Et le Hamas donna enfin une estimation du nombre de combattants perdus par le mouvement terroriste dans la guerre de Gaza<!-- --> | Atlantico.fr
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Un responsable du Hamas basé au Qatar a déclaré à Reuters qu'Israël avait éliminé 6.000 combattants du Hamas.
Un responsable du Hamas basé au Qatar a déclaré à Reuters qu'Israël avait éliminé 6.000 combattants du Hamas.
©Menahem KAHANA / AFP

État des lieux

Les chiffres donnés par un responsable du mouvement au Qatar permettent de mieux comprendre les ratios de pertes civils/militaires depuis le début de l’offensive israélienne sur Gaza.

Jérôme Pellistrandi

Jérôme Pellistrandi

Le Général Jérôme Pellistrandi est Rédacteur en chef de la Revue Défense nationale.

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Pierre Berthelot

Pierre Berthelot

Pierre Berthelot est chercheur associé à l' IPSE et directeur de la revue Orients Stratégiques. 

 

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Atlantico : Pour la première fois, un des responsables du Hamas, qui a requis l'anonymat, a donné une estimation du nombre de combattants tués depuis le début de l’intervention d’Israël dans la bande Gaza. Ces chiffres nous donnent-ils une meilleure vision du ratio de civils / combattants tués ?

Pierre Berthelot : Un responsable du Hamas basé au Qatar a déclaré à Reuters que les terroristes avaient perdu 6.000 combattants pendant la guerre sur les 28.000 morts. Il s’agit des chiffres du Hamas. Il faut les prendre avec beaucoup de réserve. Le nombre de membres du Hamas tués est peut-être beaucoup plus important. Mais ces chiffres sont substantiels. Le Hamas reconnaît plusieurs milliers de morts en son sein. Cela témoigne de l'ampleur des pertes. Il faut considérer que ce ne sont pas les vrais chiffres.

Les membres du Hamas sont en conflit et en guerre. Dans ce contexte, la vérité des chiffres de part et d'autre n'est jamais totalement certaine. Il est très difficile de vérifier la réalité de ces chiffres du côté du Hamas. Il y a plus de possibilités de le faire du côté israélien.

Entre 20 et 25 % des victimes totales seraient issues du Hamas. Cela semble assez réaliste. Dans l'ensemble des 28.000 morts à Gaza, même si ce chiffre doit aussi être confirmé, il y a énormément de victimes du Hamas.

Derrière la difficulté de l’évaluation des chiffres, il y a une réalité qui est tragique. Le Hamas est mêlé à la population. Le Hamas est une force qui combat mais qui n’est pas toujours identifiée clairement sur le terrain. Il ne s’agit pas d’une armée régulière avec des uniformes.  

Le nombre de victimes important s’explique à la fois par la férocité des combats et par les moyens importants qui sont mis en place par Israël mais aussi par le fait que les membres du Hamas sont mélangés aux civils.

Parmi les personnes tuées à Gaza, 30 % seraient des membres du Hamas. Ce chiffre peut être considéré comme considérable. Lorsque vous avez 30 % des victimes à Gaza qui sont des combattants du Hamas, cela représente des pertes majeures.

Le Hamas n’a pas fait de comparaison de ce chiffre avec le nombre total de ses combattants. Certaines évaluations évoquent 20.000 à 30.000 combattants du Hamas. Même si on reste sur cette évaluation, ce chiffre est très important.

Mais ces chiffres ne sont pas si considérables que cela. Il y a encore un réservoir de combattants.

La question clé pour Israël réside sur cet aspect-là. Si l’armée israélienne parvenait à éliminer une grande partie, voire la majorité, des combattants du Hamas dans cette offensive, est-ce que pour autant ils en auront fini avec ce groupe ou avec cette idéologie ? Cela n’est pas garanti car le Hamas bénéficie du soutien de la population à Gaza. Mais surtout, il n'y a pas de solution politique qui est proposée. Cela nourrit le désespoir.

Est-ce que par rapport à la population totale, ce chiffre est-il considérable ? En faisant une comparaison avec l'Ukraine, il est possible d’affirmer que ce chiffre est considérable. Dans les autres lieux de combat, il y a rarement un ratio aussi important de combattants tués par rapport à la population totale. Mais cela tient à la spécificité d'abord de la zone de combat, une zone avec une forte densité de population globale. Et deuxième élément, ce chiffre assez élevé de ratio est lié au fait que le Hamas est mélangé à la population. Le nombre de victimes civiles hors Hamas est très important, même si cela peut être des forces paramilitaires, cela n’est pas assez souligné. Dans les victimes civiles, même s'il est incontestable qu'il y a des personnes qui n'ont malheureusement rien à voir avec le Hamas, il y a aussi des gens qui sont des supports logistiques au Hamas, qui sont indispensables. Même s’ils ne sont pas des combattants armés, ils font partie de la structure globale du Hamas. Ils peuvent être des militants politiques, des forces qui organisent la société palestinienne dans Gaza. Ces forces de soutien au Hamas, lorsqu'elles sont tuées, affaiblissent l’organisation.

Il y a donc beaucoup de victimes civiles parce que le Hamas est mélangé à la population et il y a énormément de membres du Hamas tués au sein de la population car l’espace est densément peuplé.

Si un second front s'ouvrait au Sud-Liban, il n'y aurait pas les mêmes chiffres car la densité de population est plus faible. Le rapport de la population vis-à-vis du Hezbollah n'est pas tout à fait le même. Les configurations assez spécifiques à Gaza expliquent le nombre de victimes important des deux côtés, aussi bien du côté des civils que du côté des forces combattantes du Hamas.

Jérôme Pellistrandi : Au regard des chiffres annoncés mais non vérifiés par des observateurs impartiaux, on constate une très forte proportion de pertes parmi les femmes et les enfants, jusqu’à 70%. Cela signifie que la protection de la population civile n’est pas une priorité pour le Hamas et que celle-ci constitue de fait un bouclier pour l’organisation terroriste. Par ailleurs, le Hamas a tout intérêt à diminuer le nombre réel de combattants tués pour justifier d’une part sa capacité à continuer le combat et à maintenir un rapport de force favorable et sa main mise sur la population gazaouie. De plus, le statut de combattant reste flou dans le cadre d’une telle organisation, entre celui qui a les armes à la main et le sympathisant qui a par exemple servi à gardienner des otages.

Au vu de ces chiffres, l’accusation de génocide contre Israël peut-elle tenir ? 

Jérôme Pellistrandi : L’utilisation du terme génocide n’est pas approprié. Celui-ci signifie une volonté systématique d’élimination sans distinction au titre d’une identité contestée : les Arméniens au début du XX° siècle ou bien sûr la Shoah par les nazis, sans oublier les Tziganes par les mêmes nazis, ou les intellectuels par les Khmers rouges. Il n’en est rien à Gaza. Le but de guerre après les attaques terroristes du 7 octobre est d’éliminer le Hamas comme structure terroriste et non d’éliminer la population gazaouie.

A Gaza, Tsahal a essayé par exemple de prévenir les populations civiles de fuir des zones particulières avec l’envoi de tracts, de SMS sur les portables afin de limiter les risques de pertes collatérales. Il n’en demeure pas moins que le nombre de victimes civiles est bien trop élevé au regard des buts militaires.

Pierre Berthelot : Il est important de préciser qu'un génocide n'est pas basé sur le nombre de victimes. Un génocide de population a été reconnu à Srebrenica en Bosnie-Herzégovine avec 8.000 victimes. Certains conflits ont fait beaucoup plus de victimes et pour autant, ils n’ont pas été qualifiés de génocides. Le chiffre en soi n'est donc pas l'élément principal. La clé est l'intentionnalité. Est-ce qu'il y a une volonté délibérée d'éliminer des populations civiles ? Et le fait que cela soit organisé de manière systématique.

Certains considèrent que, étant donné la part extrêmement importante des morts issus des populations civiles, y compris celles ne soutenant pas le Hamas, il y a un caractère génocidaire.

Mais il n’est pas possible de dire qu’il y a une intentionnalité d'éliminer les Palestiniens, même si le résultat peut y conduire.

La position officielle du gouvernement israélien, sa volonté, est d’éliminer le Hamas et de faire évacuer une partie de la population palestinienne de Gaza pour justement mieux éliminer le Hamas.

La situation n’est pas comparable au génocide rwandais, des Arméniens, à la Shoah.

Mais plus l’offensive va se prolonger dans le temps, plus il y aura de victimes civiles, plus certains vont reprendre cette accusation, comme le fait le dirigeant brésilien Lula.

La difficulté pour Israël est de savoir comment éliminer un groupe terroriste qui menace son existence mais qui est mêlé à une population civile. Cela représente un grand défi, surtout pour un pays qui revendique des valeurs démocratiques.

Cela avait déjà été un des obstacles lors de la guerre du Liban en 2006. La pression internationale était devenue extrêmement forte sur Israël. Entre l'échec militaire relatif et la pression internationale, Israël a dû arrêter son opération.

Israël doit concilier ces deux objectifs qui sont extrêmement difficiles.

Par rapport à des opérations similaires, comme celle menée par la collation anti-Daech ou les bombardements de l’armée de Bachar al-Assad sur Mossoul, le coup humain de la riposte israélienne dans la bande de Gaza est-il particulièrement élevé ? 

Jérôme Pellistrandi : Le bilan est effectivement élevé avec des pertes civiles supérieures aux pertes militaires. D’où les appels récurrents des alliés d’Israël à à la fois initier une trève et à épargner les populations civiles. La difficulté est l’imbrication des combattants au sein de cette même population, comme par exemple des miliciens cachés au sein même des hopitaux ou la duplicité de certains collaborateurs de l’UNRWA avec le Hamas. Il y a également la volonté systématique d’Israël d’éliminer les dirigeants responsables du 7 octobre avec par exemple la destruction de leurs habitations au risque de pertes dans les familles. Très clairement, il s’agit de punir les auteurs de l’attaque terroriste, même si le prix à payer en termes d’image de marque dans l’opinion publique internationale est très élevée.

Pierre Berthelot : La grande différence concerne la densité. Ces combats se déroulent dans une zone qui est presque exclusivement urbaine et avec une très forte densité de population qui ne peut pas fuir pour différentes raisons. Cette équation est très différente de celle de l’Irak ou des bombardements du régime syrien. Les civils avaient plus la possibilité de fuir les villes et les combats.

Si l'Egypte demain ouvrait sa frontière et accueillait une partie des Palestiniens, cela changerait en partie l'équation pour Israël. Mais l'Egypte, pour différentes raisons, est hostile à cette mesure. Israël doit donc continuer à traquer un ennemi qui est mêlé à la foule.

Les données restent donc les mêmes plus de quatre mois après le début de l'offensive israélienne. Plus le conflit va durer, plus Israël se retrouvera dans cette difficulté à devoir frapper des civils et à la difficulté d'éradiquer l'ensemble des membres du Hamas.

Les dirigeants Israéliens préparent une opération militaire sur la ville de Rafah, dernier bastion du Hamas dans la bande de Gaza. La défaite de Yahya Sinwar, chef militaire de l’organisation terroriste dans la bande côtière, est-elle inévitable ?

Pierre Berthelot : Le Hamas a montré que les personnes ne sont pas essentielles. Ce mouvement a réussi à survivre à l'élimination de plusieurs de ses chefs, dont le fondateur Cheikh Yassine. Le Hamas a toujours eu une direction bicéphale. Il y a la direction à l'extérieur avec Haniyeh, Mechaal qui sont basés dans d'autres pays. Et il y a les combattants de l'intérieur. Le Hamas sait très bien que Sinwar peut être éliminé, mais fondamentalement cela ne devrait pas changer la donne.

Il y a des organisations pyramidales où l'élimination d'un chef déstabilise profondément la structure. Cela a été le cas pour le groupe palestinien Abou Nidal ou pour le Sentier lumineux au Pérou. Ces groupes très centralisés autour d'une personne ont du mal à se relever après la disparition du chef.

Pour le Hamas, en revanche, la question des personnes n'est pas essentielle. Ils ont à chaque fois doublé le chef par un adjoint lorsqu'il est éliminé. Il y a aussi une direction locale et une direction à l'étranger. Cette question n'est donc pas essentielle. Pour Israël, éliminer Sinwar ou le capturer serait vu comme un grand succès. Mais je ne suis pas convaincu que cela changera fondamentalement la donne, aussi bien pour le Hamas que pour Israël.

Jérôme Pellistrandi : L’élimination du chef de la branche militaire du Hamas est effectivement une priorité absolue pour Israël. Il faut rappeler que l’homme est réputé pour sa cruauté, y compris à l’égard de ses propres compatriotes. Quoiqu’il arrive et au regard du drame du 7 octobre, sa tête est mise à prix et il sera un jour éliminé. C’est un homme traqué et qui le sait. D’où la volonté de Tsahal de poursuivre le combat jusqu’au bout, au risque de devoir s’engager dans la ville de Rafah. Tr§s clairement, tant que les otages survivants ne sont pas libérés, la guerre continuera au risque de nombreuses pertes civiles et de souffrance pour la survie quotidienne. En fait, la guerre enclenchée par les massacres du 7 octobre est vécue par les Israéliens comme une guerre existentielle comme en 1956, 1967 et 1973. D’où l’acharnement à éliminer durablement le Hamas.

Israël a-t-il vraiment les moyens de changer durablement la donne militaire dans la bande de Gaza ? 

Pierre Berthelot : A court terme, effectivement. Israël a la capacité d’affaiblir le Hamas. Mais l'enjeu principal pour Israël est la question du temps. Israël pourrait être affaibli avec un conflit qui s’éternise. Les Etats-Unis restent le dernier partenaire solide pour Israël.

Israël doit donc se faire accepter dans son environnement proche. Faute de solution politique, les mêmes causes produisant les mêmes effets, il n'y a pas de raison que dans quelques années, une force puissante soit reconstituée et décide de cibler Israël.

L’objectif du Hamas n'était pas que militaire, il était politique. Le Hamas souhaitait remettre la question palestinienne au centre et empêcher finalement le prolongement des accords d’Abraham. Certains pays qui étaient favorables à ces accords, comme l'Arabie Saoudite par exemple, ne peuvent pas, par rapport à leur opinion publique, aller plus loin vers Israël à cause de la persistance de la question palestinienne qui n'est pas résolue.

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