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Et au fait, que disait-on dans les réveillons du 31 décembre 1918 sur ce que réservait le 20e siècle ?
©STR / AFP

Au sortir de la grande guerre

Il y a cent ans, les Français célébraient le passage de la nouvelle année après 4 ans d'horreurs et de guerre.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Un siècle après, que sait-on de ce que pensaient les Français lors du réveillon du 31 décembre 2018, au sortir de la Grande Guerre ? Qui de l'optimisme ou du pessimiste concernant le XX siècle qui s'ouvrait dominait l'opinion, aussi bien de la population prise dans son ensemble, des élites, et de la presse ?

Edouard Husson : Moins de deux mois s’étaient écoulés depuis la signature de l’Armistice. Il faudra pratiquement un an pour que la démobilisation soit achevée - à l’exception des mobilisés les plus jeunes. Le réveillon 1918 est donc, dans toutes les familles françaises, dans la continuité de la guerre, une étape seulement dans le retour à la paix. A partir de là, le tableau se complexifie. La France paysanne a été, plus que le reste de la population, éprouvée: elle a porté une grande partie de l’impôt du sang. On a mis l’accent, dans la recherche historique récente, sur l’incompréhension entre différents groupes: difficulté des soldats revenus du front à échanger avec « ceux de l’arrière »; sentiment des habitants des territoires qui avaient été occupés par l’armée allemande que leurs souffrances et les destructions étaient sous-estimées par le reste de la France. Tout ceci est vrai mais il ne faudrait pas perdre de vue l’unanimité qui l’emporte dans le pays: fierté d’avoir, collectivement, tenu le choc de la guerre la plus terrible de tous les temps (personne ne pouvait imaginer la suivante); sentiment du devoir accompli; atténuation, sinon disparition totale, des divisions de l’avant-guerre (catholiques contre anticléricaux; monarchistes contre républicains). Il y a bien un clivage qui s’affirme, entre adversaires, très majoritaires, du bolchevisme installé au pouvoir en Russie, et ses défenseurs. Ce clivage est en partie alimenté par la vision de la paix: être favorable au bolchevisme, c’est être antimilitariste et pacifiste; une partie de la SFIO se tourne, aussi vers la mémoire de Jaurès pour demander une paix de réconciliation. Mais il s’agit d’une position minoritaire. Le Traité de Versailles, avec toute sa dureté, élaboré au premier semestre 1919, correspond à l’attente majoritaire de l’opinion publique. 

Existait il, en cette fin 1918, des Cassandre qui envisageaient déjà la suite que connaîtrait le XX siècle ?

Non. Il ne faut pas commettre d’anachronisme. Il subsiste, en particulier à l’Action Française, un groupe d’observateurs qui pensent que l’effort de guerre a été passablement entravé par la nature du régime républicain. Ils reprendront d’autant plus le combat pour le rétablissement de la monarchie qu’ils perçoivent, comme bien d’autres, l’affaiblissement du pays, la saignée démographique; ils y ajoutent le risque de nouvelles divisions, une fois la paix revenue. C’est aussi de l’Action Française, sous la plume de Jacques Bainville, que sort la critique la plus acérée des failles du Traité de Versailles en 1920 (Les Conséquences politiques de la Paix) Mais les monarchistes ne sont pas seuls à rechercher les facteurs de cohésion. Il existe un courant, dont Alexandre Millerand est l’un des protagonistes, qui voudrait renforcer les pouvoirs du président de la République. Fin 1919, la droite obtient son plus grand succès à des élections parlementaires dans l’histoire de la République - en attendant les élections de juin 1968.  En juillet 1920 est votée une loi qui punit plus sévèrement l’avortement et la publicité pour la contraception: le pays a le sentiment de rester très fragile démographiquement face à l’Allemagne. Mais, dans l’immédiat, l’Allemagne est vaincue, elle est en révolution et semble très divisée. Les craintes, car il y en a, concernent plutôt le danger bolchevique, le risque de contagion de la révolution communiste en Europe, la crainte d’une grève générale. La détestation du communisme est renforcée par l’antimilitarisme de beaucoup de militants de gauche, qui apparaît une injure aux soldats, morts ou survivants. 

Quelles sont les leçons à en tirer pour ce réveillon 2018-2019 ?  

Il y a un siècle, notre pays était très éprouvé mais avait le sentiment d’avoir, dans les tranchées, renforcé son unité. Il y avait, bien entendu, le souhait que cela ait été « la dernière des guerres ». D’où les attentes très fortes qui pèsent sur les négociateurs du futur Traité de Versailles. Et il n’y a aucun doute que pour l’immense majorité des Français de cette époque la nation est une réalité éminemment positive. Elle est synonyme de République; et lorsque l’on a la nostalgie de la monarchie voire le désir de la voir revenir un jour, on partage l’adhésion nationale avec ses compatriotes. La France a énormément souffert, toutes les familles sont en deuil, on sait ce que signifie pour le pays la perte, en pleine jeunesse, de bien des artistes, intellectuels, savants, inventeurs, entrepreneurs. Mais à l’époque il n’y a pas eu besoin de cellules d’accompagnement psychologiques ni de théoriciens de la résilience: le pays assumait d’avoir mené la guerre pour la défense de sa liberté et de la liberté de l’Europe face à la volonté impériale qui avait été celle du Reich. C’est tout cela que nous aurions aimé entendre rappeler lors des commémorations de novembre 2018 - en même temps qu’un hommage à nos alliés belges, britanniques, russes, serbes, italiens, américains. Cela n’aurait pas empêché de se réjouir de la paix garantie depuis plusieurs décennies en Europe (globalement, pas complètement, comme nous le rappellent les Balkans et l’Ukraine). Et nous avons toutes les raisons de nous féliciter que l’impérialisme allemand appartienne au passé. Mais il est temps aujourd’hui de renouer le fil avec nos aïeux, de parler positivement de la nation, seule fondation solide d’une politique démocratique. 

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