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Entre lutte active et nécessaire discrétion : la curieuse action politique face aux sectes en France
©Reuters

Bonnes feuilles

Plus que dans toute autre démocratie, les sectes font l’objet d’une attention particulière en France. Retraçant l’histoire de ces controverses depuis plus de quatre décennies, l’ouvrage d’Étienne Ollion montre comment les sectes sont devenues un objet politique et médiatique de premier plan. Extrait de "Raison d'État : Histoire de la lutte contre les sectes en France" d'Étienne Ollion aux Editions La Découverte (2/2).

Etienne Ollion

Etienne Ollion

Étienne Ollion est spécialiste de sociologie politique. Ses travaux portent sur la sociologie de l’État et du champ politique dans une perspective comparative. Chercheur au CNRS (université de Strasbourg), il est régulièrement invité à enseigner dans différentes universités françaises et étrangères.

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Curieuse situation que celle de la politique des sectes en France depuis les années 2000. Officiellement, la position française d’une lutte active contre ces groupes est largement défendue et affichée. Le dispositif de surveillance qui a été mis en place dans les années précédentes le montre bien : à différents niveaux de l’État, administrations comme responsables politiques assurent au quotidien la prise en charge du sujet. Catégorie désormais établie de l’action publique, la « lutte contre les sectes » dispose de moyens spécifiques, d’agents spécialisés, et de dispositifs propres. Signe qu’elle est considérée comme un problème public de premier plan, les sectes sont l’objet unique d’un organisme interministériel dédié, placé sous la responsabilité directe du Premier ministre.

Dans le même temps, cette décennie fut aussi celle où un déplacement non moins significatif s’est opéré, puisque la position offensive revendiquée jusqu’alors fut progressivement atténuée. Du côté de l’exécutif, le sujet semblait avoir perdu de son importance. L’époque où le ministre des Affaires étrangères croisait le fer publiquement avec son homologue étatsunienne sur le sujet était désormais révolue. La mission interministérielle en charge de la coordination des politiques dans ce domaine fut, elle, largement transformée après 2002. Son personnel fut partiellement remplacé, et son périmètre restreint. Bientôt, les budgets en hausse constante depuis des années seront stabilisés, avant de diminuer. La controverse internationale, qui avait vu la France être critiquée par différents pays et institutions internationales pour sa politique dans le domaine était passée par là. Les mobilisations décrites aux chapitres précédents ont conduit les responsables politiques français à revoir l’importance donnée à la politique des sectes.

Faut-il conclure pourtant qu’après une très rapide expansion, la politique française aurait presque aussitôt reculé et que les pouvoirs publics se seraient désengagés ? Partiellement vraie, cette analyse risque toutefois de manquer le déplacement qui s’est produit alors, et qui a vu d’autres formes d’action publique, moins visibles parce que moins directes, être mises en place. Devant une situation devenue difficilement tenable face à la montée des critiques internationales, les responsables français ont en effet privilégié des modes d’intervention plus discrets. Plutôt qu’agir directement via la législation, les contrôles administratifs directs, ou l’interdiction pure et simple des groupes – une mesure souvent demandée par les opposants –, ils ont mis en place d’autres modalités d’intervention.

L’une consiste à orienter l’attention du public vers ces groupes. Largement utilisée dès 1995 avec la création d’une « liste des sectes » inscrite dans le rapport parlementaire, cette pratique va évoluer pour ne plus prendre la forme d’une mise à l’index explicite, souvent dénoncée par les critiques de la politique française. Mais, sous cette forme atténuée, elle va s’accroître après 2000, à mesure que se mettent en place des mesures de prévention, à l’école comme dans différents services de l’État. L’autre modalité consiste à favoriser l’action de tiers, en premier lieu des associations antisectes, qui virent leurs attributions s’étendre, et leurs budgets augmenter puis se maintenir durant toutes ces années.

Dans un cas comme dans l’autre, la gestion du problème des sectes fut donc organisée par l’État plutôt que directement prise en charge, déléguée plutôt qu’assurée en son nom propre. Une telle division du travail, qui permet la mise à distance des activités les plus exposées (le « sale boulot » bien étudié par la sociologie du travail) à la critique au moment  où celles-ci sont particulièrement fortes, n’est évidemment pas le résultat d’un plan prévu de longue date, ni organisée suite à une négociation consensuelle. Il s’agit plutôt du résultat de compromis suite à des luttes internes au sein du champ du pouvoir. Elle a toutefois permis plusieurs années durant, à la « lutte » de se maintenir face à l’adversité.

Extrait de "Raison d'État : Histoire de la lutte contre les sectes en France" d'Étienne Ollion aux Editions La Découverte

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