L’effet en question est souvent nommé « Effet Werther », en raison de la vague de suicide chez les jeunes après la publication de « Les soufrantes du jeune Werther », de Goethe, publié en Allemagne en 1774. Les réseaux sociaux pourraient également contribuer à ce phénomène. Il est important de souligner que depuis la pandémie, la santé mentale des individus, notamment celle des jeunes, s'est détériorée, ce qui a entraîné une vague psychiatrique. Cela peut faire partie des raisons de cette augmentation des tueries de masse et notamment chez les jeunes. En outre, les tueurs de masse sont souvent des personnes marginalisées qui ont subi des brimades et qui se sentent exclues. Il est également possible que certains soient malades au sens psychiatrique du terme. Cependant, leur désir d'accéder à une certaine notoriété est souvent motivé par un malaise et une marginalisation.

C’était le cas de Richard Durn lors de la tuerie de Nanterre en 2002. Les tueurs de masse, dans plus de 95% des cas, sont des hommes, et parmi eux, beaucoup sont marginalisés et se sentent exclus. Ils ont souvent subi des brimades. Le harcèlement scolaire peut être un facteur déclencheur de cette violence. C’est un sentiment de malaise qui crée de la violence, soit contre soi, jusqu’au suicide, soit contre les autres jusqu’aux tueries de masse. Dans le cas serbe, le tueur avait accès à des armes à feu chez son père, il est passé à l'acte. Les tueurs de masse sont parfois malades, au sens psychiatrique du terme, mais pas tous. En revanche, ils sont généralement marginaux et souffrent d'un malaise qui les pousse à vouloir accéder à une certaine notoriété. Un tueur de masse veut se faire remarquer, qu’on le reconnaisse, et le plus souvent il ne tue jamais de parfaits inconnus.

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Xavier Raufer : La Serbie est un cas particulier qu’il ne faut pas forcément mettre sur le même plan que les autres tueries de masse. A mon sens, c’est un événement isolé qui ne se reproduira pas de sitôt. Il existe des cas pathologiques de psychopathes graves, qui représentent un danger pour la société. Cependant, ces situations sont rares et ne sont pas représentatives des pays. Ce sont des cas universellement répandus : un beau jour, quelque chose craque dans la tête d'un individu et à partir de ce moment-là, s'il n'est pas sous traitement chimique ou autre, dès qu'il voit un être humain, il le tue. Un enfant de 13 ans dans une école à Belgrade, c’est inouï et c’est aussi pour cela que ça suscite autant d’émotion.

Quelle est la tendance de fond des tueries de masse ?

Xavier Raufer : Quand on prend en compte les tueries de masse, la plupart se produisent dans des pays à majorité protestante. Il arrive rarement que de telles tueries se produisent ailleurs. Il peut y en avoir une de temps en temps, comme en Chine ou en Norvège, mais cela reste atypique. Par ailleurs, cela n'a rien à voir avec la disponibilité des armes, car il y a des pays où il y a deux fois plus d'armes et deux fois plus de morts par banditisme, comme le Mexique ou le Brésil, mais où il n'y a pas de tuerie de masse. Mais évidemment, quand il y a des armes à disposition, les passages à l’acte sont toujours plus meurtriers, mais ils ne se passent pas n’importe où.

Les tueries de masse se produisent dans des pays où le politiquement correct étouffe tellement les gens qu'à un moment donné, ils "pètent les plombs ». Ce qu'il faut prendre en compte, c'est le niveau de risque. En dehors du monde où le politiquement correct règne en maître et où l'on n'a plus le droit de dire certaines choses, les tueries de masse sont générées par la conformité absolue.  Il y a donc des pays à risque, les pays nordiques à majorité luthérienne, comme le Danemark, la Suède et la Norvège, qui sont particulièrement marqués par cette conformité. En revanche, les pays baltes qui sont orthodoxes ou de toute autre religion n'ont pas ce problème.

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A quel point est-il possible que les tueries de masse s'importent en France ?

Jean Doridot : Pour le moment, ce qui nous protège c’est la réglementation de l'accès aux armes à feu, même si nous avons de nombreux jeunes qui meurent par balles à cause du trafic de drogue. Des tueries de masse ont déjà eu lieu, comme avec Richard Durn à Nanterre ou des tentatives comme David Patterson, qui avait foncé dans une pizzeria, faisant un mort et plusieurs blessés. Notre réglementation, notre suivi-médicosocial nous offrent une certaine protection, mais il faut rester vigilant.  Nous avons également une détection précoce des mineurs en difficulté, tels que ceux qui sont victimes de harcèlement. Cependant, nous devons prendre cette menace au sérieux.

Xavier Raufer : Les risques pour la France ne sont jamais nuls, mais ils sont de l'ordre de 0,001%. Chez nous, dans les pays où les gens manifestent dans la rue, il y a parfois des actes de violence envers les forces de l'ordre et des cris de protestation, mais pas de tueries de masse. Cela s'explique par le fait que les gens ont encore le droit de manifester et de s'exprimer, même s'ils risquent d'être arrêtés. A l’inverse, dans les pays où les gens ont perdu leur liberté et leur dignité, cela se produit. Car tout le monde se conforme, mais arrive un cas de personne qui refuse et il décide d’entrainer tout le monde avec lui. De plus, en Amérique, comme lors de la tuerie en milieu scolaire de Columbine, cela témoigne de l'absence d'espoir et de la volonté de s'en prendre à ce qui est en train d'émerger.

Est-ce qu’il faut y voir dans les tueries de masse les conséquences d’une crise de la masculinité ? La manifestation d’une forme d’anomie ?

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Jean Doridot : Il est important de faire preuve de prudence dans nos propos. En effet, il est indéniable qu'en France, nous manquons de psychologues pour assurer un suivi adéquat des personnes ayant besoin d'aide. Il est vrai que dans une société où les relations sociales se dégradent et où les écrans prennent le pas sur la communication, il devient difficile de repérer les signes de détresse chez les jeunes. Si un enfant ne va pas bien, il est important de lui offrir un soutien médico-social, car sans cela, il est exposé à de nombreux risques. Dans une société idéale, il serait possible d'identifier rapidement les enfants en difficulté et de leur apporter l'aide nécessaire.

Cependant, il ne faut pas oublier que la responsabilité des mineurs incombe également aux parents et à la communauté. De plus, l'ordonnance de 1945 considère les enfants de moins de 13 ans comme des victimes, même s'ils ont commis des actes répréhensibles. Il est donc important de protéger les enfants et de les empêcher d'accéder à des armes à feu, afin d'éviter les drames.

Malheureusement, dans de nombreux cas, les tueurs de masse ont eux-mêmes été victimes de violences et de harcèlement (43% selon une étude américaine). Il est important de prendre en compte cette réalité pour prévenir de tels drames. Les adultes ont la responsabilité de protéger les enfants de ces violences, qu'elles soient physiques ou psychologiques. Il est donc essentiel de repérer les signes de mal-être chez les jeunes et de les aider à surmonter leurs difficultés.

Il est difficile de répondre à cette question de la crise de la masculinité scientifiquement. Toutefois, il convient de souligner que ce sujet a été largement documenté et étudié par les psychologues, sociologues et psychiatres. Par exemple, à une certaine époque, il était fréquent de désigner les hommes blancs comme étant les tueurs de masse aux États-Unis, ce qu’on justifiait par ce sentiment de crise de la masculinité et du statut. Mais quand vous ramenez la proportion des tueurs de masse blancs/afro américains, c’est à peu près représentatif de la société. Donc en tant que scientifique, je dois avouer que répondre "je ne sais pas" serait la réponse honnête. Pour ma part, je ne dispose pas de données qui laissent penser qu'il y aurait une corrélation entre la crise de la masculinité et les tueurs de masse. Toutefois, certains prédicteurs de passage à l'acte, tels que l'endoctrinement dans certaines sectes masculinistes, peuvent être un facteur à prendre en compte. En tant que fait-diversier pour Radio France, j'ai couvert l'affaire d'un coach en séduction masculiniste qui a été condamné à perpétuité pour avoir tué son ex-petit amie. Dans ce cas, il est clair que l'endoctrinement a joué un rôle. Cependant, il est important de souligner que cela ne peut pas être généralisé à tous les tueurs de masse.

Enfin, il est important de ne pas retirer la responsabilité individuelle de chaque personne qui commet un acte violent. Ce qui intéresse les psychologues, c'est de réussir à faire la part des choses entre la responsabilité du groupe, de la collectivité qui peut ne pas avoir vu venir un problème ou ne pas avoir pris suffisamment soin de résoudre une situation problématique depuis des années, et la responsabilité individuelle de la personne criminelle. Dans notre système de justice, la responsabilité individuelle prime, même si la personne a pu être influencée par des circonstances extérieures.

En ce moment, il y a clairement un problème de violence chez les jeunes, qui sont en proie à un malaise profond. Il est important d'enquêter pour comprendre les causes de cette violence. Récemment, une petite fille de 5 ans a été tuée dans les Vosges. Un jeune de 15 ans est soupçonné d’être l’auteur de ce crime abominable. On sait que ce jeune était placé en centre éducatif fermé depuis deux ans, donc avec des éducateurs, qui ont fini par estimer qu’il n’était pas dangereux et il est maintenant mis en examen pour meurtre.

Xavier Raufer : Ce sont les conséquences de crises de puritanisme. En France, nous avons eu une crise d'alcoolisme grave, qu'on a réussi à régler lentement par l'éducation populaire. Les États-Unis ont réagi par la prohibition et livré leur pays à la mafia pendant un demi-siècle. Ils ne peuvent pas s'empêcher de basculer dans l’excès. À un moment donné, ils veulent mettre les sorcières au bûcher, le moment suivant ils veulent abolir le sexe. Il y a une incapacité à régler ces problèmes sans aller tout de suite vers un sommet d'hystérie et de folie. J'ai connu les États-Unis dans les années 70, à New York, où il y avait une boîte à partouze par pâté de maisons. 10 ans après, vous regardez les mollets d'une jeune fille dans la rue, vous avez un procès et la police qui intervient.

 Le puritanisme a créé un déséquilibre qui a conduit à l'extrême inverse, ce qui explique les délires sociétaux.  Les formes mineures de délire peuvent être relativement inoffensives. Par exemple, des personnes peuvent se rassembler sur une place et prétendre avoir vécu une expérience mystique en regardant le soleil. Ce type de délire n'est pas dangereux pour autrui. Cependant, il existe également des délires sociétaux plus graves, tels que les procès de sorcières de Salem aux États-Unis ou les souvenirs factices de messes noires dans les années 80.

Mais sur la question de la masculinité, il y a bien une question, notamment avec les incels (involuntary celibate). Certains hommes qui se sentent rejetés par la société estiment qu’ils sont injustement rejetés peuvent devenir des fous furieux et causer des drames, comme l'homme qui a foncé dans une foule de femmes à Toronto.

La tendance de fond, c’est la même que celle qui conduit aux morts par désespoirs, c'est-à-dire les gens qui se droguent jusqu'à se tuer, qui se suicident,etc. Et rien que les surdoses mortelles, l'année dernière aux États-Unis, c'est un Boeing 747 qui s'écrase au sol tous les jours.

Pourquoi sont-ce des hommes qui tuent dans la grande majorité des cas ?

Jean Doridot : Ce que l'on sait, c'est qu'environ 90% à 95% des homicides sont commis par des hommes, c’est un constat, mais nous n’avons que des hypothèses pour l’expliquer. Il ne faut pas trop s’appuyer sur des explications genrées. 

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