« Et c'est ainsi que nous vivrons » de Douglas Kennedy : pour qui sonne le glas de l'Amérique ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Etats-Unis, première puissance mondiale.
Etats-Unis, première puissance mondiale.
©STEFANI REYNOLDS / AFP

Etats-Désunis d'Amérique

Dans Et c'est ainsi que nous vivrons (Belfond), Douglas Kennedy met en scène une Amérique qui a fait le deuil de la démocratie et qui s'est désintégrée. Ces États désormais Désunis sont coupés en deux blocs, opposés et hostiles. Une agent des services secrets en mission va se lancer dans une course poursuite endiablée, entre ces deux mondes irréconciliables. Une dystopie aux accents orwelliens, qui se lit d'une traite et qui fait froid dans le dos, tant elle est vraisemblable. Faut-il sauver le soldat Démocratie ?

Olivia Phelip

Olivia Phélip

Olivia Phélip est rédactrice en chef de Viabooks.fr et coach professionnel. 

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Douglas Kennedy sait tenir son lecteur en haleine. Il sait aussi toucher là où ça fait mal (emprise, fin du couple, violence faite aux femmes, difficulté des relations, désir de changer de vie...). D'une peinture très psychologique qui met en scène ses héros (souvent des héroïnes), seul(e)s face à leur destin, il est passé à des thèmes de plus en plus sociétaux, pour ne pas dire politiques. Son cheval de bataille ? La décadence du monde contemporain. Un constat brutal, qu'il a d'abord décliné autour de l'obsession de l'argent, nouveau maître du monde, décrit dans Combien? (2013). Sa cible désormais ? La décomposition de l'Amérique, mère matricielle de cette désintégration des valeurs. Un cycle démarré avec Les hommes ont peur de la lumière (2022), où il avait décrit la spirale de la violence, dans laquelle un homme était entraîné, sur fond de Los Angeles mortifère. Une photographie sombre et sans appel dans une société sans issue. Dans son dernier livre, Et c'est ainsi que nous vivrons, Douglas Kennedy va encore plus loin. Il ose écrire un roman d'anticipation aux accents orwelliens, dystopie sur une Amérique fracturée, qui puise hélas sa vraisemblance dans les signaux actuels.

Au cœur des Etats-Désunis d'Amérique

A chaque élection américaine, il est frappant d'observer la carte des votes et de se rendre compte qu'il y a d'un côté les Etats côtiers (Est et Ouest) et de l'autre, les Etats du centre. Les premiers votent en général démocrates, les seconds, républicains. Mais plus profondément, leurs conceptions sociétales et politiques s'éloignent de plus en plus, les uns des autres. Il y a ceux qui sont très progressistes et ceux qui votent l'abolition de l'avortement. Voilà pour la réalité d'aujourd'hui. Jusqu'à quel point cette situation va-t-elle être tenable ? Douglas Kennedy part de l'hypothèse qu'une nouvelle guerre de Sécession va fracturer cette Amérique en deux. Il nous transporte en 2045, et montre ce qui se passe dans ce qu'il nomme « Les  Etats-Désunis d’Amérique ». Sur les côtes Est et Ouest, s'est constituée une République où la liberté de mœurs est totale, mais où la surveillance est permanente. Dans les États du Centre, une Confédération a pris forme, au sein de laquelle les valeurs chrétiennes sont dominantes : divorce, avortement et changement de sexe y sont interdits. Ces deux blocs se font face, chacun redoutant une infiltration de l’autre. Des frontières opaques sont constituées. Le décor est planté. Accrochez votre ceinture. Le rêve américain est plutôt devenu le cauchemar américain.

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Un suspense sombre avec une héroïne forte et lumineuse

Dans ce contexte d'opposition frontale entre deux camps, une agent des services secrets, Samantha Stengel, venant de la République est appelée à passer de l’autre côté de la frontière pour une mission décisive. Elle va devoir traverser un des États de la Confédération, sur les traces d’une cible dangereuse et prendre de nombreux risques.
On retrouve ici le talent de Douglas Kennedy à donner vie à des héroïnes fortes et porteuses d'une mission qui les dépasse, contrepoint des ombres qu'elles traversent. Samantha ressemble aux personnages que l'on retrouve dans les livres de fantasy, dans lesquels l'héroïne doit traverser mille obstacles pour arriver au royaume de la lumière. Sauf que dans une dystopie à la Douglas Kennedy, les situations décrites sont, non seulement vraisemblables, mais très réalistes. La société de surveillance de la République ultra-libérale n'a rien à envier aux coercitions des Confédérés. Efficacité dans un meilleur des mondes sans limite contre règle de soumission dans un monde parfaitement normé... Samantha va jongler entre deux systèmes et comprendre que les camps s'opposent, mais ne s'annulent pas. Nous n'allons pas en dire davantage sur ses aventures, pour ne pas déflorer le suspense. Car Et c'est ainsi que nous vivrons est un vrai page-turner, peut-être un des meilleurs livres de Douglas Kennedy.

Une dystopie terriblement et tragiquement réaliste

On ne peut s'empêcher à ce que fut la Guerre froide, on pense à la Corée fracturée, à la Chine coupée de Taïwan... Douglas Kennedy met en scène une situation intra-occidentale tout à fait vraisemblable, qui fait froid dans le dos. Michel Houellebecq avait agi de la même manière dans Soumission, poussant plus loin une autre hypothèse de désintégration des principes de la démocratie libérale au sein de la religion musulmane. Le récit de Douglas Kennedy prend aux tripes, car ce Nouveau monde divisé est violent et sans retour. C'est la fin de la démocratie et du contrat social issu des Lumières. Dans les divorces à l'américaine, il est souvent avancé des « différends irréconciliables entre les époux » pour justifier la fin de leur mariage. Il existe dans cette nouvelle Amérique coupée en deux, des « différends irréconciliables ». Derrière les aventures de Samantha, le lecteur suit, lui aussi, le chemin de ses propres désillusions. Aucun des deux camps n'est celui du Bien. Du reste Douglas Kennedy a placé en exergue de son roman cette citation d'Ernest Hemingway extraite de Pour qui sonne le glas ? 

« Êtes-vous communiste ?
- Non. Je suis antifasciste
- Depuis quand ?
- Depuis que j'ai compris ce qu'était le fascisme.»

La société libérale a cédé la place à la société du clivage. Comme si tout ce qui avait servi de socle pour son avènement démocratique s'était atomisé aux extrêmes. On l'aura compris, Douglas Kennedy propose un suspense à plusieurs niveaux. Un roman sombre qui se lit sur le fil du rasoir. Ainsi qu'un récit qui amène à réfléchir. On essaie de se rassurer en se disant que c'est une dystopie, qui joue à nous faire peur. Mais on ne peut s'empêcher d'y repenser, longtemps après avoir refermé l'ouvrage. Et si c'était vrai, un jour ? Est-ce vraiment la société qui s'annonce ? Comment retrouver un contrat social d'union et non pas d'opposition ? Car qu'on ne s'y trompe pas, l'éventuelle fin d'une démocratie en Amérique sonnera le glas de ses autres semblables. Faut-il sauver le soldat Démocratie ? Une réflexion à ne pas oublier, la prochaine fois qu'on déposera un bulletin de vote dans l'urne.

> Douglas Kennedy, Et c'est ainsi que nous vivrons, Belfond, Traduction Chloé Royer, 336 pages, 22,90 euros

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