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Énièmes massacres en Syrie : comment la triplette Etats-Unis/ Arabie saoudite/ Israël a perdu la main au profit du trio Russie/Turquie/Iran
©DELIL SOULEIMAN / AFP

Où sont les solutions ?

Après plusieurs décennies sous le contrôle des Etats-Unis, l'Arabie Saoudite et Israël, le Moyen-Orient, troublé par la guerre en Syrie, se voit basculer peu à peu sous une domination de la Russie et ses alliés.

Pierre Conesa

Pierre Conesa

Pierre Conesa est agrégé d’Histoire, énarque. Il a longtemps été haut fonctionnaire au ministère de la Défense. Il est l’auteur de nombreux articles dans le Monde diplomatique et de livres.

Parmi ses ouvrages publiés récemment, Docteur Saoud et Mister Djihad : la diplomatie religieuse de l'Arabie saoudite, Robert Laffont, 2016, Le lobby saoudien en France : Comment vendre un pays invendable, Denoël, Vendre la guerre : Le complexe militaro-intellectuel, Editions de l'Aube, 2022.

 

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Atlantico : Après les révélations d'une nouvelle attaque au gaz menée par les forces d'Assad contre des civils, la Russie a du faire face aux nombreuses critiques du Conseil de Sécurité des Nations Unies pour son soutien au régime syrien. Comment expliquer ce bouleversement géopolitique qui s'est opéré au Moyen-Orient, auparavant contrôlé par les Etats-Unis, Israël et l'Arabie Saoudite, mais apparemment dominé par la Russie, la Turquie et l'Iran à ce jour ?

Pierre Conesa : Il y a deux questions différentes dans votre interrogation; La première est la question des armes chimiques, la seconde est celle de la nouvelle géopolitique des puissances au Moyen Orient. Sur l'emploi des armes chimiques, qui est effectivement une question très grave. Il faut avoir un peu de mémoire et de décence. Les Etats-Unis qui sont parmi les grands accusateurs, sont la dernière démocratie à avoir employé des armes chimiques avec les 80 millions de litres de l'Agent Orange, défoliant fabriqué par Monsanto, déversés durant l'opération Ranch Hand de de 1961 à 1971 au Vietnam, Cambodge et et Laos. l'histoire serait du passé si la justice américaine qui acceptent d'indemniser les GIs qui en ont subi les effets, ne refusait toujours d'indemniser les 3 à 4 millions de victimes Vietnamiennes. La France qui a été cobelligérante aux côtés de l'Irak, a refusé de condamner l'emploi des armes chimiques par Saddam contre les troupes iraniennes dans la péninsule de Falloudja de1981 jusqu'à la terrible attaque contre Al Halabjah au Kurdistan en  mars1988. La nouvelle version de la convention internationale contre les armes chimiques signée le 13 janvier 1993 à Paris entrée en vigueur le 29 avril 1997, interdit dorénavant la fabrication, le stockage et l'emploi de ces armes. C'est à ce titre que les condamnations ont été exprimées contre Damas bien évidemment mais aussi contre la Russie qui avait permis de sortir de la crise précédente par la pression diplomatique exercée sur le régime syrien après le massacre de la Ghouta du 21 août 2013, bombardement au gaz sarin qui avait fait plusieurs centaines de morts dans des faubourgs de Damas. Les Etats-Unis et la Russie avaient conclu, le 14 septembre 2013, un accord pour éliminer les armes chimiques en Syrie sur la base des engagements pris par le régime de Bachar Al-Assad à la suite des pressions exercées par Moscou. Le même jour du 14 septembre, le régime syrien adhérait à la et s'engageait à transférer ou détruire la totalité de ses stocks, ce qui visiblement n'était pas le cas. Le crédit diplomatique russe est donc largement entamé. Ira-t-on vers un lâchage de Assad, c'est peu probable. Cela répond en partie à la deuxième question: les pays occidentaux (France exceptée) sont largement responsables du désastre dans lequel se dépêtrent les Etats du Moyen Orient.

L'invasion américaine de 2003 (associée à 17 pays occidentaux à des titres divers) a provoqué l'effondrement de l'Etat irakien et quelques temps plus tzrd, l'apparition de l'Etat islamique en Irak puis par extension en Syrie. Les pays occidentaux (France comprise cette fois) ont donc voulu dans un premier temps faire chuter Assad, bourreau de son peuple, ("dans l'année" avait même annoncé notre ministre en 2012). Mais rapidement nos chancelleries se sont trouvées coincées par un dilemme : faire chuter  Assad, alors que n'apparaissait aucune solution politique alternative et/ou ne pas bombarder Daech pour ne pas aider indirectement  Assad. La position diplomatique russe s'est donc trouvée renforcée parce que le régime a mieux résisté que prévu, et que la stratégie de bombardement russe est clairement tournée contre les forces islamistes surtout Daech et les 6000 russophones qui combattent dans ses rangs. Obama avait donc tiré les leçons de l'échec militaire américain en Irak et se refusait à une nouvelle escalade. Il avait été élu pour retirer les troupes au sol (ne l'oublions pas) ! Nos diplomates  l'accusaient d'être un "faible" ! Bref les Occidentaux ont perdu la main autant de leur propre faute et du mensonge éhonté des équipes de G W Bush sur les armes de destruction massives irakiennes". Ce mensonge rend leur parole inaudible dans le monde arabe.Méfiance sur laquelle l'action résolue et constante de Moscou a fructifiée. La Turquie a un agenda clair : éviter la naissance d'un Kurdistan indépendant en Irak à cause de l'effet de diffusion sur son propre Kurdistan. la chute d'Assad est devenu un objectif second si le dictateur de Damas reste sous le contrôle strict de Moscou. Téhéran joue sa propre stratégie de continuité de l'espace chiite jusqu'au Hezbollah. la survie du régime Assad (minorité alaouite) est un objectif qui explique la participation de combattants venus du Liban et d'Iran. Aujourd'hui nos chancelleries se demandent s'il faut accepter Assad et Al Nosra (branche sytienne d'Al Qaia) à la table de négociations pour une solution politique. Hubert Vedrine estime avec raison que c'est un des pires échecs diplomatiques français depuis une cinquantaine d'années. On peut difficilement être en désaccord avec lui.

Quelles en sont les conséquences pour l'avenir du Moyen-Orient?

Pierre Conesa : La région est entrée dans une crise d'une extrême gravité du fait d'abord, ne l'oublions pas, de la décision illégale d'envahir l'Irak. On remarquera que malgré le caractère illégal de cette agression personne n'a proposé de mettre les Etats-Unis sous embargo (comme l'Europe vient de le faire contre la Russie à propos de la Crimée)  ou de déférer GW Bush devant la Cour pénale internationale. Donc l'opinion publique arabe ne se trompe pas sur le crédit qu'il faut accorder aux différentes initiatives occidentales.

D'autre part, les différents conflits se sont communautarisés : la guerre est ouverte entre Sunnites et Chiites depuis le Pakistan, l'Afghanistan, l'Irak, la Syrie, Bahreïn, le Yémen et même jusqu'au Nigeria; Le terrorisme tue aujourd'hui 90 % de musulmans et la Oumma (la communauté religieuse qui unirait les musulmans) est un mythe creux. L'Arabie saoudite qui est à l'origine de la propagation du salafisme djihadiste (voir mon livre "Docteur Saoud et Mister Djihad") prétend constituer une "alliance contre le terrorisme " dont elle exclut l'Iran. L'Algérie qui a subi 10 ans de guerre civile contre le Salafisme djihadiste" a refusé de s'y associer en expliquant qu'elle n'entendait pas collaborer avec le pays qui est à l'origine des années noires. Enfin Riyad ne combat pas Daech mais le concurrence. Comme l'a écrit Kamel Daoud "L'Arabie saoudite, c'est Daech qui a réussi !". Les wahhabites ne peuvent combattre un système qui leur ressemble tant. Par contre pour garder le leadership sur les Sunnites, il faut se trouver un ennemi chiite: c'est le rôle de la guerre au Yémen qui génère autant d'horreurs que la guerre en Syrie mais dans le plus grand silences de nos chancelleries.

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