Entretien avec Gaspard Koenig : « Simplifions-nous la vie ! »<!-- --> | Atlantico.fr
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Gaspard Koenig lors d'une séance photo à Paris, le 1er février 2022
Gaspard Koenig lors d'une séance photo à Paris, le 1er février 2022
©JOEL SAGET / AFP

Entretien

Samedi 19 mars, le philosophe fondateur du think tank libéral Génération Libre Gaspard Koenig réunissait ses équipes pour faire le bilan de sa candidature présidentielle, avortée faute des parrainages suffisants, et envisager les suites à donner au mouvement politique Simple créé pour l’occasion. Ayant eu l’opportunité de m’entretenir avec lui sur ce sujet et quelques autres le jeudi 17 mars dernier, je vous propose de découvrir ici le contenu de nos échanges.

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer est née en 1962. Elle est diplômée de l’ESSEC et a travaillé dans le secteur de la banque et l’assurance. Depuis 2015, elle tient Le Blog de Nathalie MP avec l’objectif de faire connaître le libéralisme et d’expliquer en quoi il constituerait une réponse adaptée aux problèmes actuels de la France aussi bien sur le plan des libertés individuelles que sur celui de la prospérité économique générale.
 
https://leblogdenathaliemp.com/

Voir la bio »

Mais pour commencer, voici sa déclaration de candidature. C’était sur France 2 le 11 janvier dernier (vidéo, 01′ 49″) :

Son constat d’une société « extrêmement crispée, qui produit de la norme à outrance, qui est extrêmement verticale » et qui devient une véritable « prison bureaucratique » – c’est aussi celui des cercles libéraux français. En général, ces derniers préconisent d’enclencher un cercle vertueux de recul de l’emprise de l’État sur les activités humaines. On pense immédiatement baisse des dépenses publiques et démonopolisation des services publics.

Comme vous verrez, ce n’est pas exactement l’approche de Gaspard Koenig. Plus prosaïquement, plus concrètement peut-être, il se donne pour premier objectif de diviser par 100 le nombre de normes en vigueur en France (nom de code « Projet Portalis »). Mais toujours à budget constant ; car dans son libéralisme, l’État garde un rôle très important…

Comment les nombreux Français qu’il a rencontrés lors de son périple à cheval de 2020 et pendant sa campagne présidentielle ont-ils raconté leur vie et reçu ses propositions ? C’est justement ce que je lui ai demandé.

Mais auparavant, petite notice biographique. Gaspard Koenig est jeune, à peine 40 ans, mais il a déjà vécu mille vies ou presque :

Gaspard Koenig   Repères biographiques (sources : ici – ici – ici

1982 : Naissance à Paris dans une famille littéraire et soixante-huitarde. Scolarité au lycée Henri-IV.

2002 : Reçu major à l’École normale supérieure de Lyon, section sciences humaines.
2004 : Année d’échange à l’université de Columbia (New York), agrégation de philosophie et premier roman Octave avait 20 ans.
→ Découverte de la vie facile et tourbillonnante de Manhattan – Découverte de la pensée libérale à travers la lecture de Tocqueville ou Stuart Mill – Découverte du communisme réel via sa rencontre avec sa future femme, banquière d’origine roumaine.

À partir de là : Activités récurrentes d’enseignement et d’écriture.

2007-2008 : Plume de la ministre des Finances Christine Lagarde à Bercy.
2009-2013 : En poste à Londres à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD).

2012 : Candidat à la députation pour les Français de l’étranger sous les couleurs du Parti libéral démocrate. Il obtient 4,4 % des voix.
2013 : Création du think-tank d’inspiration libérale Génération Libre. Au menu : liberté d’expression, légalisation du cannabis, GPA ou encore revenu universel.

Présidentielle 2017 : Soutien à Emmanuel Macron, pour l’élan plus que le programme qu’il représente. Puis déception devant son autoritarisme.

2020 : Voyage à cheval à travers l’Europe avec l’idée de retrouver un « rythme lent » et d’aller à la rencontre des personnes les plus diverses.
2021 : Lancement du mouvement politique Simple pour « une vie plus simple et plus libre » afin de libérer les Français de la « prison bureaucratique » dans laquelle ils vivent.
Janvier à mars 2022 : Candidature à l’élection présidentielle de 2022 puis renoncement faute d’avoir obtenu les parrainages nécessaires.

Nathalie MP (NMP) : Bonjour, Gaspard Koenig, et merci beaucoup de répondre à mes questions. En préparant cet entretien, j’ai découvert que vous aviez déjà été candidat à une élection. En 2012, pour les législatives. Vous, l’homme des think tanks et de la réflexion philosophique, vous vous sentez irrésistiblement attiré par l’action des élus de terrain ?

Gaspard Koenig (GK) : En réalité, c’est un continuum, certainement pas une rupture. Les philosophes grecs affûtaient leurs idées en débattant sur l’agora et participaient de très près à la vie politique de la cité. Je vis cela comme un aller et retour, comme une possibilité de mettre en pratique mes idées. Le libéralisme n’a pas vraiment de représentation politique aujourd’hui ; il est pratiquement effacé de notre univers. Il faut donc y aller soi-même, avec humilité. Prendre le temps nécessaire pour bien expliquer les choses, ne pas rebuter, ne pas apparaître ridiculement dogmatique.

Ce prolongement dans l’action possède l’avantage d’obliger à préciser ses propres idées, à les formuler mieux, à les rendre concrètes. Les grandes déclamations un peu vagues ne suffisent plus. L’entrée en contact avec le réel politique est une expérience particulièrement enrichissante qui pousse souvent à pas mal de remises en question. Sur le terrain, qu’est-ce qu’on dit aux chasseurs confrontés à un empilement d’interdictions, qu’est-ce qu’on dit aux Bretons qui s’inquiètent de la hausse des prix du foncier ? On n’y avait pas vraiment réfléchi auparavant et il faut se prononcer.

Il arrive même qu’on en vienne à évoluer considérablement. Je vous donne un exemple. La question de l’héritage s’étant retrouvée au cœur de la campagne, on m’a interrogé à ce sujet. Entre la position socialiste qui consiste à tout prendre et la position libertarienne qui consiste à ne rien prendre, mes équipes et moi avons opté pour une solution qui consiste à « défamilialiser » la transmission. Rien ne doit empêcher quiconque de transmettre son patrimoine à son voisin plutôt qu’à ses enfants si c’est son choix.

Nous préconisons donc d’abolir la réserve héréditaire (proposition typiquement favorable à l’individu), de fusionner les conditions de donations et de successions et d’abolir toutes les niches fiscales afférentes. C’est une vraie simplification, à budget et droit constant de l’État, comme tout ce que nous proposons.

NMP : Quand, en 2020, vous avez tout quitté pendant cinq mois pour faire votre voyage à cheval, un voyage très littéraire sur les pas de Montaigne, pensiez-vous déjà à une candidature en 2022 ? Aviez-vous idée de la direction dans laquelle vous engageriez vos conversations au fil de vos rencontres ? 

GK : Non, quand je suis parti, je n’avais aucune idée de candidature et aucune idée du thème de la simplification. Je voulais seulement me retrouver dans un rythme de vie plus lent, plus proche des paysages et des gens. La plupart du temps, je dormais chez les habitants et je partageais un peu de leur existence.

Mais après cela, j’ai voulu aller plus loin car toutes mes conversations toutes simples et très concrètes avec les gens sur leur journée, leur profession, leurs aspirations m’ont montré combien notre inflation législative et normative crée des difficultés administratives innombrables et insupportables dans l’élaboration du projet le plus légitime et le plus simple – pour créer des chambres d’hôtes par exemple – et empêche les gens de vivre leur vie comme ils le souhaitent.

De plus, la traversée lente de nos territoires m’a rappelé combien j’aimais mon pays et elle m’a donné envie de m’engager. On ne peut pas écrire des tribunes éternellement. Du moins, je ne le pouvais plus, il me fallait agir.

NMP : Que vous ont dit les personnes rencontrées ? Que vous ont-elles demandé ?

GK : Je ne suis pas arrivé pour parler politique, ni même pour poser des questions spécifiques qui me trottaient au préalable dans la tête. Tout fut extrêmement terre-à-terre, extrêmement concret et extrêmement spontané.

Mais au travers de mes conversations à bâtons rompus avec une diversité de personnes, je me suis rendu compte d’une récurrence forte sur le thème de la complexité normative et j’ai réalisé à quel point notre pays avait le don de rendre la vie des gens effroyablement compliquée.

Par la suite, j’ai entrepris un voyage en France avec les équipes de Simple, dans l’idée précise de recueillir plus de matière sur le thème de la simplification administrative, et c’est ce qui a débouché sur le livre Simplifions-nous la vie !

NMP : Parlons-en, justement ; en quoi consistent vos propositions de simplification ?

GK : Notre proposition centrale, c’est le « projet Portalis », du nom de l’un des éminents juristes qui participèrent activement à la rédaction du Code civil à partir de 1800. Notre objectif : diviser par 100 le nombre de normes en vigueur en France.

Mais rien à voir avec un « comité de la hache » qui biffe ici et là certaines dispositions. Il s’agit fondamentalement de réécrire les Codes en remontant aux principes et en abandonnant les fioritures inutiles afin d’aboutir à un droit à la fois plus intelligible et plus protecteur.

Suite à quoi, environ deux ans après le début de ce travail de fond, nous nous engageons à diffuser le droit français sous la forme d’un petit volume distribué à tous les Français. Autrement dit, nous nous inscrivons totalement dans un projet d’État de droit des plus classiques.

Enfin, il s’agit de décliner l’ensemble sous forme de propositions simplificatrices concrètes. Un exemple : en ce qui concerne les entreprises, nous voulons entreprendre l’effacement du couple impôts-subventions. Encore une fois, simplification à budget constant – car nous ne sommes pas des utopistes.

NMP : Comment vos propositions furent-elles accueillies ? Avez-vous l’impression qu’il y aurait un espoir de voir un jour la France « jeter aux orties la camisole jacobine qui l’étouffe » (votre formule dans une récente chronique des Échos) à travers la démarche de la simplification législative et normative ?

GK : Nous nous sommes rendu compte que notre constat d’une France devenue prison bureaucratique ainsi que notre proposition de mener une politique de simplification ne suscitaient plus aucune résistance, ni médiatiquement ni sur le terrain. On commence à évoquer à haute voix cet éléphant (bien connu de nos amis anglais) qui envahit nos espaces depuis si longtemps et dont personne n’osait parler jusqu’à présent.

La souffrance bureaucratique subie en France est colossale. Même les fonctionnaires s’en plaignent, notamment les fonctionnaires de terrain. Si mes voyages ont confirmé une impression, c’est clairement que le désir de liberté, de responsabilité et d’autonomie est énorme.

NMP : Quelles leçons tirez-vous de votre première expérience de campagne présidentielle ? Ne faudrait-il pas anticiper ce que vous appelez « la descente dans l’atmosphère électorale » ? En bref, ne faudrait-il pas s’y mettre dès maintenant pour la suite, rassembler les libéraux, travailler à un programme… ?

GK : Je dirais d’abord qu’à titre personnel, j’ai beaucoup aimé cette campagne. Ce fut incroyablement enrichissant et beaucoup plus plaisant que je me l’imaginais. Je dois dire que les équipes de Simple se sont montrées très soudées, très motivées, ce qui veut dire que le mouvement n’a pas eu à gérer des attaques personnelles ou des clashs internes. Il n’y a pas eu non plus la tentation de sortir soudainement d’un chapeau des propositions grotesques pour faire le buzz ou dériver dans la surenchère par rapport aux concurrents. Tout est resté très sérieux, très concentré sur le sujet.

Plus important, cette campagne m’a conforté dans mes idées. Je ne suis pas le seul décideur de l’avenir de Simple, mais ce mouvement déjà fort de nombreux volontaires va continuer à exister pour devenir un parti libéral pérenne et actif politiquement. Penser aujourd’hui à 2027 est prématuré, mais d’autres élections se profilent, notamment les Européennes de 2024. Le scrutin proportionnel de ce vote est particulièrement favorable à la diffusion de nouvelles idées et à l’émergence de nouveaux mouvements.

J’aimerais cependant ajouter ceci. Bien sûr qu’il peut et qu’il doit y avoir des débats sur la taille et le rôle de l’État au sein des cercles libéraux. Mais je regrette que les libéraux que je qualifierais de médiatiques, ceux qui s’expriment dans la presse, se soient contentés de ricaner de ma tentative présidentielle au lieu de me venir en aide.

Malheureusement, alors que les idées libérales sont pratiquement inaudibles en France, les gens qui les portent ont beaucoup de mal à s’associer dans une initiative collective. En face, nos concurrents des partis traditionnels sont très organisés et agissent en meute. Il me semble qu’il faudrait songer à mettre de côté certaines querelles et commencer à réfléchir à élargir notre public. À ce titre, le thème de la simplification pourrait constituer la bonne approche.

NMP : J’aimerais aborder maintenant votre idée de revenu universel. Pensez-vous vraiment que la simplification est toujours facteur de liberté ? On a vu avec la proposition de retraite universelle d’Emmanuel Macron, qui avait l’ambition de fondre nos 42 régimes en un seul, que cette simplification peut devenir en fait une façon d’étendre le contrôle de l’État sur ce qui lui échappait auparavant – sur les régimes autonomes de retraite qui fonctionnent très bien, en l’occurrence.

Un revenu d’existence qui engloberait tous les minima sociaux existants aurait certes un effet simplificateur, mais son extension à tous ne reviendrait-elle pas à faire peser un poids considérable et d’une certaine façon injuste sur l’appareil productif ? 

De plus, est-il certain, comme vous le dites dans votre chronique de mercredi dernier, « qu’un revenu universel, en assurant une sécurité financière minimale et en permettant à chacun de se projeter dans l’avenir, entraîne naturellement un regain d’activité » ? Ne risque-t-on pas plutôt de graver dans le marbre nos systèmes ultra redistributifs, avec tout ce que cela implique de handicap à la création de richesse et de dévalorisation du travail ?

GK : Sur la question du revenu universel, les libéraux ont tendance à oublier qui ils sont. L’histoire libérale, de Thomas Paine à Milton Friedman en passant par John Stuart Mill, ne dédaigne nullement la mise en place d’un revenu de base. Rappelons-nous la question initiale des libéraux : de quelle façon pourrions-nous éliminer la grande pauvreté ? 

Le système des minima sociaux de la social-démocratie a un effet stigmatisant, humiliant et paternaliste. Il se heurte de plus aux effets de seuil et entraîne une distorsion du marché. Le revenu universel, en revanche, garantit la satisfaction des besoins de base sans laquelle il ne saurait y avoir de libre arbitre, tout en évitant les écueils précédents. Il présuppose que l’individu, même le plus démuni, reste le mieux à même d’évaluer ses besoins et d’effectuer ses propres choix.

NMP : En 2016, pourtant, les Suisses ont rejeté l’instauration d’un tel revenu à une très large majorité.

GK : Ils ont eu raison. Le minimum proposé était beaucoup trop élevé, c’était un véritable suicide budgétaire. Mais dans le contexte français, avec le système de l’impôt négatif que je propose, on peut y arriver à budget constant. 

Le plus important reste de comprendre que le revenu universel est un droit, le droit à la subsistance. Tout simplement parce qu’il est impossible de faire ses choix et de choisir ses valeurs quand on a faim.

NMP : Pour finir, pourriez-vous nous expliquer ce que vous entendez par l’expression « jacobinisme libéral » qu’on associe souvent à votre nom. Pour ma part, j’y vois un curieux oxymore, tandis que vous-même, comme on l’a vu plus haut, semblez rejeter toute forme de jacobinisme…

GK : C’est un peu comme la « main invisible », formule présente à tout casser deux fois dans les travaux d’Adam Smith. Un jour, vous utilisez une expression et on vous la colle à la peau ad vitam. En ce qui concerne le « jacobinisme libéral », l’expression n’est même pas de moi. Elle est de Pierre Rosanvallon (qui parle d’ailleurs plutôt de recomposition libérale du jacobinisme) et je la cite dans un sous-chapitre de mon livre Le révolutionnaire, l’expert et le geek

Qu’est-ce que cela signifie ? Que je m’inscris dans la tradition qui considère qu’il y a un rôle pour l’État. Pas un rôle planificateur, centralisateur, vertical et paternaliste, mais un rôle émancipateur qui passe par l’instruction, l’information, la concurrence et, on vient d’en parler, le revenu universel.

NMP : Sur l’information, pourriez-vous développer ?

GK : Je veux dire que l’individu doit pouvoir disposer de toute l’information nécessaire pour faire ses choix. Prenons l’exemple de la dépénalisation des drogues. Je rejette toute idée de taxe comportementale. En revanche, il est du devoir de l’État d’informer les gens sur les caractéristiques des produits en question et sur les risques induits par leur consommation. Ensuite, aux individus de prendre leurs responsabilités et à eux de subir les conséquences de leurs actes.

NMP : Merci beaucoup, Gaspard Koenig, pour cette intéressante conversation. Food for thought, comme disent aussi nos amis anglais !

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