Espagne, Portugal, Italie, Grèce : le Sud de l’Europe est en pleine croissance et voilà ce que cela cache vraiment<!-- --> | Atlantico.fr
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Les pays du Sud de l'Europe ont un meilleur taux de croissance pour l’année 2023 par rapport à l'Allemagne.
Les pays du Sud de l'Europe ont un meilleur taux de croissance pour l’année 2023 par rapport à l'Allemagne.
©Arne Dedert / dpa / AFP

Tigres de papiers

L’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Grèce affichent pour l’année 2023 une croissance supérieure de 5% à celle de l’Allemagne. Cette tendance va-t-elle se poursuivre sur le long terme ?

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : L’Espagne, L’Italie, la Grèce et le Portugal affichent un meilleur taux de croissance pour l’année 2023 par rapport à l'Allemagne, selon un rapport réalisé par le cabinet de conseil Capital Economics pour le Financial Times. Est-ce que ces pays du Sud de l'UE, souvent vus comme les grands malades de l’Europe, sont devenus les bons élèves de la classe ? 

Don Diego De La Vega : Ces pays ne sont pas devenus les bons élèves. Plusieurs raisons l'expliquent. Tout d'abord, il est impossible de juger sur une période de 12 mois glissants, et même sur 18 mois glissants. Il est nécessaire de prendre du recul. Il faut rappeler que le niveau du PIB par habitant en Grèce ne représente qu'environ deux tiers de la médiane de la zone euro. Il était bien plus élevé il y a 15 à 20 ans.

Il est important de noter que le PIB par habitant stagne en Italie depuis maintenant 26 ans. De même, les performances globales de l'Espagne sont lamentables depuis 2007, date de l'éclatement de la bulle immobilière. Tout cela est accompagné d'un niveau de dette élevé, tant publique que privée, bien que celle-ci ait légèrement diminué sur une année. Cependant, ces pays demeurent fortement endettés.

De plus, la croissance observée est de piètre qualité. Elle ne résulte pas de gains de productivité mais plutôt d'éléments temporaires ou peu satisfaisants. Il s'agit parfois de soutiens budgétaires effectifs, parfois d'une économie dépendante du tourisme qui ne peut être qualifiée de croissance saine, autonome ou durable. Ainsi, cette croissance doit être relativisée, car elle est de piètre qualité et repose sur un certain nombre de déséquilibres. Par conséquent, il n'est pas possible de parler de reprise ni de solidité des modèles économiques.

Qu’est-ce que ces résultats disent de la santé économique de la zone euro ? 

Cela indique qu'au cours des années précédentes, la situation était comparable à la fable du pays des aveugles, le borgne est roi, qui profitait à l’Allemagne. Cependant, depuis que nous sommes clairement en récession industrielle depuis deux ans, cette fable est inversée. L'idée sous-jacente est que dans la zone euro, deux années consécutives de croissance dépassant 1,5% sont considérées comme un boom. Le modèle économique, si l'on peut dire, évolue en fonction de la situation globale et industrielle.

Pour être plus direct, cela signifie qu'il n'y a pratiquement pas de croissance dans la zone euro. Lorsqu'il y en a, elle provient souvent de facteurs externes, tels que la bonne performance de la Chine ou des États-Unis, ou d'une période de calme sur le plan énergétique et géopolitique. Cependant, la croissance potentielle, c'est-à-dire le niveau d'activité réelle et nominale de la zone euro, est de qualité médiocre et peu autonome, avec une rotation régulière des pays considérés comme locomotives de la croissance, bien que ces locomotives soient très faibles.

En réalité, lorsqu'un pays devient une locomotive économique, comme l'Allemagne hier et l'Espagne aujourd'hui, cela repose principalement sur une logique de leviers financiers. En d'autres termes, soit le secteur public, soit le secteur privé s'endette fortement. Ce recours à l'endettement permet temporairement à tel ou tel pays de se présenter comme moteur de la croissance au sein de la zone euro. Cependant, à ma connaissance, si on exclut l'Irlande, aucun pays européen n'a réellement enregistré une croissance pendant deux années consécutives au cours des 15 dernières années, voire plus longtemps, sans s'endetter massivement, que ce soit au niveau des finances privées ou publiques. Cela soulève des questions sur l'impact économique et financier de la zone euro. Cela met en lumière notre incapacité à stimuler la productivité. Cela révèle nos faiblesses.

Ce n'est pas seulement une question de l'euro trop fort ou des taux d'intérêt étant trop élevés. C'est une situation qui s'est progressivement institutionnalisée, peut-être initialement accidentelle mais qui est devenue structurelle au fil du temps.

Est-ce que l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la Grèce peuvent espérer maintenir un tel niveau de croissance ou ces pays sont-ils condamnés à un ralentissement ? 

Le ralentissement a déjà débuté. Il est dû au fait que si vous êtes Espagnol, Italien ou d'une autre nationalité, vous avez soudainement besoin de clients allemands, par exemple. De plus, l'augmentation des taux d'intérêt, annoncée il y a un an et demi à deux ans par la BCE, commence tout juste à produire des effets depuis quelques mois. Ces effets se répandront en 2024-2025. Ils se répercuteront sur le marché de l'emploi. En Europe, l'adaptation est particulièrement lente. Cela constituera une deuxième vague pour la crise immobilière.

Nous savons à quel point cela peut être crucial dans des pays comme l'Espagne, par exemple. Ainsi, en effet, nous anticipons un ralentissement. La croissance prévue pour l'Italie cette année et l'année prochaine est de 1 %, ce qui est modeste, même en comparaison avec d'autres pays. Il est probable que cela ne durera pas longtemps. Par conséquent, les choses vont se normaliser. La croissance conjoncturelle tendra vers la croissance potentielle.

La croissance potentielle de ces pays est très faible, extrêmement faible. Elle est incapable de générer des améliorations significatives en termes de productivité du travail. La Grèce et le Portugal sont trop petits et pas assez autonomes.

Quant à l'Italie, il s'agit malheureusement d'une situation désastreuse qui, en réalité, ne dépend pas uniquement de l'Italie elle-même mais du fait que lorsque le niveau de la lire italienne a été fixé par rapport à l'euro, cela a condamné l'Italie à être compétitive dans la zone euro, surtout à ce niveau de valeur de l'euro.

Généralement, on profite trop souvent des périodes de calme pour rester inertes, voire pour justifier des taux d'intérêt excessivement élevés. Il est impératif de rester vigilant car ces pays ne se sont même pas encore remis de la période précédente. Leur fragilité est extrême en réalité.

Leur modèle de croissance est très instable. Il n'est pas opportun de se complaire dans un contexte favorable, tel que celui que nous avons eu pendant 18 mois. C'est plutôt le moment d'utiliser la marge de manœuvre conjoncturelle disponible pour se préparer à des années difficiles éventuelles et pour exercer une pression sur la politique monétaire afin d'obtenir une baisse des taux aussi significative et rapide que possible. Tout discours allant dans l'autre sens aboutit malheureusement à un résultat assez désolant : des taux d'intérêt à 4 % sur la courte période, alors que la croissance de la zone euro stagne à 0 % depuis plus de 6 mois maintenant.

Le problème n'est pas simplement théorique. Lorsque nous examinons la situation de l'Italie, un pays méritant qui fait de son mieux, et que nous constatons qu'il n'a pas enregistré d'augmentation du PIB par habitant depuis 25 ans, cela appelle à une réflexion sérieuse, y compris sur le plan monétaire, voire monétariste. Cela suscite également un manque flagrant d'optimisme, car une croissance de 1,5 % à un moment donné ne peut être considérée comme satisfaisante. Il est donc nécessaire de rehausser le niveau d'exigence, de remettre en question la qualité de cette croissance temporaire et de prendre des mesures de pression monétaire, des réformes structurelles et d'autres questionnements réels. Il est peut-être même nécessaire, pour des pays comme l'Espagne, d'investir davantage dans le capital humain, car il n'est pas normal qu'ils obtiennent des scores aussi bas dans les enquêtes PISA, surtout si l'on considère le potentiel de croissance dramatiquement faible de ces pays. La faible natalité n'est pas la seule cause, c'est surtout le système éducatif qui est en crise depuis plus de 30 ans.

Ce n'est pas le cas en Grèce et en Espagne, et cela doit être sérieusement souligné, car bien que je prône une détente monétaire, cette détente ne doit pas se limiter à quelques années de répit. Il faut également mettre l'accent sur l'amélioration du système éducatif, sinon ces pays seront condamnés à accueillir éternellement des touristes de moyenne gamme, ce qui ne contribue pas réellement à la croissance. Si nous adoptons une sorte de discours technocratique européen selon lequel tout va bien et que nous pouvons obtenir un ou deux points de croissance en capitalisant sur le retour des touristes, nous évitons de nous attaquer aux questions fondamentales, qu'elles soient monétaires ou structurelles. Cela doit reposer sur une question d'exigence. Il n'est pas normal qu'un pays comme l'Espagne, avec une population de 44 millions d'habitants, ne compte aucune entreprise technologique parmi les 200 ou 300 meilleures au monde.

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