Envoi de renforts à Damas : pourquoi la Russie veut-elle autant sauver le régime de Bachar el-Assad ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine accentue ses activités militaires.
Vladimir Poutine accentue ses activités militaires.
©Reuters

Jeux d'alliance

Depuis quelques semaines, une inhabituelle activité militaire de la Russie en Syrie laisse penser à une intervention future russe contre l'Etat islamique. Une intervention qui inquiète les Etats-Unis. Si leur ennemi principal est le même - l'Etat islamique - l'objectif de la Russie est la survie du régime de Bachar el-Assad, l'ennemi juré des USA.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico :Depuis plusieurs mois et plus encore ces dernières semaines, les différents mouvements militaires russes laissent à penser que la Russie prépare une intervention en Syrie, sans que pour autant Vladimir Poutine le déclare officiellement. Sur le terrain, quels éléments concrets laissent penser cela ?

Cyrille Bret : l’évaluation exacte de la situation militaire en Syrie est extrêmement difficile et repose nécessairement sur du renseignement militaire confidentiel qui interdit de le commenter en détail en source ouverte. Toutefois, l’aide militaire russe au régime est ancienne et date de la Guerre froide. L’armée syrienne est dotée d’équipements russes, est formée en partie par des instructeurs russes et bénéficie des conseils de conseillers militaires qui jouent un rôle en matière de planification et de renseignement. Depuis le déclenchement de la guerre civile, les autorités russes ont apporté un soutien diplomatique constant au régime Al Assad, doublé d’un renforcement de ses soutiens militaires.

Les éléments qui « fuites » sur des blindés ou des troupes russes en Syrie éventent un secret de Polichinelle : la Russie est active dans la région pour des raisons stratégiques structurelles que je détaillerai plus bas.

De façon générale, le conflit syrien a depuis longtemps cessé d’être national ou même simplement régional : les drones et les forces spéciales américaines opèrent contre Daech, les troupes d’élites iraniennes mènent des opérations contre ce même ennemi et, plus largement contre les rebelles anti Al Assad, les Turcs surveillent avec minutie ce conflit à leur portes, etc. Il n’est pas jusqu’aux Français qui n’envisagent aujourd’hui d’intervenir.

Le conflit syrien est désormais le carrefour des interventions militaires internationales plus ou moins explicites.

Alexandre Del Valle : Pour le moment il y a surtout un effet d’annonce et rien de très nouveau, car des soldats, instructeurs et pilotes russes sont déjà aux côtés des forces loyalistes syriennes depuis longtemps!

de toute façon, si des opérations de bombardements aériens se confirment et se concrétisent, ceci ne sera que la continuité d’une action de soutien à l’allié syrien précieux pour Moscou. Précisons par ailleurs que Vladimir Poutine a proposé à plusieurs reprises aux Occidentaux de mener des opérations militaires occidentalo-russes et que ce sont les Occidentaux qui ont refusé de faire front face à l’ennemi principal jihadiste qui menace autant les pays musulmans que nos sociétés européennes ou la Russie.

Quelle analyse peut-on faire de cette situation ? Quelles seraient les intentions russes ? Quel(s) intérêt(s) la Russie aurait-elle à agir seule ?

Cyrille Bret : les intérêts de la Russie dans la région en général et en Syrie en particulier sont bien connus. Ils ne datent pas d’hier.

Le premier point d’attention des autorités russes est aussi ancien que l’empire. L’accès aux mers chaudes c’est-à-dire libres de glaces est aussi ancien que la fondation de la marine russe par Pierre 1er en 1696 et que l’expansion de l’empire vers le sud, notamment sous l’impulsion de Catherine II. La base navale de Tartous, sur la côte syrienne, est essentielle pour la présence russe en  Méditerranée orientale. Depuis l’accord de 1971, entre l’URSS et la Syrie baasiste, la base de Tartous sert de point de ravitaillement et de base logistique. Comme en Crimée avec le port stratégique de Sébastopol, une large partie de la politique russe dans le pays est dictée par la nécessité de conserver cette installation militaire héritée de la fin de la Guerre froide. C’est un relai de puissance au-delà des Détroits.

La seconde préoccupation des autorités russes en Syrie est le soutien à un régime capable de contribuer à faire pièce aux deux grands alliés des Etats-Unis dans la région : Israël et l’Arabie Saoudite. Avec la réactivation de son alliance avec Téhéran et son soutien à Damas, Moscou s’affirme comme le point d’ancrage international de résistance aux puissances sunnites dans la région. L’intention russe d’une hypothétique intervention serait de consolider l’axe Damas-Téhéran en faisant en sorte que les sunnites de Daech’ ne renversent pas l’Etat syrien.

L’intérêt à agir seul n’est pas démontré pour la Russie. Cela accroîtrait son isolement diplomatique relatif, autrement dit introduirait des tensions nouvelles avec les Occidentaux. Cela pourrait toutefois avoir pour vertu de montrer tout à la fois que la Russie entend mener une action extérieure résolue au Moyen-Orient, ne se limite pas aux théâtres ukrainien, baltique et arctique et est toujours capable de mener des opérations au loin. Néanmoins, une telle intervention unilatérale me paraît peu probable étant donnée les difficultés financières de l’Etat russe actuellement.

Alexandre Del Valle : Les intentions russes sont beaucoup plus claires que celles occidentales. Les occidentaux assurent qu'ils veulent lutter contre l'Etat islamique, mais ils aident d'autres djihadistes – soit disant modérés - présents au sein de mouvementx masqués, comme par exemple Al Quaida qui se camoufle derrière le masque d’un nom apparemment plus sympathique et fréquentable, Jaish al Fatah, l'armée de la conquête appuyé par le Qatar, la Turquie et l’Arabie saoudite et indirectement les Occidentaux.... Les amis de l'occident, comme le Qatar, l'Arabie Saoudite ou même la Turquie qui aident ce mouvement continuent de mener un jeu trouble. La stratégie de l'occident est donc bizarre et moins cohérente que celle des Russes qui ont toujours préféré les islamistes chiites qui ne commettent aucun acte terroriste chez eux aux salutistes jihadistes qui y perpètrent des attentats réguliers depuis les années 1990. D'un côté, les occidentaux veulent faire tomber Bachar el-Assad, d'un autre côté ils veulent faire tomber l'Etat islamique sans même faire front avec tous les ennemis de l’EI ni en s’en donnât les moyens et évitant toute action au sol...

En revanche, l'intention des Russes est très claire : la survie du régime de Bachar el-Assad face à l'ennemi : l'Etat islamique - ou autre. Ils soutiennent le régime, face à la rébellion islamiste sunnite. La stratégie russe a le mérite de la cohérence. Ils ont un ennemi très clair et un allié très clair, tandis que l'occident a plusieurs alliés contradictoires, voire ambigüs.La Syrie est le seul allié réel dans les pays du proche et Moyen-Orient pour Moscou qui y entretient des bases navales (Tartous) et donc un accès en Méditerranée. Elle n'a pas d'autre base installée en méditerranée. Aucun régime ne lui permet d'avoir une flotte, comme c'était le cas à l'Ouest de la Syrie. Depuis des années, le pays n'a aucun autre débouché sur la mer méditerranée. C'est pourquoi la Russie a réellement besoin que le régime survive. Par ailleurs, la Russie a compris qu'il fallait désigner un ennemi hiérarchisé, commun, et elle l'a fait en nous invitant à oeuvrer avec elle contre lui. Son allié est le régime de Syrie dont elle veut la survie pour une raison évidente d’alliance séculaire.La Syrie est le seul allié réel dans les pays du proche et Moyen-Orient pour Moscou qui y entretient des bases navales (Tartous) et donc un accès en Méditerranée. Elle n'a pas d'autre base installée en méditerranée. Aucun régime ne lui permet d'avoir une flotte, comme c'était le cas à l'Ouest de la Syrie. Depuis des années, le pays n'a aucun autre débouché sur la mer méditerranée. C'est pourquoi la Russie a réellement besoin que le régime survive. Un autre allié du régime Syrien qui est l’Iran devrait être plus sollicité dans ce front anti-jihadistes selon Moscou, mais les occidentaux ont donné leur bénédiction aux actions de bombardements massifs des chiites séparatistes boutistes du Yémen qui constituent le rempart local le plus efficace contre les Jihadiste d’Al Qaïda et de Da’ech… En fait la vision russe est extrêmement limpide et nous ne pouvons qu’être surpris de voir les Occidentaux leur mettre des barons dans les roues en exerçant des pressions sur la Grèce et la Bulgarie pour que les avions russes n’aient pas le droit de survoler leur territoire pour rejoindre la Syrie. Que cherchent les pays de l’OTAN? La Russie est-elle pour eux pire que Da’ech?

Ceci dit, jusqu'à peu de temps, les ambitions des Russes étaient plus en paroles qu'en actes. En revanche, avec la situation économique qui est la sienne aujourd'hui, je ne suis pas certain que le pays pourra monter des opérations d'envergures très longues. etc ‘est pour cela que nous devrions être bien plus solidaires entre européens, également en crise, russes et américains , afin de créer un front anti-jihadiste efficace.

Pourquoi les Etats-Unis craignent une intervention russe en Syrie ? Quels en seraient les conséquences ?

Cyrille Bret : les craintes des Etats-Unis portent sur l’influence de la Russie dans la région. Les Etats-Unis sont actuellement dans une situation délicate : ils font face au fiasco irakien qui renforce les chiites à Bagdad, ils viennent de parvenir à un accord nucléaire avec l’Iran dans le format P5+1 mais ne sont pas assurés de parvenir à une maîtrise de leur rapprochement avec l’Iran. En effet, en Syrie comme dans les marchés des armes, les Russes tentent de s’affirmer comme une alternative aux Etats-Unis. Intervenir plus fortement en Syrie accentuerait ce statut d’alternative stratégique aux Occidentaux dans la région.

De façon générale, en Arctique, dans la Baltique et aux Moyen-Orient, les Etats-Unis ont le sentiment – injustifié – d’être devancés par la Russie. Rattraper leur retard supposé leur est essentiel.

Alexandre Del Valle : Les Etats-Unis veulent faire la politique de leurs grands alliés islamistes du Golfe. Ils n'ont pas intérêt à ce que l'Etat islamique gagne, mais ils n'ont pas non plus intérêt à ce que le régime de Bachar el-Assad reprenne le contrôle de tout son territoire, l'élargisse ou le maintienne. Les Etats-Unis, comme les occidentaux ont deux ennemis sur place: Bachar el-Assad et l'Etat islamique. Ils ne souhaitent pas que leur stratégie soit contrariée par les Russes qui souhaitent clairement que Bachar reste en place. Il y a certes un accord sur la lutte contre l'Etat islamique, mais un profond désaccord sur le maintien de la Syrie de Bachar el-Assad. Or il n'existe aujourd’hui aucune autre alternative concrète et réelle au régime baatiste de Bachar que l’islamisme totalitaire sunnite, jihadiste-salafiste ou Frères musulman...

Occidentaux et Russes ont des intérêts partiellement convergents, mais aussi partiellement contradictoires. L'Etat islamique est l'ennemi commun, tandis que le régime de Bachar el-Assad est l'ennemi de l'un et l'allié de l'autre. Ce n'est pas un désaccord total, mais un désaccord partiel conséquent. Je ne suis pas certain que les conséquences soient terribles ou catastrophiques, mais elles n’arrangent rien et rendent plus difficile l’anéantissement de Daech.

Quelles conséquences aussi sur le reste de l'Europe si la Russie a de plus en plus d'influences en Syrie ?

Cyrille Bret : les autorités russes savourent aujourd’hui le plaisir d’avoir eu raison sur la situation en Syrie avant les Européens. La diplomatie européenne – et tout particulièrement la diplomatie française – avait identifié le régime Al-Assad comme le principal problème en Syrie alors que les Russes – pour des raisons tactiques – avaient depuis longtemps signalé les risques de déstabilisation par les djihadistes. L’analyse russe des printemps arabes, de la contestation du régime Al Assad et des conséquences de l’intervention américaine en Irak semble aujourd’hui particulièrement pertinente : au lieu de mener à une démocratisation et à une stabilisation du Grand Moyen-Orient, les mouvements profonds réalisés durant les années 2000 ont conduit à une déstabilisation profonde de la région aux conséquences terribles sur l’Europe en termes de sécurité.

La Russie a aujourd’hui le plaisir insigne de Cassandre : elle semble avoir eu raison avant les Européens sur les crises – migratoires, militaires, sécuritaires – qui agitent la Méditerranée.

Alexandre Del Valle : L'Europe, elle-même, est très divisée. L'Espagne a par exemple gardé sa représentation diplomatique en Syrie quand les Français rappelaient leur ambassadeur en urgence. Certains pays, comme la France, ont voulu faire les bons élèves de l'Arabie saoudite et du Qatar, et ont rompu tout de suite tout lien avec le régime d’Assad, ce qui fut stupide car la diplomatie doit toujours perdurer surtout avec des pays qui ne nous ont pas déclaré la guerre et ne nous menacent pas et combattent un ennemi commun, le jihadisme, qui lui menace et frappe nos démocratie régulièrement.

Je ne suis pas certain que tous les européens soient choqués par la perspective de clarifier la situation et de désigner comme seuls ennemis les djihadistes. Je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'un cataclysme au niveau européen. Beaucoup d'européens assurent même depuis des mois qu'il faut s'entendre avec l'Iran, qui n'est pas mieux que la Syrie voire avec une partie du régime Syrien pour mieux attaquer l'Etat Islamique.

Propos recueillis par Cécile Picco

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