Equilibre des pouvoirs : le président de l’Assemblée nationale ou le gardien du temple<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Pierre Bédéï et Annabel Roger publient « Au perchoir Les secrets des présidents de l'Assemblée nationale » aux éditions de l’Archipel.
Jean-Pierre Bédéï et Annabel Roger publient « Au perchoir Les secrets des présidents de l'Assemblée nationale » aux éditions de l’Archipel.
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Bonnes feuilles

Jean-Pierre Bédéï et Annabel Roger publient « Au perchoir Les secrets des présidents de l'Assemblée nationale » aux éditions de l’Archipel. Au carrefour des pouvoirs, le président de l'Assemblée nationale, 4e personnage de l'État, doit trouver un équilibre entre fermeté, affirmation et discrétion. Jean-Pierre Bédeï et Annabel Roger, journalistes politiques, font découvrir les coulisses de la Ve République vues du « perchoir », avec des témoignages exclusifs. Extrait 2/2.

Jean-Pierre Bédeï

Jean-Pierre Bédeï

Jean-Pierre Bédéï, ancien éditorialiste au bureau parisien de La Dépêche du Midi, est l'auteur d'essais politiques dont "Au perchoir", "Sur proposition du Premier ministre" et "La Macronie ou le nouveau monde au pouvoir" (L'Archipel, 2024, 2015 et 2018).

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Annabel Roger

Annabel Roger

Annabel Roger, journaliste indépendante, ancien grand reporter à RMC, collabore à la revue L'Hémicycle et à Radio Classique.

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S’il entretient des liens généralement solides avec le pouvoir exécutif – excepté avec le chef de l’État en période de cohabitation –, le président de l’Assemblée se montre très sourcilleux dès que le rôle et les droits de l’institution qu’il dirige ou que les intérêts des députés semblent menacés. Ainsi, l’équilibre des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif sera au centre des préoccupations de tous les titulaires du perchoir car la Constitution de la Ve République renforce le premier au détriment du second. Il peut être l’objet d’un bras de fer politique plus ou moins larvé entre le président de l’Assemblée et le chef de l’État ou le Premier ministre. Avec comme objectif commun : éviter une crise.

Fervent admirateur du général de Gaulle et partisan résolu de la loi fondamentale de 1958, Jacques Chaban-Delmas a eu d’autant plus de mérite à faire respecter les prérogatives de l’Assemblée qu’il dirigeait, notamment entre 1958 et 1969. « Le régime précédent donnait tous les droits au législatif et vouait l’exécutif à un bégaie ment que les usages avaient accentué, explique- t-il. Il s’agissait désormais d’assurer l’équilibre des pouvoirs en permettant à chacun de s’exercer dans sa plénitude sans empiéter sur l’autre. Lutter sur les deux fronts s’annonçait nécessaire : d’un côté, prévenir le retour insidieux au passé ; de l’autre, empêcher le gouvernement d’abuser des prérogatives qui étaient devenues les siennes. En 1958, compte tenu de la condamnation générale du système aboli, les risques ne pouvaient venir que du second côté. » Cet équilibre n’a pas toujours été aisé à trouver et sa recherche a causé quelques heurts avec Michel Debré, Premier ministre, sans qu’ils dégénèrent. À plusieurs reprises, Chaban se fait le porte- parole des députés. Ainsi, le 17 mars 1960, il se rend à l’Élysée pour transmettre à de Gaulle les 297 signatures de députés qui demandaient la convocation extraordinaire du Parlement, sur la question agricole. Devant le refus du Général, il insiste dans une interview au magazine Entreprise en juillet : « Un exécutif sans véritable contrôle parlementaire est inévitablement conduit à l’arbitraire et à la tyrannie », et il demande que « s’établissent entre le gouvernement et le Parlement des rapports qui consacrent l’existence réelle du Parlement », et que les ministres reçoivent davantage les députés. Le constitutionnaliste Didier Maus relève aussi « le rôle de Chaban- Delmas défenseur des parlementaires pendant la guerre d’Algérie, notamment à l’égard de ceux qui sont impliqués dans les événements, qui sont gardés à vue ou qui sont poursuivis. Il y a dans les documents rassemblés par l’ancien secrétaire général de l’Assemblée nationale, Jean Lyon, de très beaux extraits des relations entre le président de l’Assemblée nationale et le garde des Sceaux, sur le respect que l’on doit aux députés, même lorsqu’ils s’appellent Jean- Marie Le Pen ou autrement et qu’ils ne sont pas véritablement en phase avec l’ambiance du moment. Chaban- Delmas a défendu l’immunité, l’autonomie et l’indépendance parlementaire comme il se doit ».

Claude Bartolone, lui aussi, s’est posé en rempart des députés vis- à-vis du gouvernement à l’issue de l’affaire Cahuzac, ministre du gouvernement Ayrault, qui a dû démissionner en 2013 avant d’être condamné en 2016 à trois ans de prison ferme et cinq ans d’inéligibilité pour fraude fiscale et blanchiment. Ce scandale a engendré une nouvelle loi sur la transparence de la vie politique, selon laquelle les parlementaires doivent désormais se plier aux déclarations d’intérêts (participation au capital de sociétés, activité du conjoint) et de patrimoine, pour vérifier en fin de mandat s’il n’y a pas d’enrichissement personnel. Elle a provoqué un tollé chez les députés et sénateurs, furieux de devoir payer les pots cassés par la brebis galeuse Cahuzac. Bartolone s’est opposé au volet de la législation qui imposait la publication des patrimoines, fustigeant alors une « démocratie paparazzi ». Il a obtenu finalement gain de cause sur ce point ; les déclarations sont uniquement consultables en préfecture, et leur divulgation passible d’une peine de 45 000 euros d’amende… « Bartolone a obtenu cela du président de la République alors qu’il n’avait aucun argument sérieux. Mais il était intraitable là- dessus. C’était habile de sa part car il avait l’appui de nombreux parlementaires 1 », déplore Jean- Marc Ayrault. Lors de cet épisode, le président de l’Assemblée est apparu comme le défenseur inflexible des députés de toutes les sensibilités politiques. De quoi renforcer sa popularité auprès de ses collègues.

Enfin, tous les titulaires du perchoir s’efforcent de tenir une ligne de crête fragile dans les rapports entre le gouvernement et sa majorité parlementaire. Laurent Fabius dénonce la prépondérance du gouvernement dans le travail législatif et son ordre du jour : « Le rôle du Parlement est trop secondaire. Sur le droit commercial ou le droit de la famille, par exemple, au nom de quoi l’opinion des parlementaires serait légitimement moins fondée que celle du gouvernement. » Car la tendance de l’exécutif est de vouloir cantonner l’Assemblée dans un rôle de « chambre d’enregistrement », surtout lorsqu’il dispose de la majorité absolue, au risque que les parlementaires qui le soutiennent apparaissent comme des « députés godillots ». A contrario, une trop grande liberté de manœuvre laissée aux forces de la majorité est susceptible de laisser émerger des « frondeurs » comme en a fait la funeste expérience François Hollande. Entre « godillots » et « frondeurs », le titulaire du perchoir et les présidents de groupe doivent parvenir à un équilibre qui assure à l’Assemblée l’image d’un corps vivant, capable de s’affranchir éventuellement mais dans le respect des institutions. Tous les présidents de l’Assemblée ont été confrontés à ce défi sans cesse renouvelé par les aléas de la politique et la volonté de députés d’exister face au pouvoir exécutif. 

Extrait du livre de Jean-Pierre Bédéï et Annabel Roger, « Au perchoir Les secrets des présidents de l'Assemblée nationale », publié aux éditions de l’Archipel

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